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Grand Angle

France : Les mineurs étrangers malmenés par la loi asile et immigration

Des responsables politiques et avocats s’indignent du traitement réservé aux mineurs étrangers qui arrivent sur le sol français, qui ne fait qu’aggraver leur précarité, estiment-ils.

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En août 2018, un jeune migrant mineur non accompagné dénonce les dangers de la rue. / Ph. France Culture
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Plus de six mois après son adoption le 10 septembre 2018, la loi asile et immigration, qui avait suscité des débats houleux au sein de l’hémicycle, continue de faire l’objet de vives critiques. Dans une tribune publiée mercredi 3 juillet dans le journal Libération, un collectif de personnalités politiques, ainsi que le Syndicat des avocats de France (SAF), dénoncent le durcissement et la répression de plus en plus marqués de la politique migratoire du gouvernement, en l’occurrence à l’égard des mineurs étrangers.

Les signataires s’alarment notamment de l’enfermement de ces mineurs. «En 2018, 208 enfants étrangers ont été enfermés dans des centres de rétention administrative en France métropolitaine. En zone d’attente en 2018, uniquement pour l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, 513 mineurs ont été enfermés, dont 134 mineurs isolés», rappellent-ils.

«La République se rend ici coupable d’une violation caractérisée des droits de l’enfant comme en attestent les six condamnations, prononcées par la Cour européenne des droits de l’Homme depuis 2012 à l’endroit de la France pour des mesures d’enfermement de mineurs.»

Tribune du collectif

Les signataires demandent au gouvernement «de se conformer sans délai aux engagements de la Convention internationale des droits de l’enfant, en interdisant l’enfermement des mineurs et en garantissant un accès effectif à leurs droits».

Une loi qui encourage les violations des droits des mineurs étrangers

Myriam Laïdouni-Denis, conseillère régionale d’Auvergne-Rhône-Alpes et membre de l’Association nationale des villes et territoires accueillants (ANVITA), qui figure parmi les signataires, est la coauteure de cette tribune avec le sénateur de l’Isère Guillaume Gontard. Contactée par Yabiladi, elle rappelle que «les violations des droits des mineurs étrangers ne datent pas de la loi asile et immigration». «Les faits qu’on évoque dans cette tribune sont antérieurs à l’adoption de cette loi qui, en réalité, n’a fait qu’entériner des pratiques qui avaient déjà eu lieu auparavant. C’est comme si elle donnait toute latitude à la poursuite de ces violations», s’indigne-t-elle.

«Les droits des mineurs étrangers ne sont pas optionnels : ils sont indivisibles de ceux des mineurs français.»

Myriam Laïdouni-Denis

«Il y a vraiment peu de choses qui fonctionnent dans la protection et l’accompagnement des mineurs isolés en France», nous confirme Violaine Husson, responsable des questions Genre et Protections à la Cimade, une association qui vient en aide aux étrangers en situation irrégulière, entre autres. «Sur le front de l’hébergement, la scolarisation et les soins de santé, c’est catastrophique, tranche-t-elle. Et même lorsqu’ils sont pris en charge, il n’y a pas d’accompagnement vers la sortie du dispositif de l’aide sociale à l’enfance pour pouvoir accéder à un titre de séjour. Pour les demandes d’asile, idem : c’est le parcours du combattant.»

Le fichier biométrique dans le viseur des associations

Ce que Violaine Husson constate avant tout, c’est cette suspicion généralisée à l’égard des enfants étrangers «justement parce qu’ils sont étrangers». Les autorités font donc peu cas de ces jeunes arrivants, soupçonnés de mentir sur leur âge pour bénéficier d’une protection. La responsable associative dénonce des éléments spécifiques à la situation des enfants étrangers, «intégrés pour la première fois dans un texte législatif sur l’asile et l’immigration, alors qu’en France, le système de la protection de l’enfance ne fait pas de distinction entre les enfants français et les enfants étrangers».

«On se retrouve avec des protections à plusieurs vitesses entre les enfants français et les enfants étrangers. L’arrivée des enfants étrangers en France, qui a été un peu plus importante ces dernières années, a mis en lumière les dysfonctionnements de l’aide sociale à l’enfance.»

