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Grand Angle

Maroc : Les zones humides deviendront-elles les déserts de demain ?

En dix ans, la zone humide du lac Daït Aoua a souffert de longs assèchements, principalement à cause d’une activité agricole massive, dans cette région connue pour sa production de pommes. Mais la situation de cette zone n’est pas un cas isolé parmi celles qui sont menacées de disparition au Maroc.

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Photo d'illustration / Ph. DR.
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Depuis quelques jours, les inquiétudes se multiplient sur l’assèchement de la zone humide du lac Daït Aoua, située dans le Moyen Atlas, à cause des activités agricoles intensives. Mais celle-ci n’est pas la seule à souffrir d’assèchements de plus en plus longs et globalement de détérioration. En effet, sa dégradation est symptomatique de ce qui attend les zones humides marocaines, si les politiques de protection ne s’améliorent par de manière effective.

«Au cours des dernières décennies, le Maroc a perdu 50% de ses zones humides», nous indique Abdeslam Bouchefra, secrétaire général de la Société protectrice des animaux et de la nature au Maroc (SPANA). «Mais même si Daït Aoua pourrait rester sèche pendant de longues années, il se peut qu’elle soit réinvestie par l’eau, à un moment donné ; c’est pour cela qu’elle restera toujours considérée comme une zone humide, l’une des plus importantes du pays», souligne encore cet ingénieur forestier à la retraite.

Pour connaître l’importance de ces zones dans l’équilibre biologique, il faut savoir qu’«elles constituent des lieux de stockage ou d’écoulement d’eaux, douces ou salées, souvent superficielles et parfois souterraines, temporaires ou permanents, qui attirent une large variété d’espèces animales, végétales et d’activités humaines», nous explique Bouchafra. «Un lac, un barrage, une source, sont des zones humides», souligne-t-il.

Une mine d’or pour les espèces vivantes

Abdeslam Bouchefra nous explique qu’en termes de biodiversité, les zones humides sont si riches qu’«elles sont considérées deuxièmes après les forêts équatoriales en la matière». D’où elles font l’objet d’un traité intergouvernemental pour leur protection sur le plan international (Convention de Ramsar). Le militant nous rappelle également qu’à travers l’histoire de l’humanité, «les plus grandes civilisations sont nées aux abords des zones humides, pour l’abondance en eau, les activités agricoles, pour les loisirs…».

La recherche scientifique s’y est greffée tout autant, faisant de ces zones des lieux privilégiés de la production de poissons, «même si cet usage n’est pas largement observé au Maroc». «Dans d’autres pays qui y recourent, les deux tiers du poisson consommé proviennent de zones humides, qui sont donc une véritable réserve d’alimentation pour les humains comme pour différentes espèces animales», précise le spécialiste.

Par le fait qu’elles soient de véritables lieux de stockage naturel pour l’alimentation et l’eau, les zones humides ont un rôle central dans la limitation des inondations ou de leurs effets. «Elles permettent de conserver ces eaux dans leurs bas-fonds, en empêchant donc d’autres lieux naturels d’être anormalement submergés», souligne l’ingénieur. «En période de sécheresse, cette eau est filtrée et restituée progressivement à la nappe phréatique», garantissant ainsi un équilibre hydrique essentiel.

Victimes de leur richesse, ces zones humides ont été surexploitées. Au Maroc, leur déperdition est «extrêmement grave pour l’équilibre biologique du pays», avertit l’associatif. «En plus de l’exploitation excessive, nombre de personnes perçoivent d’un mauvais œil ces lieux, en considérant par exemple que ce sont des sources de moustiques ou d’insectes nuisibles», déplore-t-il.

«Faute d’attention, on se précipite pour bétonner les zones humides et on oublie que dans la nature, rien n’est fait ou créé au hasard. Chaque élément contribue à assurer la continuité dans la chaîne d’un écosystème.»

Abdeslam Bouchefra, SPANA

De ce fait, le secrétaire général de la SPANA appelle les décideurs locaux et communaux à plus de conscience sur l’importance des zones humides que comptent leur territoires, afin de mieux contrôler la pression humaine sur ces régions, dont la richesse et la valeur économique «méritent des politiques durables, d’autant plus qu’elles contribuent remarquablement au PIB», selon Bouchefra.

Une richesse naturelle mais à l’équilibre fragile

Pour Abdeslam Bouchefra, les conditions climatiques ont leur rôle dans la dégradation des zones humides, surtout au Maroc, dans une région du monde «qui se distingue par un climat méditerranéen, marqué par son irrégularité, des cycles de sécheresse qui peuvent durer naturellement pendant des années, mais ponctuées d’inondations».

