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Grand Angle

Le récit de Robinson Crusoé au Maroc, ou quand les pirates de Salé façonnèrent la littérature occidentale

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les pirates de Salé étaient si célèbres auprès des Européens que leurs activités inspirèrent nombre d’écrivains et de journalistes. Le roman d’aventure «Robinson Crusoé» fait partie des livres ayant décrit certaines certaines atrocités subies par les esclaves chrétiens au Maroc.

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Le roman «Robinson Crusoé», de l’écrivain anglais Daniel Defoe, fut publié pour la première fois en 1719. / DR
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Lors de la première publication, en avril 1719, du roman «Robinson Crusoé», de l’écrivain anglais Daniel Defoe, de nombreux lecteurs crurent naïvement qu’il s’agissait du récit de voyage du malheureux naufragé Robinson Crusoé. Or, le roman éponyme semblait bien trop réel pour n’être qu’une fiction.

Son auteur y décrit avec précision les atroces souffrances que les esclaves chrétiens subirent à l’étranger, notamment ceux capturés par les pirates marocains de la République de Salé. Les capacités et talents d’écriture de Daniel Defoe étaient, pour l’époque, novatrices et inattendues. Les lecteurs percevaient Robinson Crusoé comme un homme qui eut la malchance de tomber entre les mains de corsaires et de vivre tel un naufragé pendant des années, sur une île peuplée de cannibales et de prisonniers.

Isolé sur une île pendant 28 longues années

A l’époque, ce roman fut une première : une fiction réaliste écrite sous la forme d’un journal intime et étayée de documents et de manuscrits. Néanmoins, il s’agissait d’une aventure unique au Maroc, un pays connu pour ses activités de pirates.

Celle-ci a été soigneusement et minutieusement décrite par le protagoniste de Defoe. Le marin a quitté l’Angleterre en 1651 contre la volonté de ses parents qui voulaient qu’il fasse carrière dans le droit. A son arrivée, Robinson Crusoé fut capturé au large des côtes marocaines.

«Alors que son navire [celui de Robinson Crusoé, ndlr] approchait des îles Canaries, il fut percuté par des vagabonds de Salé et capturé après un combat acharné», écrit le chercheur britannique Bob Owens dans un essai intitulé «Defoe, Robinson Crusoé et les Pirates de Barbarie» (2013). Au Maroc, le jeune homme «et son équipage ont été emmenés à Salé et y ont été faits prisonniers», explique l’historien.

Citant les mots de Crusoé au sujet de l’expérience de Salé, Bob Owens écrit que la manière dont il a été traité «ne fut pas aussi terrible qu’il l’avait initialement appréhendé». Alors que «les autres membres de l’équipage étaient emmenés ''à la cour de l’empereur''», le protagoniste était «retenu par le capitaine du navire de pirates comme esclave domestique à Salé».

Comme le raconte le roman, Robinson Crusoé passa deux ans à Salé avant de s’en échapper avec l’aide d’un autre esclave. Une évasion qui n’a cependant pas marqué la fin de ses malheurs : alors qu’il se dirigeait vers l’Amérique du Sud, son navire fit naufrage et il se retrouva sur une île isolée où il passa 28 ans de sa vie.

L’un des livres les plus publiés de l’histoire

Peu importe l’issue de ce roman qui a façonné le monde littéraire, l’histoire de ce naufragé comporte de nombreux événements qui ressemblent à ce que certains esclaves chrétiens ont enduré aux XVIIe et XVIIIe siècles, en particulier en Afrique du Nord.

La fiction n’est pas sans s’inspirer de la réalité, qui ne différait guère de celle de Robinson Crusoé. La même hypothèse a été soulevée par Bob Owens, qui s’interroge dans son essai sur «ce que [les lecteurs contemporains de Daniel Defoe] auraient-ils su au sujet des vagabonds de Salé [qui capturèrent Robinson Crusoé, ndlr] ou des conditions dans lesquels leurs captifs étaient détenus au Maroc».

«La réponse est qu’ils en auraient appris beaucoup sur ce sujet et qu’ils auraient manifesté un vif intérêt. La capture et l’asservissement de chrétiens par des pirates musulmans opérant dans des ports de la côte nord-africaine (…) se sont poursuivis depuis la fin du XVIe siècle jusqu’au début du XIXe siècle.»

Bob Owens

En outre, Bob Owens pense que, lors de la publication du roman, «les lecteurs de Defoe auraient eu accès à de nombreux récits décrivant le fonctionnement des ''pirates de Barbarie'' et les conditions de détention de leurs captifs». Plusieurs récits en attestent, dont celui des capitaines James Riley et Robert Adams.

Mais le roman de Daniel Defoe n’était pas seulement un moyen de relayer de véritables récits d’esclaves chrétiens en Afrique du Nord, mais aussi d’exprimer ses opinions sur l’esclavage. Il considérait en effet «les activités des pirates comme une menace grave pour le développement du commerce international».

Selon l’historien Bob Owens, Daniel Defoe avait également «appelé à la création d’une force militaire paneuropéenne pour les réprimer». Si l’on ne sait pas, à ce jour, si le roman de Defoe a contribué à concrétiser cette proposition, le récit a en tout cas participé à l’émergence d’un nouveau genre littéraire : Robinson Crusoé est considéré comme le premier roman de fiction réaliste et l’un des livres les plus publiés de l’histoire.

Article modifié le 28/09/2019 à 00h16

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