Violaine Husson

Violaine Husson s’inquiète par ailleurs des conséquences du fichier biométrique créé par la loi asile et immigration, qui rassemble les empreintes digitales et les données de tous les jeunes étrangers évalués mineurs à leur arrivée en France, pour faciliter leur prise en charge selon les pouvoirs publics. «Ce fichier biométrique remet en cause l’intérêt supérieur de l’enfant et la protection de la vie privée puisqu’un certain nombre de personnes qui ne relèvent pas de la protection de l’enfance ont accès à ces données», précise-t-elle. Depuis le déploiement de ce dispositif sur tout le territoire national, Violaine Husson observe une baisse du nombre de mineurs qui sollicitent une aide et, par conséquent, un renforcement de leur invisibilité et de leur précarité.

Car leurs premiers interlocuteurs sont désormais les commissariats ou les préfectures, «pour vérifier et croiser les données et leurs empreintes digitales dans différents fichiers», alors que ce devrait être les services de l’aide sociale à l’enfance, répartis dans les 101 départements français. Plus inquiétant encore, dans le cas où les données des mineurs sont recensées dans d’autres fichiers, une mesure d’éloignement peut être prise «alors même que le jeune n’a pas eu la possibilité de saisir le juge des enfants». «Des enfants peuvent donc être expulsés sans qu’aucune autorité judiciaire n’ait examiné leur situation», fustige encore la responsable des questions Genre et Protections à la Cimade.

Le Conseil constitutionnel examinera mardi 9 juillet la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par les 22 organisations de la Cimade au sujet de l’article 51 de la loi asile et immigration relatif au fichier biométrique des mineurs non accompagnés. «Nous attendons qu’il reconnaisse l’atteinte injustifiée et disproportionnée que porte cet article à l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant et au droit au respect de la vie privée et dénonçons l’impact dramatique de ce fichier sur la protection de ces enfants vulnérables», réclame l’association dans un communiqué publié hier.

Aussitôt arrivés, aussitôt expédiés

Des abus, Myriam Laïdouni-Denis en observe aussi dans les centres d’accueil des mineurs étrangers. Fin novembre 2018, avec Guillaume Gontard, elle a saisi le Défenseur des droits concernant le centre Alpha de Saint-Clément-les-Places (Rhône), dont une visite lui a été refusée. «Dans ce centre éloigné de tout, les mineurs ne reçoivent pas de soins ou d’assistance psychologique, après tout ce qu’ils ont enduré durant leur parcours migratoire. Ils n’ont pas non plus accès à la scolarité et à des informations pour pouvoir effectuer des démarches administratives», témoigne Myriam Laïdouni-Denis, qui précise que plusieurs adolescents accueillis dans ce centre ont préféré fuir. «Cet éloignement, c’est une manière de les mettre à l’écart, d’attendre qu’ils aient 18 ans pour pouvoir les expulser», estime l’élue écologiste, dont les revendications peinent à être entendues dans un département dirigé par «la droite dure», en l’occurrence par l’ancien président des Républicains Laurent Wauquiez.

Avant l’épisode de Saint-Clément-les-Places, Myriam Laïdouni-Denis et Guillaume Gontard avaient effectué, le 31 mars 2018, une visite surprise à la gare de Menton Garavan et au poste de la police aux frontières de Menton Pont Saint-Louis, près de la frontière italienne. Ils avaient notamment pu prendre connaissance des formulaires de refus d’entrée avant qu’ils ne soient remis à la police italienne, d’après le compte-rendu relatif à cette action, constatant que sur certains, les dates de naissance étaient corrigées «pour rendre des mineurs majeurs».

A Yabiladi, Myriam Laïdouni-Denis fait état, concernant cette action, de «droits de demande d’asile bafoués» et de «mineurs automatiquement renvoyés en Italie, avant même qu’ils aient pu solliciter l’aide sociale à l’enfance». A l’issue de cette intervention, elle et Guillaume Gontard ont fait un signalement au procureur de la République de Nice, conjointement avec le Syndicat des avocats de France et la Ligue des droits de l’Homme. A la suite des éléments qui lui ont été transmis, le procureur a ouvert une enquête.

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