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Interview

Maladies rares : «Les malades au Maroc ont un parcours chaotique» [Interview]

Khadija Moussayer, spécialiste en médecine interne et présidente de l’Alliance des maladies rares au Maroc (AMRM) et de l’Association marocaine des maladies auto-immunes et systémiques (AMMAIS), insiste notamment sur la nécessité de mettre systématiquement en place des dépistages néonataux pour éviter des complications parfois irréversibles.

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Khadija Moussayer est présidente de l’Alliance des maladies rares au Maroc et de l’Association marocaine des maladies auto-immunes et systémiques. / DR
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Qu’est-ce qu’une maladie rare ? Quelles sont ses caractéristiques ?

Une maladie est dite «rare» (on ne dit plus «orpheline») quand elle touche moins d’une personne sur 2 000. On recense dans le monde 4 000 à 8 000 maladies rares. Chaque année, 200 à 300 sont nouvellement décrites. Le nombre de personnes touchées par des maladies rares dans le monde (environ 350 millions) dépasse le nombre de personnes atteintes de diabète ou de cancer. Au Maroc, on estime à environ 1,5 à 2 millions le nombre de personnes qui en souffrent.

Ce sont des maladies très diverses : elles peuvent être d’ordre osseux, neuromusculaire, neurologique ; toucher les yeux (la rétine), la respiration (la mucoviscidose), le système immunitaire ; alterner la capacité à stopper le saignement (l’hémophilie) ; provoquer un vieillissement précoce de la peau (le progéria) ; fragiliser excessivement les os (l’ostéogenèse imparfaite). Les maladies auto-immunes peuvent toucher plusieurs organes. C’est le cas du lupus, qui attaque les noyaux cellulaires et provoque notamment une sensibilité au soleil et une atteinte rénale, ou de la myasthénie, une maladie neuromusculaire rare qui se caractérise par une faiblesse musculaire.

Quels sont les facteurs de ces maladies ?

Pour la plupart, elles sont génétiques. Trois cas sur quatre se déclarent durant l’enfance, même si certaines peuvent survenir à l’âge de quarante, cinquante ou soixante ans. De plus, la consanguinité au Maroc, même si elle n’est pas aussi élevée que dans d’autres pays du Moyen-Orient, augmente le risque de maladies rares, surtout pour celles qui sont génétiques et réceptives. La consanguinité intervient en effet dans les maladies réceptives, c’est-à-dire celles qui nécessitent deux gènes : celui de la mère et du père. Les maladies auto-immunes peuvent aussi être liées au sexe (les femmes sont plus touchées, y compris jeunes) et à l’environnement. Enfin, des médicaments peuvent déclencher certaines maladies rares, comme c’est le cas avec le lupus.

A quelles difficultés se heurtent les patients, en l’occurrence au Maroc ?

Les médecins ne connaissent pas forcément toutes ces maladies, du fait de leur rareté, et ont donc des difficultés à établir un diagnostic précis. On diagnostique parfois des maladies aux patients dont ils ne sont pas atteints en réalité. Par ailleurs, le diagnostic peut être très long, jusqu’à plusieurs années, d’autant que les symptômes (handicap moteur, problèmes de croissance, respiratoires, lors des règles, fractures) ne sont pas toujours très apparents, jusqu’à ce que surviennent les premières douleurs et complications – par exemple dans le cas des maladies lysosomales (le lysosome est responsable du recyclage des déchets des cellules) : si le diagnostic n’est pas établi à temps, la maladie provoque des douleurs articulaires et peut aboutir à une insuffisance rénale et cardiaque.

Le problème au Maroc, c’est que nous n’avons pas de dépistage néonatal systématique, contrairement à l’Europe où certaines maladies sont automatiquement soumises à un dépistage avant que les dégâts ne soient trop importants, comme dans le cas de déficits congénitaux en hormones. Certains nouveau-nés naissent en effet sans hormones thyroïdiennes, ce qui doit être absolument détecté à la naissance pour éviter un handicap mental irréversible. La phénylcétonurie, une maladie qui empêche les enfants qui en sont atteints d’assimiler une substance naturellement présente dans l’alimentation, à savoir la phénylalanine, peut impacter le cerveau et provoquer, elle aussi, un handicap mental irréversible.

L’autre problème au Maroc, c’est que la couverture médicale est encore faible et, même pour ceux qui en ont une, elle ne couvre pas toujours tous les traitements, dont certains – pas tous – peuvent être très onéreux (jusqu’à parfois 50 000 euros par mois !). Il y a également des médicaments qui n’existent pas au Maroc. Dans ce cas, le patient, malheureusement, se débrouille comme il peut… Souvent, il n’a d’autres recours que de laisser la maladie gagner du terrain.

De par leur rareté, ces maladies suscitent-elles l’intérêt de l’industrie pharmaceutique ?

Oui. Elles ont bénéficié d’un regain d’intérêt depuis la promulgation en 1983, de l’Orphan Drug Act (ODA) aux Etats-Unis. Les laboratoires spécialisés dans la recherche sur les maladies rares ont alors bénéficié d’un cadre favorable à la recherche, notamment sur les fronts administratifs et fiscaux. Au Maroc, le laboratoire Sanofi, avec lequel nous travaillons, s’y intéresse également. Il a récemment signé une convention-cadre avec le ministère de la Santé pour former plusieurs centaines de médecins et établir un registre national des maladies rares.

Cette convention prévoit la formation de 450 médecins et l’élaboration d’un registre national des maladies rares, entre autres. Cela vous semble-t-il suffisant ?

C’est un très bon pas en avant, mais ce n’est pas suffisant. Les maladies rares représentent un chantier immense. Avant toute chose, et encore une fois, je pense qu’il faut encourager le dépistage néo-natal. On recense en effet beaucoup de handicaps mentaux provoqués par des maladies qui peuvent être traitées en amont et dont les traitements ne sont pas très onéreux. C’est révoltant qu’une maladie comme la phénylcétonurie ne soit toujours pas diagnostiquée à la naissance, dont les symptômes sont d’ailleurs souvent confondus avec l’autisme. C’est la priorité des priorités. Il faut également mettre en place des centres de référence vers lesquels les patients chez qui l’on soupçonne une maladie, de surcroît rare, soient redirigés. Or pour l’instant, il n’y en a pas. Les malades ont un parcours thérapeutique chaotique.

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