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Grand Angle

Maroc : De la difficile gestion de l’eau dans l’agriculture

Extrêmement gourmand en eau, le secteur agricole contribue malgré lui à l’assèchement des nappes phréatiques. Des solutions existent, comme l’irrigation au goutte-à-goutte, mais les formations dispensées aux agriculteurs manquent encore.

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Photo d'illustration. / DR
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L’eau manque au Maroc. Et ce ne sont pas les solutions qui font défaut pour pallier les conséquences du stress hydrique, dont la région Moyen-Orient et Afrique du Nord est la plus touchée au monde : irrigation gravitaire, au goutte-à-goutte, exploitation des nappes phréatiques… «Le système le plus utilisé au Maroc est celui de la roubta, qui consiste à lâcher l’eau dans de petits bassins qui composent la parcelle agricole. On irrigue ainsi par petits bassins : quand l’un se remplit, on passe à l’autre», nous explique Zakaria Kadiri, ingénieur agronome à l’Ecole nationale d’agriculture (ENA) de Meknès et chercheur au Centre de recherche économie société et culture (CRESC) de l’Ecole de gouvernance et d’économie de Rabat.

Mais voilà, surexploitées, le niveau des nappes phréatiques baisse. Comme toutes les nappes du pays, celle du Haouz, dans la province éponyme, diminue de 1 mètre par an. En cause notamment, «le développement hydro-agricole que connaît la plaine du Haouz et l’exploitation intensive des eaux souterraines qui s’en suit, conjugués aux effets de la sécheresse qui sévit sur la zone depuis les années 1970», d’après l’Agence du bassin hydraulique du Tensift. Idem pour la nappe du Souss, dont le bilan «reste irrégulier à cause de l’importance de la variabilité climatique, mais depuis quelques décennies, ce bilan est devenu négatif de façon continue du fait de la surexploitation de cet aquifère et de la diversification de ses usagers», lit-on dans une étude sur la «politique de gestion des ressources en eau et équité hydraulique», axée sur les bassins du Souss et du Drâa (2009).

Zakaria Kadiri soulève également une autre problématique : le manque de réserves hydriques favorise le recours aux puits et aux forages, et ainsi la surexploitation des nappes phréatiques. «A l’intérieur des périmètres collectifs, censés être irrigués par les barrages, les agriculteurs ont énormément recours à ces deux techniques afin d’assurer et de sécuriser leur accès à l’eau.» En avril 2018, le World Resources Institute (WRI) avait alerté sur le déclin, particulièrement inquiétant, du barrage Al Massira, dans la province de Settat, deuxième plus grand réservoir au Maroc : en trois ans, sa teneur a diminué de plus de 60%.

Les oasis, véritables fronts contre la désertification, sont menacées

«L’impact peut-être très violent pour la production agricole», souligne Zakaria Kadiri. Exemple : en 2010, dans le périmètre d’El Guerdane, sur les 10 000 hectares d’agrumes de la région, près de 4 000 avaient été abandonnés. Il avait fallu attendre l’opérationnalisation de l’adduction d’eau du barrage pour voir renaître les 10 000 hectares d’agrumes.

Des inquiétudes que l’on recense également dans les zones oasiennes, dont le système s’assèche. A Taghjijt, dans la province de Guelmim, les associations s’inquiètent des dangers d’un projet destiné au traitement des eaux usées, mais donnant directement sur une oasis vitale pour l’écosystème local. Celle-ci est «traversée par une importante source d’eau qui irrigue principalement toute la région et que ce projet menace plus que jamais», nous avait déclaré un militant.

La province de Zagora n’est pas en reste : «Elle fait face à un véritable problème de disponibilité de l’eau qui conduit à une augmentation de la salinité de sols», rappelle Zakaria Kadiri. Dès lors, c’est tout un cercle vicieux qui se met en place : l’assèchement des oasis et des zones humides risque en effet de favoriser la désertification et, par ricochet, le stress hydrique. «Les oasis sont de véritables fronts qui nous protègent des effets de la désertification, or celle-ci risque d’aller en augmentant si ces espaces ne sont plus cultivés», analyse encore l’ingénieur.

Territorialiser les programmes nationaux

Le facteur humain est lui aussi à l’origine d’excès qui confinent au gaspillage. «L’irrigation au goutte-à-goutte permet d’économiser l’eau à la parcelle, voire à l’exploitation agricole. Encore faut-il que les agriculteurs maîtrisent cette technique, ce qui n’est pas le cas de tous. Certains continuent à irriguer avec de grandes quantités d’eau alors que l’esprit même du goutte-à-goutte, c’est d’irriguer la plante en fonction de ses besoins, pas plus. On sait pertinemment que le passage de l’irrigation gravitaire à celle du goutte-à-goutte, notamment dans les périmètres collectifs, nécessite un accompagnement des agriculteurs, un conseil agricole conséquent. Il faut mettre les moyens en faveur de ces changements», recommande Zakaria Kadiri.

Enfin, le chercheur plaide pour une «territorialisation» des plans nationaux, notamment le programme national d’économie d’eau en irrigation (PNEEI) et le programme d’extension de l’irrigation. «On ne peut pas subventionner toutes les cultures peu importe leur rapport au changement climatique, ou soutenir financièrement une culture fortement consommatrice en eau dans une zone où il n’y a pas d’eau. Avec ce même budget, l’Etat pourrait au contraire subventionner des cultures moins consommatrices en eau, comme les légumineuses, peut-être moins rentables, mais dont les pertes peuvent être compensées par ces subventions. Sinon, on continuera à avoir des programmes de reconversion, mais avec quelle eau ?»

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