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Sahara : Quand Boumédiène promettait à Hassan II de l'aide en cas de guerre avec l'Espagne

En 1974, l’Algérie assure au Maroc que le pays d’un million et demi de martyrs n’est pas partie du conflit du Sahara occidental et n’a pas de revendications territoriales. Houari Boumédiène va même jusqu’à proposer une aide militaire algérienne en cas de conflit armé avec l’Espagne, mais changera radicalement de position dès l’annonce de la Marche Verte en optant pour le soutien au Polisario.

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Le roi Hassan II et le président algérien Houari Boumediene. / Ph. DR
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Le conflit du Sahara occidental, bien qu’il soit marqué par plusieurs étapes, a vu l’Algérie changer son fusil d'épaule. Ainsi, après la Guerre des Sables d’octobre 1963, le voisin de l’Est avait assuré au Maroc qu’il le soutiendrait dans sa lutte pour le parachèvement de son intégrité territoriale contre l’Espagne coloniale avant de retourner sa veste et soutenir le Front Polisario.

Nous sommes le 21 août 1974. L’Espagne, occupant encore le Sahara revendiqué par le Maroc, annonce l’organisation d’un référendum d'autodétermination pour le début de 1975. Le voisin ibérique organise même un recensement de la population du Sahara pour déterminer la liste des participants au scrutin d'autodétermination, concluant que la population du territoire est comprise entre 70 000 et 80 000 habitants.

Au Maroc, l’heure est à la dénonciation. Le roi Hassan II déclare alors que le Maroc s'opposera, même avec la force, à tout référendum qui pourrait aboutir à l'indépendance du territoire contesté. Le royaume mène une campagne diplomatique contre l’Espagne, profitant de la maladie du Général Franco, pour mettre en échec le référendum d’autodétermination. Le royaume, déterminé à aller jusqu’au bout, pense ainsi à saisir la Cour internationale de justice. Chose faite car le royaume adressera sa demande à l’ONU en attendant la validation de sa requête.

C’est dans ce contexte particulier pour le Maroc que ce dernier, dans l’optique d’accueillir un sommet arabe en octobre 1974, organise une conférence de presse en septembre pour évoquer notamment l’ordre du jour de cette rencontre. La presse nationale et internationale, en quête d’informations sur le dossier du Sahara, ne manquera pas d’interpeler le roi Hassan II notamment sur la position de l’Algérie voisine quant à cette question.

Ainsi, selon le numéro 2 de la revue «Dafater Assahrae» (Cahiers du Sahara, novembre 2015) éditée par le ministère de la Communication, le roi du Maroc avait affirmé, lors de ladite conférence de presse, que «le Maroc part du principe qu’il est le seul concerné par cette question». «C’est la raison pour laquelle le Maroc a demandé l’avis de la Cour internationale de justice. Certains pensent que la Mauritanie est aussi concernée, mais cela revient à la Cour», avait-il ajouté. Hassan II avait aussi ajouté que «quoi qu’il en soit, l’Algérie n’a jamais été concernée par le dossier du Sahara». «Elle l’a d’ailleurs déclaré officiellement, car elle n’est pas partie du conflit et n’a pas de revendications à ce sujet», avait-il enchaîné.

Le roi Hassan II et le président algérien Houari Boumediene. / Ph. DRLe roi Hassan II et le président algérien Houari Boumediene. / Ph. DR

Boumediene et la promesse d’un soutien militaire algérien en cas de conflit avec l’Espagne

Interrogé ensuite sur la position de ses voisins arabes et particulièrement le gouvernement algérien, Hassan II ne cache pas sa satisfaction. «Bien sûr que je suis satisfait, tant que l’Algérie ne revendique pas ce qui appartient au Maroc. Le gouvernement algérien l’a annoncé, comme m’a informé le président Houari Boumediene, qui a jusqu'ici démontré qu'il respecte toujours ses engagements. Il m'a dit que l'Algérie n'avait aucune ambition au Sahara», avait-il précisé. Et le roi du Maroc de déclarer :

«Plus que cela, il (Houari Boumediene, ndlr) m'a demandé de l'informer, 48 heures à l’avance, en cas d'incident militaire afin qu'il puisse nous venir en aide. Il m’a dit tout cela par lettre. Je ne peux qu’être satisfait.» 

