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Interview

«Il faut responsabiliser les pays développés dans l’accueil des réfugiés» [Interview]

A l’occasion de la Journée internationale des réfugiés, qui se tient chaque année le 20 juin, Bettina Gambert, représentante par intérim du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) au Maroc, revient sur les stratégies mises en place pour faciliter l’intégration professionnelle des réfugiés dans le royaume. Elle plaide aussi pour une responsabilisation des pays développés dans l’accueil des réfugiés.

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Des enfants de réfugiés syriens à la frontière entre le Maroc et l'Algérie. / Ph. Facebook Figuig Photographie.
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Plus de 70 millions de réfugiés et de personnes déplacées ont été recensées dans le monde fin 2018. Faut-il l’imputer à un manque de réactivité de gouvernements qui, notamment au sein de l’Union européenne, semblent se refiler la patate chaude en matière de gestion des migrants et des réfugiés ?

Il faut être prudent avec les chiffres. On ne parle pas de 70 millions de réfugiés, mais de 70 millions de personnes qui se sont déplacées et sont enregistrées par le HCR. Parmi elles, il y a 20 millions de réfugiés. Il y a également 3,5 millions de demandeurs d’asile et 41 millions de personnes déplacées internes, c’est-à-dire qui fuient les conflits mais sont encore dans leur pays. Le réfugié a quitté son pays et demande l’asile dans un pays tiers, alors que le déplacé interne a quitté son foyer et sa région pour une autre, mais il est toujours dans son pays. L’année 2018 enregistre une hausse de 2,3 millions de réfugiés par rapport à 2017.

Ces chiffres s’expliquent d’abord par les grands conflits qui n’ont pas cessé, notamment en Syrie. Donc les personnes qui ont fui il y a des années ne peuvent toujours pas retourner en sécurité dans leur pays d’origine. Si on regarde les nationalités des réfugiés, on voit qu’il y en a cinq prédominantes : la Syrie, l’Afghanistan, le Soudan du Sud, Myanmar et la Somalie. Les Somaliens et les Afghans ont le statut de réfugié depuis, pour certains, dix ou quinze ans. Il faut ajouter à cela d’autres conflits, notamment au Venezuela, qui alimentent le nombre de réfugiés, d’où une telle augmentation.

Quant à l’Europe, il est vrai qu’elle exerce un contrôle de plus en plus strict de ses frontières. Notre plaidoyer, c’est le respect du droit d’asile. Quand un groupe de personnes se présente aux frontières ou est perdu en mer, il s’agit d’identifier s’il y a des réfugiés et des personnes qui ont besoin d’une protection internationale, et si oui, leur permettre d’accéder aux procédures d’asile. Le défi que l’on rencontre dans cette politique de durcissement, c’est que les pays renforcent leur arsenal législatif pour tout le monde, sans distinction.

On le remarque y compris au Maroc, avec ce que l’on appelle des mouvements migratoires mixtes, c’est-à-dire des personnes qui arrivent et dont certaines ont besoin d’une protection internationale. Toutes ne peuvent donc être traitées de la même manière en fermant les frontières devant elles.

Quelles sont les conséquences pour les Etats voisins des pays en crise qui accueillent une grande partie des réfugiés, notamment la Jordanie et le Liban ?

Plus de 60% des réfugiés vivent dans des pays en voie de développement ou sous-développés. Seulement 16% sont dans des pays développés. Dans le cadre du Pacte mondial sur les migrations, on lutte pour un meilleur partage des responsabilités et pour faire en sorte que les pays développés puissent mieux assister les pays qui accueillent beaucoup de réfugiés, soit via des appuis monétaires, soit en accueillant certains de ces réfugiés sur leur territoire. Mais évidemment, la charge est très lourde pour des pays comme la Turquie, le Liban et la Jordanie. C’est pour cela qu’au sein du HCR, on essaie de responsabiliser les Etats développés.

Globalement, comment jugez-vous l’accueil des réfugiés au Maroc ?

Je dirais qu’il n’est pas facile, surtout pour les populations subsahariennes. Les arabophones – Syriens et Yéménites principalement – ont plus de facilités d’intégration parce qu’ils sont plus proches au niveau culturel, linguistique et religieux. Les populations subsahariennes rencontrent plus de difficultés, déjà parce qu’il y a cet amalgame entre migrants, réfugiés et demandeurs d’asile, ainsi qu’en raison de la discrimination et la difficulté d’accès à tous les services. L’accueil des réfugiés n’est pas facile aussi parce que le Maroc a ses propres difficultés.

Quelles stratégies ont été mises en œuvre au Maroc pour l’intégration des réfugiés, en l’occurrence sur le volet professionnel ?

On travaille avec l’Association marocaine d’appui à la promotion de la petite entreprise (AMAPPE) pour appuyer la mise en place des activités génératrices de revenus dans divers secteurs comme le commerce, la coiffure, la restauration… Des Syriens ont par exemple pu ouvrir leurs restaurants et emploient aujourd’hui des Marocains. On a également noué des accords avec l’ANAPEC et l’Office du développement des coopératives (ODECO). Les réfugiés et les migrants régularisés ont ainsi désormais le droit d’ouvrir des coopératives. Trois ont été mises en place : l’une dans le domaine de la restauration, l’autre dans les services à domicile et la dernière pour les crèches.

On a par ailleurs beaucoup travaillé avec le secteur privé. On a acté un partenariat avec la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) dans le but de recruter des réfugiés, et avec la Fédération interprofessionnelle du secteur agricole (FISA) qui propose des formations pour les réfugiés.

Pendant 21 mois, les réfugiés au Maroc n’ont pas pu obtenir leur carte de séjour. La Commission interministérielle de régularisation des réfugiés a finalement débloqué la situation en décembre dernier. Ces personnes ont-elles été régularisées ?

Il y a deux choses différentes : la Commission interministérielle délivre des cartes nationales de réfugié. Une fois que ces derniers ont été auditionnés par la Commission, ils reçoivent un récépissé et une carte nationale de réfugié. Avec ces documents, ils ont accès à des cartes de séjour. La carte nationale de réfugié est la régularisation des réfugiés par les autorités. Du fait que la Commission ne s’est pas réunie pendant un an et demi, les personnes que nous reconnaissions en tant que réfugiés n’ont pas pu être régularisées par les autorités.

Depuis décembre, la Commission a effectivement repris les auditions et les personnes concernées reçoivent une carte nationale de réfugié. Ceci dit, il y a encore des obstacles car on leur demande souvent des documents complémentaires, comme le contrat de bail, qu’ils ont des difficultés à obtenir. C’est pourquoi on fait du plaidoyer individuel… Je ne peux pas dire que la situation s’est totalement débloquée et que tous ont obtenu des cartes, mais les conditions se sont beaucoup assouplies pour les réfugiés et la majorité a tout de même pu obtenir une carte de séjour.

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