Menu

Grand Angle

Fikra #23 : Pour une réhabilitation des plantes médicinales au Maroc

Les plantes médicinales constituent une grande richesse au Maroc, insiste Jamal Bellakhdar, dans «Plantes médicinales au Maghreb et soins de bases. Précis de phytothérapie moderne», paru cette année. Un rappel utile alors que leur réputation a été ternie, ces dernières années, par des cas d’intoxications.

Publié
Photo d'illustration. / DR
Temps de lecture: 4'

En 2014, le débat avait atteint le Parlement. S’exprimant au sujet de «la propagation du phénomène d'utilisation des plantes médicinales à des fins thérapeutiques dans les médias» après une question orale à la Chambre des conseillers, Houcine El Ouardi, alors ministre de la Santé, avait révélé que le Centre national antipoison et de pharmacovigilance du Maroc avait enregistré l’année précédente sept cas de décès à cause de l'usage inapproprié de produits faits à base de plantes, et près de 300 cas d’intoxications. L’engouement pour les conseils phyto-thérapeutiques de praticiens sur les radios populaires était alors pointé du doigt.

Dans ce contexte, le livre de Jamal Bellakhdar apparaît comme un recueil fiable des dernières connaissances scientifiques modernes appliquées aux plantes maghrébines et de conseils précis pour leur utilisation médicinale. Une référence pour un recours apaisé à l’automédication. Son usage, cependant, risque d’être limité, par le choix du français, aux Maghrébins francophones qui connaissent déjà le nom vernaculaire des plantes en France. Leur traduction est toutefois précisée en darija marocaine, algérienne et tunisienne, en lettres latines. La faible qualité de l’impression du dessin des plantes considérées entame également la praticité de l’ouvrage. Mieux vaut avoir déjà souvent regardé les plantes avant de s’y plonger !

Un potentiel «considérable» pour le secteur de la santé

Pour le spécialiste, cet ouvrage vient avant tout combler un vide : déterminer les usages médicaux des plantes que l’on trouve au Maghreb plutôt que de se référer à des plantes que l’on ne trouve parfois pas dans nos pays. «En effet, quel intérêt peut-on trouver à importer de la busserole qui figure dans tous les guides phytothérapiques, alors que la flore de nos pays possède en abondance l’arbousier et les bruyères aux propriétés semblables ?», interroge Jamal Bellakhdar.

D’après lui, la flore maghrébine compte plusieurs milliers d’espèces végétales. Seules environ 400 d’entre elles sont «exploitables économiquement» pour leur vertus aromatiques ou médicinales. Aujourd’hui, toutefois, nous n’en utilisons réellement qu’une centaine. Le précis de phytothérapie de Jamal Bellakhdar en présente 144 dans le détail et 34 autres de façon plus succincte. «Petit à petit, les plantes sont devenues étrangères à la jeunesse d’aujourd’hui. Est-ce vraiment une évolution positive ? Un marin tourne-t-il le dos à la mer ?», questionne-t-il également.

Pour le scientifique, les plantes médicinales, en dépit du peu d’intérêt qu’elles suscitent au Maroc en dehors des pratiques populaires, constituent un potentiel considérable pour le secteur de la santé.

«Face au déficit chronique de l’offre budgétaire des gouvernements en matière de santé publique, le recours aux pharmacopées populaires locales apparaît naturellement comme l’une des solutions envisageables pour assurer une couverture large aux besoins de base de l’ensemble de la population.»

Jamal Bellakhdar

Ce potentiel est d’autant plus manifeste que partout ailleurs dans le monde – et pas seulement dans les pays les plus riches –, l’intérêt pour les pharmacopées traditionnelles renaît et trouve une nouvelle validation scientifique moderne.

«On est arrivé à la situation paradoxale suivante : une science moderne disposant de tous les moyens d’investigation que lui procure le progrès technologique servant à la renaissance d’un savoir ancien, empirique, parfois naïf ou désuet, mais en même temps faisant souvent preuve d’un génie très pratique et d’une bonne efficacité (…) Que de temps et de moyens auraient pu être épargnés si les enquêteurs avaient su mener d’abord sur le terrain l’étude des traditions médicales régionales !»

Les grenades des marchants ambulants

Ces traditions, Jamal Bellakhdar les a évoquées dans son précédent ouvrage «Le Maghreb à travers ses plantes», paru en 2018. Il les raconte également sur Facebook dans de délicieux récits qui disent avec humour autant l’histoire populaire du Maroc que son savoir traditionnel. Mi-septembre, il a ainsi rapporté l’histoire du riche usage que la société marocaine faisait jusqu’à il y a peu de la grenade que l’on revoit, en cette fin d’été, garnir les charrettes des vendeurs ambulants.

«Ces grains sont tellement imbriqués les uns dans les autres que parvenir à les extraire tous sans les briser est une véritable épreuve de méticulosité et de patience. Aussi, les maîtresses-brodeuses de Kairouan, Alger et Tlemcen ont fait de l'épluchage de ce fruit un test d'évaluation de l'habileté des jeunes filles candidates à entrer en apprentissage dans un atelier d'ouvrage. Ma mère m’a raconté que ce test d’admissibilité à l'apprentissage de la broderie (triz), qu’elle a elle-même subi à l’âge de 13 ou 14 ans, consistait à décortiquer entièrement une grenade, grain par grain, sous le regard sévère de la m’alma et au-dessus d’une toile de coton, sans que la moindre tâche ne vienne souiller la blancheur immaculée de celle-ci», raconte Jamal Bellakhdar.

Les tanins de la grenade étaient également utilisés pour tanner et teindre les maroquins jaunes dans lesquels les artisans de Fès taillent les babouches et les sacoches traditionnelles.

«Et à l'automne, quand les surplus de la production de grenades arrivaient au souk des tanneurs, les passants étaient autrefois invités par les artisans du lieu à une dégustation gratuite, moyennant l'abandon sur place des épluchures : une invitation qui s’exprimait, avec humour et malice, dans l’interjection "kri foumek" (littéralement : "loue ta bouche", une façon imagée de dire "profite de l’aubaine tout en te rendant utile") lancée par les petits gavroches du souk, réquisitionnés pour l’occasion comme aboyeurs», conclut Jamal Bellakhdar.

L’auteur : Jamal Bellakhdar

Jamal Bellakhdar est un des grands ethnobotanistes marocains contemporains. ll est pharmacien et docteur en sciences de la vie. Il a commencé ses recherches en botaniques dans les années 80 et publié sa thèse en 1997 sur la pharmacopée marocaine dans le cadre de l’université de Metz en France. Depuis, il n’a cessé d’étudier la richesse de la flore du Maghreb et du Maroc. Ces dernières années, il s’est plus précisément penché sur l’écosystème végétal ouest-saharien.

L’éditeur : Le Fennec

Fondée en 1987 par Layla Chaouni, juriste et féministe, la maison d’édition Le Fennec publie toute sorte d’ouvrages en français et en arabe. Les premières années, elle publiait essentiellement des essais et des études sur les droits des femmes, de l’homme, sur les lois et l’islam. Si Le Fennec a depuis élargi son catalogue, la maison d’édition continue à publier des réflexions politiques et sociétales sur le Maroc contemporain.

Soyez le premier à donner votre avis...
Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com