Hassan II avait aussi déclaré que le Maroc compte sur «le président de la prochaine session de l’Assemblée général de l’ONU, un des pays du Maghreb, M. Abdelaziz Bouteflika» dans le cadre de la saisine de l’ONU. «Il veut éviter à son pays de choisir entre le soutien à la Mauritanie et la nécessité de soutenir le Maroc, une situation à laquelle d’autres pays arabes, africains et européens font aussi face», avait-il dit.

Rebondissant sur la requête du Maroc auprès de l’ONU, le roi alaouite avait rappelé que l’Espagne considérait le Sahara comme terra nullius, c’est-à-dire territoire n’appartenant à personne, tandis que le Maroc affirmait le contraire. «Nous demandons donc l'arbitrage de la Cour internationale de justice, qui dira son mot», précisait-il.

Pour le roi, la Cour, qui est un organe des Nations unies, «se prononcera sur la base de documents pour éclairer les Nations Unies et guider le Maroc et l’Espagne sur la voie à suivre». «Si la Cour internationale de justice constate réellement que le Sahara était un terra nullius, j’accepterai le référendum (…) Mais si elle affirme que le Maroc dispose de droits (sur le territoire, ndlr), je demanderai aux Nations Unies de nous proposer, ainsi qu'à l'Espagne, de négocier directement», arguait-il devant les journalistes.

Le roi Hassan II et le président algérien Houari Boumediene. / Ph. DRLe roi Hassan II et les présidents algériens Ahmed Ben Bella (1963-1965) et Houari Boumediene (1965-1978). / Ph. DR

Un retournement de veste dès l’annonce de la Marche verte

Ses propos seront même entérinés par le président algérien en personne. «Le problème du Sahara concerne le Maroc et la Mauritanie. L’Algérie soutient les deux Etats et la libération de chaque pouce de la terre non seulement au Sahara occidental, mais également à Ceuta et Melilla et à toutes les îles demeurant sous l'occupation espagnole», avait-il déclaré lors du sommet arabe d’octobre 1974 à Rabat. «Le Président de la République algérienne a pris la parole au cours de la conférence pour dire (…) que l'Algérie n'est pas intéressée que par ce qu’elle aurait des frontières avec le Sahara et qu’elle doit savoir la position du Maroc et de la Mauritanie en cas de conflit dans la région pour mettre fin à l’ambiguïté», avait déclaré le roi Hassan II dans une deuxième conférence au lendemain du Sommet arabe de Rabat.

Le 16 octobre 1975, la Cour internationale de justice rend son avis consultatif sur le droit applicable dans l’affaire du Sahara occidental, estimant que le territoire n’a pas été un terra nullius comme l’avance l’Espagne. Elle reconnait aussi qu’il n’y avait pas de liens juridiques basés sur une souveraineté territoriale entre le Maroc et le Sahara qui «relevait du système juridique musulman fondé davantage sur le lien religieux de l’islam et sur l’allégeance des diverses tribus au Sultan» du Maroc. Mais en conclusion, l’organe de l’ONU «récuse toute référence à une souveraineté territoriale du Maroc, pas plus que de la Mauritanie». Le même jour, le roi Hassan II annonce la Marche verte, marquant un changement radical de la politique du Maroc et aussi de la position algérienne.

Dans son livre «La mémoire d'un roi» d’Eric Laurent, Hassan II avait rapporté la colère de Boumediene quand il apprendra l’organisation de la Marche Verte. «Il était dans un état anormal, déclarant que ''c’est une folie de réunir 350 000 personnes et de contrôler la situation, surtout que cela se passe sur les frontières avec mon pays et donc je suis concerné''», poursuit le souverain.

D’ailleurs, l’accord de Madrid du 14 novembre 1975 entre l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie irritera davantage l’Algérie, qui déclarera officiellement son soutien au Front Polisario et sa «RASD» autoproclamée le 27 février 1976 depuis Tindouf.

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