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Grand Angle

Quand l’Assemblée nationale française accueillit le premier député musulman, Philippe Grenier

Converti à l’islam, Philippe Grenier fait une entrée remarquée à l’Assemblée nationale en 1896. Et pour cause, le premier député musulman de l’Histoire de France y fit son entrée vêtu de l’habit traditionnel des Berbères, le burnous.

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Philippe Grenier fit le premier député musulman de l'Histoire de France. / DR
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En 1896, l’Assemblée nationale voit s’asseoir sur ses bancs un représentant pour le moins surprenant. Son patronyme, Philippe Grenier, ne laisse rien deviner. Son accoutrement, en revanche, donne quelques pistes : l’homme fut en réalité le premier député musulman, converti à l’islam, à siéger au sein de l’Hémicycle… où il fit son entrée vêtu de l’habit traditionnel des Berbères, le burnous.

Sa conversion fut elle aussi inattendue. Il faut dire que Philippe Grenier, né à Pontarlier en 1865 et mort en 1944 dans la même ville, issu d'une famille de la bourgeoisie du Doubs, semblait bien peu prédestiné à embrasser la foi musulmane, explique le site Migrations à Besançon, qui regroupe diverses contributions sur le contexte historique et social des différentes vagues migratoires en Franche-Comté et sur Besançon, de 1800 à nos jours. Son père meurt alors qu’il n’a que cinq ans. Sa mère, Marie Grenier, est décrite comme une femme pieuse et catholique.

A dix ans, le petit Philippe se déboîte la hanche lors d’une partie de saute-mouton et en gardera toute sa vie une légère claudication qui le contraindra à se déplacer à l’aide d’une canne. Un article du Figaro en date du 22 décembre 1896 rapporte quant à lui que cette claudication serait liée à «une maladie particulière, localisée, au genou, [qui] l’obligea à aller se faire soigner en Algérie». Titulaire du baccalauréat en 1883, il sort diplômé de la faculté de médecine de Paris en 1889, puis revient à Pontarlier.

Dimanche 24 janvier 1897, Le Petit Journal consacre son Supplément illustré au docteur Grenier, député musulman de Pontarlier. / Ph. Rue des Archives/©Rue des Archives/PVDEDimanche 24 janvier 1897, Le Petit Journal consacre son Supplément illustré au docteur Grenier, député musulman de Pontarlier. / Ph. Rue des Archives / PVDE

«Tu seras mieux que mufti. Tu seras prophète de Dieu !»

C’est en Algérie, alors département français, que le jeune médecin découvre l’islam. «Si les paysages sont sublimes, ce sont surtout les mœurs musulmanes qui l’attirent, et il est bouleversé par la pauvreté des habitants. Il cherche à les comprendre, lit le Coran, et songe bientôt à se convertir. (…) Il souhaite, dans l’intervalle, continuer à étudier l’islam, à s’informer sur cette religion qu’il sent correspondre à son état d’âme», indique le site Migrations à Besançon.

En 1894, à son retour en Algérie, il se convertit à l’islam. Il a alors vingt-neuf ans. Puis, de retour à Pontarlier, il ne cache pas sa conversion et opte pour la tenue des musulmans d’Algérie. «Vous voulez savoir pourquoi je me suis fait musulman ? Par goût, par penchant, par croyance, et nullement par fantaisie, comme quelques-uns l’ont insinué. Dès mon jeune âge, l’islamisme et sa doctrine ont exercé sur moi une attraction presque irréversible (…) mais ce n’est qu’après une lecture attentive du Coran, suivie d’études approfondies et de longues méditations, que j’ai embrassé la religion musulmane», répond-il à des journalistes qui l’interrogent suite à son élection, le 30 décembre 1896.

Quelques jours auparavant, Le Figaro se faisait l’écho de l’élection de cet homme si particulier. «Le Doubs vient d’envoyer à la Chambre un représentant assez extraordinaire qui va siéger, dit-on, en burnous blanc !», écrit à l’époque le journal. Ce dernier évoque ses relations, durant le séjour de Grenier en Afrique, avec des mahométans, ses études sur la religion musulmane, sa lecture du Coran et son ambition de se faire marabout. «Par malheur pour lui, les prêtres musulmans doivent être absolument sains de corps ; ils n’ont pas le droit d’être infirmes. Or, Philippe Grenier boitait… Il se désolait : ''Ne t’attriste pas, lui dit un prêtre. Tu seras mieux que mufti. Tu seras prophète de Dieu !''», témoignent les archives du Figaro.

«Il a les sentiments les plus généreux, les meilleurs»

La curiosité que suscite Philippe Grenier à son retour en France, lui qui s’habille en burnous, turban et gandoura, lui valent de nombreux articles, pas toujours élogieux à son égard et à l’égard des millions de musulmans que compte alors la France, dispersés dans son empire colonial.  

«Que se passera-t-il à Paris quand sonnera la cinquième heure du soir, s’il fait chez nous ce qu’on l’a vu faire à Pontarlier, s’il descend, tout nu, dans la Seine, comme il descend, même l’hiver, dans le Doubs pour ses ablutions ! Il est vrai que, sans s’être essuyé – Allah ne le veut point –, il remettra son burnous pour rentrer à la Chambre. Mais dans l’intervalle ! Enfin, le Parlement a vu un sénateur en vêtement breton, un député en blouse. Il lui manquait un musulman de Pontarlier. Il l’a.»

Charles Chincholle, journaliste du Figaro

La Croix, journal catholique, y va également de son commentaire : «Le renégat était, il y a encore quelques années, l’être le plus odieux à la France chrétienne ; aujourd’hui il en est le député.»

D’autres encore l’accusent de polygamie, redoutent qu’ils appliquent en France le Coran au détriment de toutes les autres religions. «Pourtant, on ne trouve dans le programme du candidat Grenier que des idées de grande tolérance, y compris en matière religieuse», souligne le site Migrations à Besançon. Le Figaro n’hésitera pas à se faire l’écho de ses vertus : «Mais en dehors de sa vocation, le converti était parfaitement raisonnable. Sous le burnous blanc qui le recouvre et qu’il a juré de porter même à la Chambre, il a les sentiments les plus généreux, les meilleurs. On ne peut lui reprocher que de trop bien pratiquer la religion musulmane.»

De l’islam, Philippe Grenier salue le sens de la famille, «les principes d’équité, de justice, de charité envers les malheureux», et surtout l’hygiène qui, dira-t-il, «a bien quelque importance pour un médecin –, elle (la loi musulmane, ndlr) proscrit l’usage des boissons alcooliques et ordonne les ablutions fréquentes du corps et des vêtements». Voilà qui est dit.

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