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Grand Angle

Maroc : Les infections sexuellement transmissibles, moins soignées car trop taboues ?

Les représentations sociales sur les relations sexuelles hors mariage n’aident pas à se confier en toute confiance, y compris auprès des professionnels de santé, retardant ainsi la prise en charge de l’infection, dont certaines sont pourtant curables si elles sont diagnostiquées à temps.

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Photo d'illustration. / DR
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«Plus les infections sexuellement transmissibles sont détectées à temps, plus elles sont guérissables.» Pour Nadia Bezad, dermato-vénérologue et présidente de l’Organisation panafricaine de lutte contre le sida (OPALS), le message est clair. Or au Maroc, ce n’est pas forcément le temps qui fait défaut, mais le tabou qui enveloppe le délicat sujet de la sexualité, de surcroît quand elle est pratiquée en dehors du cadre marital, et donc légal.

«Il y a un manque terrible en termes d’éducation sexuelle. Les jeunes sont nombreux à être dépourvus d’informations fiables et correctes», déplore Nadia Bezad auprès de notre rédaction. Souvent, la sexualité n’est en effet circonscrite qu’à des échanges informels «entre camarades», où chacun croit pouvoir donner de la crédibilité à des informations qui n’en sont pas, ressemblant davantage à des astuces bancales dénichées sur internet, avec tout son lot de contradictions et d’approximations. «L’éducation sexuelle doit être absolument démystifiée», ajoute Nadia Bezad.

Au Maroc, les IST touchent chaque année 450 000 personnes. 70% des cas recensés sont des femmes atteintes d’un type de maladie sexuellement transmissible.

Une «invitation à avoir des rapports sexuels»

D’après les observations de Hind Setti, médecin généraliste et psychologue clinicienne, proche de l’Association de lutte contre le sida (ALCS), les premières expériences sexuelles chez les adolescents se font souvent dans la peur et le risque, encore plus chez les filles. «La peur n’est pas liée à l’acte sexuel en lui-même, mais à la crainte que les parents l’apprennent», nous dit-elle. Tabou oblige, la famille est, à l’instar de l’école, peu encline à aborder cette épineuse problématique. «La majorité des parents que je rencontre disent qu’ils redoutent d’en parler en bonne et due forme avec leurs enfants. Ils craignent que cela les incite à avoir des rapports sexuels. La peur primordiale chez les parents, ce ne sont pas tant les infections sexuellement transmissibles, mais les grossesses non désirées. Le problème se pose évidemment plus chez les parents de filles que de garçons», explique Hind Setti.

S’il n’existe pas de statistiques officielles sur le nombre d’adolescents atteints d’IST, Hind Setti assure qu’ils sont «de plus en plus» à l’être. Or, les tabous liés à la sexualité étouffent toute possibilité d’échange avec la famille et retardent la prise en charge. «Les ados étant également financièrement dépendants de leurs parents, il leur est difficile de consulter un médecin privé. Par conséquent, ils sont plus susceptibles de laisser traîner, malgré eux, l’infection dont ils peuvent être porteurs», ajoute le médecin.

Des maladies silencieuses

Pourtant, le fait d’être adulte n’immunise pas contre la stigmatisation et la crainte de parler. Même pour celles et ceux qui vivent de rapports sexuels. Dans les groupes de parole qu’elle anime dans les locaux de l’ALCS, auxquels une dizaine de personnes en moyenne participe, Soukaïna Zerradi, psychologue clinicienne, constate que les travailleuses du sexe atteintes du VIH peinent à mettre des mots sur leur sexualité. «Lors du dernier groupe de parole que j’ai animé, il n’y avait que des femmes – pas toutes prostituées. On a parlé du fait de vivre avec le VIH et l’impact de la pression qu’exerce la maladie sur le corps des femmes et leur vie sexuelle et affective. Même auprès des travailleuses du sexe, j’ai remarqué une certaine réticence à verbaliser, à mettre des mots sur ce qu’elles ressentent. Parler de la sexualité en tant que thématique principale reste difficile», nous dit Soukaïna Zerradi. «C’est un sujet qu’il est plus facile d’aborder lorsque je les reçois en séance individuelle.»

D’autres également rechignent à se rendre dans les centres de santé gratuits, dont certains sont implantés dans des quartiers populaires, craignant que les langues se délient un peu trop. «Le secret professionnel n’est pas toujours respecté, reconnaît Nadia Bezad. Ce ne sont pas forcément les médecins qui parlent, mais le personnel médical, comme les secrétaires, les infirmières…» «Dans la majorité des cas, les infections sexuellement transmissibles sont asymptomatiques ou s’accompagnent de symptômes bénins qui ne sont pas reconnus comme ceux d’une IST», ainsi que le rappelle l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les réticences à consulter ou à se faire diagnostiquer retardent donc la prise en charge de l’infection, dont certaines sont pourtant curables.

Culpabilité

Les représentations sociales sur les relations sexuelles hors mariage n’aident pas non plus à se confier en toute confiance, plus encore lorsqu’il s’agit de femmes. «Ce qui est difficile, c’est de dire qu’on a des rapports en dehors du mariage. En parler, c’est se catégoriser en tant que femme qui a une vie sexuelle indépendamment du mariage, et donc du cadre légal. Appartenir à cette catégorie, c’est forcément stigmatisant pour ces femmes», reprend Soukaïna Zerradi. «Certaines essaient aussi de se justifier par rapport à la relation sexuelle qui aurait pu les contaminer. Sans même les emmener sur ce terrain, il y a des femmes qui, spontanément, vont vous dire ''je suis ne pas dévergondée, moi ! Je ne sais pas où j’ai pu attraper ça !''».

D’après l’Agence France-Presse (AFP), qui s’est rendue récemment dans les locaux de l’ALCS, 70% des femmes infectées par le VIH au Maroc ont été contaminée par leur époux. «Lorsqu’il est question d’adultère, le tabou est encore plus fort du fait que cela renvoie à des rapports sexuels hors mariage», indique Soukaïna Zerradi.

La psychologue clinicienne évoque enfin la culpabilité ressentie par les malades à l’annonce de leur séroconversion, notamment chez les travailleuses du sexe et les homosexuels. «Ils pensent l’avoir ''mérité'', comme s’ils avaient été ''punis'' pour avoir eu de mauvais comportements.» Une sorte d’autoflagellation qui rejoint le constat formulé en juillet dernier auprès de notre rédaction par la psychiatre Nada Azzouzi, qui faisait état des poncifs et croyances superstitieuses concernant certaines maladies.

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