«Le bonheur des siens était sa vie. Il nous quitte discret et béni de tous». C’est avec ces mots tristes et touchants que la famille et les proches de Benaïssa ont publié le 16 décembre dernier, dans le journal Midi Libre l’avis de décès de Benaïssa Friekh, un MRE âgé de 62 ans, mort sur sa terre natale suite au vol de son terrain au Maroc.
Terrain volé
Tout commence lorsque Benaïssa Friekh et son épouse Fatima, vivant à Perpignan, partent pour des vacances à Fès le 11 décembre dernier. Le sexagénaire souhaite entreprendre des démarches administratives de construction pour son terrain qu’il a acheté il y a 35 ans, un terrain d’une superficie de 500 m2. Dans quatre mois, Benaïssa est à la retraite et espère profiter de sa nouvelle maison pour y couler des jours paisibles. Lorsque Benaïssa arrive sur le lieu de son terrain le matin du 13 décembre, c’est le choc. Quelqu’un avait déjà construit un imposant immeuble de deux étages, comprenant 6 magasins sur le terrain lui appartenant. Le bâtiment est en phase de finalisation. Un choc qui lui est fatal puisque le soir même, Benaïssa décèdera suite à un soudain œdème pulmonaire aigu, une pathologie due à une insuffisance cardiaque et à une accumulation d’eau dans les poumons, alors que le futur retraité ne souffrait d’aucun problème de santé grave.
Des courriers sans réponse
Trois jours après l’enterrement de Benaïssa, la famille ne peut vivre son deuil en paix. Elle doit désormais trouver la personne qui a construit ce bâtiment illégal et se lancer dans une longue bataille juridique et administrative pour faire annuler la construction de l’immeuble sur le terrain. La famille n’entrera jamais en contact avec l’entrepreneur escroc. Elle ne rencontrera que son frère qui disparaitra à son tour. Néanmoins, elle rencontre le vendeur du terrain qui confirme qu’il avait bien vendu ce terrain à Benaïssa. En plus de ces démarches, la famille s’inquiète de l’état de santé de Fatima. «Ma mère, j’ai peur pour elle, elle n’a plus 20 ans. Elle ne mange pas. Elle maigrit à vue d’œil. Elle ne dort que 2 à 3 heures par nuit. Mon père est décédé le 13 décembre et elle, était à la retraite le 2 janvier dernier. Pour elle, ce terrain était un rêve, un rêve qui s’est envolé avec la mort de mon père», confie à Yabiladi, Toufik, fils cadet de Benaïssa qui vit au Maroc depuis 7 ans.
Depuis le 22 décembre dernier, la famille ne baisse pas les bras pour dénoncer l’escroquerie dont elle est victime, mais surtout pour arrêter les travaux qui s’accélèrent sur le terrain. «On a envoyé des courriers à tous les décideurs politiques, à commencer par ceux de Fès et aux présidents des autorités locales, mais personne à ce jour ne nous a répondu. On a ensuite envoyé, des lettres aux ministres de la justice, de l’habitat, de l’intérieur, au cabinet royal, au ministre des MRE, Mohamed Ameur qui a l’époque de l’envoi du courrier était toujours en poste, il aurait pu se saisir de l’affaire mais il ne l’a pas fait !», déplore-t-il.
Le chantier se poursuit
L’affaire est aujourd’hui devant la justice mais la famille devant un mur. Une enquête est en cours suite à deux plaintes déposées par les Friekh pour demander un arrêt immédiat du chantier et pour falsification de documents. Mais deux jours avant la première audience, Toufik rencontre le président du tribunal. «Il me dit : «on ne pourra pas demander l’arrêt du chantier parce que le chantier est bientôt terminé. Nous, on arrête un chantier que quand il y a qu’un seul mur construit !», explique Toufik écœuré par cette réponse.
Il aura fallu un sit-in organisé mardi dernier devant les locaux de la commune de Ben Souda et la pression des dizaines de personnes réunies, pour que la commune décide au final de faire arrêter le chantier sur le terrain mais seulement pour un mois. Une décision qui n’est pas du tout respectée puisque les travaux reprennent encore de plus belle le lendemain matin. «De toute manière, je sais qu’on n’obtiendra pas gain de cause. Il ne faut pas se leurrer. Si le constructeur escroc finit de construire et ensuite de vendre tous les appartements construits dans l’immeuble, c’est la fin pour nous car on ne le retrouvera plus jamais. Il partira avec ses 10 millions de dirhams que représentent les appartements et les boutiques. Et puis allez ensuite déloger les nouveaux propriétaires qui s’y sont installés !. lance-t-il.
Dernier recours
Aujourd’hui le dernier espoir sur lequel se repose la famille Friekh est le nouveau Ministre des MRE, Abdellatif Maâzouz. «Nous avons rencontré le ministre ce midi. Il a été très affecté par la nouvelle. Il était très à l’écoute, concerné et sensible à notre affaire. Il a assuré qu’il allait nous aider pour faire avancer l’affaire», explique Toufik.
«Aujourd’hui, je ne me bats pas seulement pour mon père mais aussi pour tous ces MRE qui vivent à l’étranger. Parce que cette affaire soulève une grande problématique : celle de la succession de l’héritage de nos parents. Comment pouvons-nous garantir, en tant que MRE, que les biens de nos parents nous seront réattribués après leur mort. Nous, on n’a pas de relationnel ici au Maroc, on n’a pas le temps de s’occuper de ça parce qu’on ne vient au Maroc que pour 2 semaines et en plus on ne parle pas bien la langue car dans les administrations, les fonctionnaires vous parlent en arabe classique en utilisant des mots techniques», tient-il à ajouter.
"Il existe une justice dans notre pays, sur qui nous fondons d'ailleurs beaucoup d'espoir. Et ce que nous demandons depuis le début de cette affaire, à savoir un arrêt de chantier le temps que la justice tranche, est on ne peut plus légitime. Néanmoins, face à l'urgence de la situation, et au regard du réseau d'influences impressionnant de la partie adverse opposé à notre vulnérabilité, ce combat s'apparente à celui de David contre Goliath. Est-il pour autant perdu d'avance ? Je n'espère pas, surtout qu'avec l'arrivée du nouveau gouvernement et ses positions pragmatiques, puisse revenir à César ce qui lui appartient" conclut-il optimiste.