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Grand Angle

Kénitra : Sous le poids du béton, les zones humides se meurent

L’enregistrement de zones humides à l’échelle internationale, les lois réglementant l’activité près des espaces naturels protégés ou encore la police environnementale n’auront pas eu raison de projets immobiliers qui tuent ces sites à petit feu. C’est le cas à Kénitra, à travers l’exemple de la merja de Fouarat.

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A Kénitra, la zone humide de Fouarat est le refuge de plus de 250 espèces, dont certaines en voie de disparition / Ph. DR.
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En 2017, le scientifique et chercheur Saïd Lahrouz a publié sa thèse de doctorat sur la biodiversité et les ressources naturelles à l’Université Ibn Tofail de Kénitra. Cette recherche a été entièrement consacrée au cas de la zone humide de Fouarat, jusqu’alors un espace laissé à l’abandon et devenu pratiquement un marais.

«Nous avons restauré la merja et réussi à la classer au registre international Ramsar ; c’est un rêve de longue date qui a fini par devenir réalité», se félicite l’expert auprès de Yabiladi. «Aujourd’hui, cette zone est riche en flore comme en faune, terrestre et maritime. Elle héberge, entre autres, plus de 250 espèces d’oiseaux, dont une cinquantaine menacés à l’échelle mondiale», nous déclare-t-il

Spécialiste en ornithologie, Saïd Lahrouz, qui est aussi vice-président du Groupe de protection des oiseaux au Maroc – Bird Life Morocco, nous explique que l’espace aquatique de Fouarat «regorge quant à lui de variétés de poissons menacés d’extinction, comme l’anguille». Mais ce rêve devenu réalité pourrait avoir une fin tragique, dont les prémices s’annoncent déjà.

Fin de la trève pour léquilibre écologique de Fouarat

Il y a quelques jours, des médias et des associations locales ont alerté sur la reprise de chantiers de construction, autorisés dans la zone humide de Fouarat il y a plusieurs années, sous le mandat local de l’actuel ministre Aziz Rebbah.

Dans un premier temps, ces investissements ont pourtant été bloqués par la gouverneure. Mais à son départ, les travaux des projets immobiliers ont pu reprendre, que ce soient ceux d’un complexe hôtelier, des aquaparks ou encore le creusement de puits malgré l’interdiction. Par conséquent, l’inclusion de la merja de Fouarat à la liste Ramsar des zones humides d’importance internationale n’aura pas suffi pour accélérer la mise en œuvre de dispositions nationales censées protéger le site de manière effective.

Inquiet de la situation actuelle, Saïd Lahrouz nous fait remarquer que ceci aurait permis, entre autres, de conserver l’aspect vierge de l’endroit ou, le cas échéant, de faire respecter des exigences écologiques aux investisseurs.

La qualité de l’eau de la merja est tout autant menacée par ces projets industriels, rappelant par ailleurs que Fouarat ne serait pas le seul dommage collatéral de l’expansion des projets économiques installés à outrance sur des zones humides.

«Ce phénomène est malheureusement répandu dans toute la région de Kénitra, où ces lieux se meurent sous le poids du béton, en toute impunité et sans aucun respect de leur fragile équilibre écologique.»

Saïd Lahrouz, spécialiste en ornithologie

Les dispositions de la loi prennent rarement effet

Saïd Lahrouz nous explique aussi que dans une tentative de remédier à la situation, «un projet de délimitation du territoire de la merja décrétée zone protégée a vu le jour, par le biais des autorités des Eaux et forêts». En vertu de ces mesures, «tout investissement immobilier ou d’une autre nature, non-adapté à l’équilibre écologique des sites comme celui de Fouarat, et qui se trouve sur son territoire, doit être rasé», selon le scientifique.

Cependant, c’est cette délimitation elle-même que critiquent d’autres associations, dont celles regroupées au sein de l’Alliance marocaine pour le climat et le développement durable (AMCDD). Mohamed Benyakhlef, membre du bureau national de ce collectif d’ONG, affirme à Yabiladi s’être «battu pendant cinq ans contre les chantiers» mis en place sur la merja de Fouarat.

«Lorsque la zone a été classée Ramsar, il a fallu définir une délimitation claire pour la protéger, mais celle-ci a isolé une partie qui relève, soi-disant, de la propriété privée. En vrai, celle-ci inclut les chantiers et les lotissements que nous pointons du doigt comme une menace écologique.»

Mohamed Benyakhlef, AMCDD

Pour l’acteur associatif, «le malheur est que le département des Eaux et forêts défend lui-même que la propriété privée ne peut être incluse à la zone humide, mais il oublie que l’espace aquatique sur lequel ce domaine dit privé est érigé a existé bien avant et que la loi sur l’eau le protège par un périmètre important à respecter, qu’il y ait propriété ou non».

A ce propos, Mohamed Benyakhlef nous explique avoir «écrit notamment à l’Agence du bassin hydraulique de Sebou, parce qu’elle est entièrement responsable de la protection des sources marines sur la région». «Nous attendons une réponse claire de sa part, car elle se doit d’expliquer comment se fait-il que la priorité soit donnée aux promoteurs privés plutôt qu’aux biens naturels communs, dans un pays en proie au stress hydrique», conclut-il.

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