«La succession de ces phénomènes a contribué à la disparition de zones humides qui ne sont pas entretenues. A cela s’ajoute le changement climatique que nous vivons actuellement à travers le monde, avec des perturbations importantes qui accompagnent le réchauffement, accentuant ainsi l’impact des inondations et rallongeant les sécheresses», constate le spécialiste.

«Cette année, beaucoup parlent de desséchement de zones humides, mais ce n’est pas la première fois que celui-ci survient», explique par ailleurs l’ingénieur forestier. Les décennies de pénurie d’eau y contribuent, mais l’activité humaine intensive sur leurs abords les endommage davantage. «On creuse des puits pour irriguer les terres agricoles aux alentours des lacs, principalement pour l’arboriculture et surtout les pommiers, dans le cas de Daït Aoua, et tout cela contribue à cet asséchement», souligne Bouchefra.

«Si rien n’est fait, dans l’immédiat, la zone humide de Daït Aoua peut disparaître pendant des décennies. Toujours est-il que cela ne doit pas pousser les gens à édifier des habitations dessus, car même après des siècles, l’eau peut revenir à son lieu naturel sur la daïa.»

Abdeslam Bouchefra, SPANA

Cette problématique pose la question de la législation en matière de protection des zones humides, qui ne sont pas régies par un arsenal juridique important et à la hauteur des menaces. En effet, rares sont les zones à en bénéficier. Celle de Sidi Boughaba dont Abdeslam Bouchefra est d’ailleurs responsable de la conservation, à travers la SPANA, en fait partie, grâce à son classement Ramsar. Mais encore une fois, ce n’est pas la seule mesure ayant permis de la garder en vie.

Petite zone humide de 600 hectares, Sidi Boughaba «a la chance d’être située dans le domaine forestier et de bénéficier des textes qui régissent ce dernier, ce qui n’est pas le cas de nombre d’autres zones se trouvant sur des terrains privés ou autres». Dans l’ensemble, plusieurs textes de loi restent «dépassés» selon Abdeslam Bouchefra, car «ils ne sont pas assez harmonisés avec les dispositions internationales en termes de protection». Pour une meilleure conservation des zones humides, il préconise «des lois qui prévoient des interdictions beaucoup plus sévères», entre autres.

«Dans notre arsenal juridique national, plus de 30 lois peuvent être mises en œuvre dans ce sens», souligne-t-il. En revanche, «chacune ou plusieurs d’entre elles sont du ressort d’un département différent, ce qui rend leur application difficile, voire impossible, lorsqu’en plus les arrêtés d’application n’existent pas».

Une refonte de la législation environnementale s’impose

Abdeslam Bouchefra déplore le «vide juridique absolu» en matière de protection des zones humides, lorsque celles-ci ne font pas partie du domaine forestier. «Les interlocuteurs et les acteurs concernés sont multiples, ce qui créé une forme de confusion qui n’aide pas à désigner précisément les responsables de cette protection», constate-t-il.

Pour palier ce cafouillage administratif, il recommande la désignation d’un responsable unique des zones humides et la diffusion des arrêtés d’application des lois pouvant protéger ces zones, en plus de leur réhabilitation et leur aménagement. «Sans plan de gestion à moyen terme avec des actions précises, les espaces qui nous restent vont se déséquilibrer davantage. On le constate déjà, d’autant plus que l’effort fourni actuellement reste médiocre et largement insuffisant», souligne-t-il.

Par leur richesse, ces zones attirent aussi les investisseurs, notamment pour le tourisme de masse. Mais celui-ci devient une arme à double tranchant, lorsqu’il pèse sur l’équilibre fragile d’environnements naturels comme celui des zones humides. C’est pour cela que le secrétaire général de la SPANA appelle les porteurs de projets mitoyens aux zones humides à «faire un compromis pour le développement durable, en accompagnant les investissements d’un programme de conservation».

«Les investisseurs économiques autour des zones humides doivent s’engager par les actes dans une dynamique génératrice de revenu, créatrice d’emploi et d’activités, mais respectueuse de l’environnement à la fois. Ils doivent être conscients que sans l’équilibre de celui-ci, ce sont leurs projets eux-mêmes qui sont menacés, à terme.»

Abdeslam Bouchefra, SPANA

«A partir de mon expérience professionnelle, je n’ai pas connu de projets privés investis dans une protection et une conservation des zones humides en bonne et due forme», déplore Abdeslam Bouchefra à ce propos.

«Leurs bilans financiers incluent des dépenses, mais qui ne tiennent pas compte du coût de la dégradation de l’environnement causée par leurs activités», nous fait remarquer le militant. Il prévient que «cette facture sera payée par les générations futures, soit par l’augmentation des impôts, soit par la privation de plusieurs avantages».

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