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Interview

Belgique : La levée partielle de l’interdiction sur les signes religieux ouvre une brèche [interview]

Le week-end dernier, le gouvernement bruxellois a annoncé la levée de l’interdiction sur le port des signes religieux dans l’enseignement supérieur et en promotion sociale, par principe de non-discrimination et d’égalité des chances. Enseignant chercheur à l’Université internationale de Rabat et professeur invité à l’Université de Saint-Louis (Bruxelles), Farid El Asri analyse auprès de Yabiladi cette nouvelle mesure.

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Photo d'illustration / Alen Ajana - Adobe
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La levée partielle des interdictions représente-t-elle une ouverture vers un débat plus serein sur le port du voile ?

Je ne sais pas si c’est là le signe d’une ouverture vers plus de sérénité, mais c’est en tous les cas le signe d’une juste lecture du cadre constitutionnel qui nous rassemble et du système de neutralité qui est celui de la Belgique.

L’interdiction a été levée dans l’enseignement supérieur, c’est-à-dire là où les personnes sont considérées majeures et peuvent donc décider d’elles-mêmes de leurs choix vestimentaires et de leurs options philosophiques et religieuses notamment. Il est tout logique de les inclure dans le respect de leurs choix. En sus d’un dépassement des puissants freins politiques et idéologiques peu objectifs à cette démarche, c’est également une posture féministe en soi, dans un contexte où la parole de la femme compte plus que jamais.

Depuis trente ans, on penche plutôt vers la restriction en effaçant les signes de la visibilité de pratiques religieuses, cette mesure renforce au contraire la charpente citoyenne par l’inclusion de toutes et de tous.

C’est l’idée même des membres du gouvernement bruxellois qui invoquent une discrimination dans cette interdiction, mais c’est justement pour cette raison que les restrictions ont été renforcées ailleurs, notamment au Québec dernièrement ou en France, depuis des années…

Le cadre général doit être clair, des balises juridiques nationales et jusqu’à la Cour européenne des droits de l’Homme, la liberté religieuse et philosophique est fondamentale et garantie au sein de nos sociétés. Ensuite, avec la vague de la libération de la parole des femmes, il est fondamental de continuer de leur donner la parole et d’écouter leur point de vue.

Trop souvent cantonnée dans l’angle mort des débats, elles estiment à juste titre qu’elles contribuent activement au développement de leurs sociétés en se formant et il ne serait pas juste de voiler leurs carrières et devenirs parce qu’elles expriment la façon dont elles choisissent de s’habiller librement.

C’est là d’ailleurs où le climat français peut devenir problématique à travers des interprétations abusives de la laïcité. Dans les postures laïques se croisent des laïcités de combats, des postures antireligieuses ou paternalistes sous le vernis paradoxal de la libération des femmes. Des formes de laïcités différentes s’affrontent donc et redéfinissent un cadre commun qui, à la base, ne s’intéresse pas à la religion ou aux options philosophiques des uns et des autres. La laïcité et le laïcisme sont donc à nuancer.

Là où la laïcité ne se penche pas sur la tenue d’un pasteur, d’un moine ou d’une musulmane, l’idéologie de combat y verra une carence d’intégration, une imposition à la femme, une déconstruction du cadre commun, etc. Il ne faut cesser de revenir au texte et à sa substance pour y voir clair et nombreux sont ceux qui en parlent dans une vision de lutte idéologique sans avoir lu ce texte en application.

Cette levée d’interdiction est décidée au moment où un large débat est en cours pour l’intégration de la laïcité dans la constitution belge. Y a-t-il un risque que l’élan de cette décision soit freiné, si le principe est retenu en cas de révision de la loi suprême ?

Au-delà des motivations et des porteurs de ces reconfigurations, le cadre de la laïcité ne pose pas problème pour les citoyens belges de confession musulmane, tel que présenté dans les textes et non dans la sémantique de quelques idéologues promouvant de façon subreptice ou explicite de l’antireligieux. C’est donc l’interprétation confuse entre un cadre laïque, qui n’a pas d’avis sur le religieux dans le champ public, et une autre qui met en place une posture proactive consistant à dicter certaines conduites, voire des pratiques offensives à l’égard de tout signe ou de manifestation religieuse qui pose problème.

Le cas du foulard des musulmanes l’illustre bien, puisqu’il traduit la vraie problématique des lectures abusives, partiales et partielles d’une certaine laïcité ou neutralité. C’est une question de lunettes et de lectures plus que de textes juridiques en fait et le résultat des urnes, un peu partout en Europe, nous indique le ton des discours qui portent ces lectures abusives et qui sont poussées dans les populismes et dans les extrêmes de la droite.

En France, des études s’intéressant aux femmes issues de l’immigration nord-africaine démontrent que ’échec ou l’abandon scolaire, mais aussi la non-intégration au marché du travail, est plus élevée parmi les voilées. Pensez-vous que l’accès à la vie active aurait été plus facile sans interdictions vestimentaires ?

A partir du moment où l’on a une application stricte de la loi, égalitaire pour tous et transparente, cela ne pourra jouer que positivement dans la promotion des parcours. En brisant le plafond de verre et en n’étant pas systématiquement freiné par des questions religieuse, ethnique ou de classe par exemple on pourra y arriver. La problématique n’est donc pas liée à un facteur de pratiques religieuses ou vestimentaires.

La situation est plus complexe que ça et l’intersectionnalité nous permet de mieux cerner les conclusions du rapport et qui en dit plus sur des praxis dans l’accès à l’embauche, au logement ou aux études que sur les femmes en foulard. Les échecs des uns divulguent surtout les pratiques abusives des autres et qui sont latentes dans la société.

La pratique du CV anonyme est un dispositif qui traduit justement la crise de promotion sociale avérée dans nos pays. Une sociologie du quotidien démontre que, malgré les contraintes, les musulman(e)s se sentent bien dans les sociétés européennes et parviennent à contourner les contraintes avec beaucoup d’abnégations et de flegme.

Notons toutefois qu’il est exténuant d’être sous les feux de la rampe en étant assigné en permanence à identité et mis sous pression par des pratiques abusives ou écarts d’une minorité à laquelle on vous associe. L’essentialisation, la demande de justification, la réduction de la complexité des parcours et la privation de narrations sur les enjeux comptent parmi les ingrédients qui crispent les relations et qui fatiguent de nombreux citoyens de confession musulmane.

Pour le cas de la Belgique, cette mesure a ouvert une brèche. Peut-on assister plus tard à son élargissement à d’autres domaines de la vie publique ?

Je pense que ce serait là un juste retour d’une neutralité inclusive, où la société n’a pas à gommer les particularismes des uns et des autres pour prétendre à une neutralité objective. Le débat est ouvert sur les façons de faire société ensemble. Si une femme musulmane, diplômée et en foulard, s’engage sur le marché de l’emploi, il faudra simplement faire en sorte que sa pratique religieuse n’interfère pas dans le domaine professionnel et devra restée neutre.

La pratique nous indique l’évidence de cette précaution de bon sens. En dépassionnant les débats et en revenant au cadre légal qui nous régit tous, on pourra y arriver en toute sérénité, sinon on continuera de vouloir mettre ces femmes sous le tapis où en les forçant à s’inclure selon les cadres interprétatifs fixés par des idéologues prônant une neutralité exclusive et ce serait autant une injustice qu’un gâchis, tant ces femmes sont une force motrice de compétences dans tous les domaines pour nos sociétés.

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