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Grand Angle

Avantages et inconvénients du vote obligatoire au Maroc

A chaque élection accusant un taux d'abstention important, la question du vote obligatoire revient tel un refrain. Mais l’instauration du vote obligatoire au Maroc peut s’avérer une «arme à double tranchant». Abdessamad Belkebir, Mohamed Chakir et Abderahim Alam nous livrent leurs analyses.

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Deux responsables d’un bureau de vote procèdent au dépouillement, à Rabat, le 4 septembre 2015, lors des élections communales. / Ph. Fadel Senna - AFP
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«L’instauration du vote obligatoire» est revenu au coeur du débat politique au Maroc. Mardi, le journal Al Ahdath Al Maghribiya a rapporté que le ministère de l’Intérieur aurait pris contact, ces derniers jours, avec des leaders de partis politiques marocain, afin d’examiner cette question.

Il s’agit d’une vieille proposition de l’Istiqlal et l’Union socialiste des forces populaires (USFP). A l’approche des élections législatives de 2016, les deux formations politiques avaient, dans des requêtes séparées, proposé d'«obliger les électeurs à se rendre aux urnes lors des élections communales et législatives». Le parti de la Rose avait même proposé une «amende de 500 dirhams» dans ce sens, contre celles et ceux qui choisissent de boycotter.

Mais cette question remplira-t-elle l'objectif escompté ? Pour le politologue et ancien député parlementaire Abdessamad Belkebir, «la mesure n’a pas une grande valeur politique car l’obligation de participer ne signifie pas que l’électeur ne va pas s’abstenir et voter blanc». Il nous explique que «c’est ce vote blanc qui deviendra un indicateur du désintérêt d’un côté, et du boycott d’un autre». «Nous aurons donc la même composante et ce n’est que le nom qui changera», poursuit-il.

«La participation à la vie politique est un droit pour certain, mais dans certains pays démocratique, comme le Portugal récemment, il s’agit d’un devoir. C’est aussi une question philosophique», nous déclare-t-il, ajoutant que si cette mesure se confirme, «l’Etat ne visera pas ceux qui s’abstiennent de voter mais plutôt ceux qui boycottent». Il donne même l’exemple du mouvement Al Adl Wal Ihsane et certaines formations de la gauche radicale, comme Annahj Addimocrati, qui «considèrent que les conditions démocratiques ne sont pas remplies au Maroc».

«Je crois que cela s’inscrit aussi dans le sillage du service militaire obligatoire. Il y a un courant au sein de la société marocaine, désorganisé, populaire et informel que l’Etat veut viser. Ça peut donc s’inscrire dans la politique d’anticipation de l’Etat.»

Abdessamad Belkebir

Une arme à double tranchant ?

De son côté, le politologue et universitaire Mohamed Chakir considère qu’il faut «interroger les raisons qui poussent l’Intérieur à évoquer une telle question». «D’après les prévisions, le scénario d’un très faible taux de participation aux prochaines élections est probable, compte tenu de plusieurs facteurs, dont le manque de confiance dans les partis politiques et notamment la déception suite à l’arrivée au pouvoir du PJD et ses deux mandats à la tête de l’Exécutif», analyse-t-il. Le politologue rappelle aussi que «la situation économique et sociale a été marquée par plusieurs crises ces dernières années».

«Un faible taux de participation remet en cause la crédibilité des élections et la volonté générale de faire participer les jeunes à la gestion de la chose publique. Ce sont probablement les motivativations qui ont poussé l'Etat à aborder le sujet avec les partis», nous explique-t-il.

Mohamed Chakir estime qu’il s’agit d’une «proposition mais que son application dépendra de la capacité de l’Etat a équilibré les avantages et les inconvénients d’une telle mesure.

«Car obliger les électeurs à voter poussera une bonne partie des Marocains, dont des jeunes qui ne participaient pas aux élections, à y prendre part. Cela impactera la carte des équilibres politiques tant recherchés par l’Etat. Ces électeurs voteront soit avec des bulletins blancs, ce qui sera un message fort et destructeur, soit ils soutiendront des composantes politiques que l’Etat ne voit pas d’un bon œil.»

Mohamed Chakir

«On ne peut pas obliger les gens de bénéficier de leur droit»

Notre interlocuteur dit aussi penser que «l’Etat n’a pas une confiance aveugle dans les électeurs et veut qu’il y ait une participation sans que celle-ci porte atteinte aux équilibres». «Je pense que le vote obligatoire devait être instauré dès le début de l’opération politique au Maroc, pour éduquer le citoyen et l’inciter au vote de façon régulière et à l’intérêt à la chose publique», conclut-il.

Pour sa part, le professeur de Sciences politiques à l'Université Cadi Ayyad de Marrakech, Abderrahim Alam évoque une mesure «techniquement très difficile». «L'Etat veut certes obliger les gens à voter mais comment va-t-il imposer à des jeunes à 18 ans des punitions s’ils ne votent pas alors qu'il est incapable de récolter les impôts de certaines catégories de personnes ? Va-t-on les incarcérer ?», s’interroge-t-il avant de fustiger un pas «antidémocratique». «De plus, démocratiquement, le vote n’étant pas un devoir mais un droit, on ne peut donc pas obliger les gens à en bénéficier», met-il en exergue.

«Si l’Etat décide aujourd’hui d’imposer l’obligation de se présenter aux bureaux de vote, nous aurons soit une faible participation en réaction à cette obligatoire, soit un refus de s’inscrire sur les listes électorales si seuls ceux qui y figurent sont obligés à aller voter.»

Abderrahim Alam

Pour le professeur universitaire, «si l’instauration de cette obligation se confirme, cela ne pourra être qu’un cadeau à ceux qui appellent au boycott puisqu’une large partie de la population les rejoindra». «Certains considèreront même le boycott comme un acte héroïque et l’Etat fera face à la protestation de cette population», conclut-il en notant qu’il s’agit in fine d’un «simple débat récurrent à l'approche des élections». 

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