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Grand Angle

Dépasser l’impasse financière de la presse numérique au Maroc [Edito]

L’eldorado numérique, fantasmé par la presse papier en crise et les nombreux pure player au Maroc, s’est transformé en galère financière pour beaucoup d’entre eux. My 2 cents…

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Jackpot ! Après 2011 et le Printemps arabe de nombreux titres de la presse papier ainsi que des journalistes (ou pas) ont cru pouvoir faire fortune dans la ruée vers l’or numérique. Comme pour le Far west, c’est surtout les vendeurs de pioches et de pelles (ici les vendeurs de sites basés sous Wordpress et autres prestataires) qui se sont enrichis.

Ces dernières années, tout a été essayé pour sortir la tête de l’eau financièrement : dumping sur les tarifs publicitaires, sensationnalisme éditorial pour racoler l’audience sur les réseaux sociaux, publi-rédactionnels présentés comme étant des articles journalistiques, infidélité de certains patrons avec leurs obligations sociales et fiscales… 

Quand les rêves d’or se transforment en cauchemar de plomb, une seule solution : se plaindre auprès de l’Etat pour sauver un secteur privé perdu dans les limbes du numérique. Dès lors, la principale doléance qu’ils émettent concerne l’augmentation des subventions publiques à la presse. Un recours à l’argent public qui a pourtant déjà atteint un niveau inquiétant pour la presse papier sous perfusion, comme nous l’indiquions en 2018.

L’Etat impuissant ? 

Une autre doléance plus justifiée concerne la concurrence déloyale des grandes plateformes internet internationale plus connues sous l’acronyme GAFA, qui rafle la part du lion dans le gâteau publicitaire marocain sans pour autant contribuer à la production de contenu, ni à l’emploi et encore moins aux caisses de l’Etat. En science économique, on qualifierait cette situation du problème du passager clandestin (ou free rider) : profiter du fruit du travail des journalistes, des avantages fournis par la puissance publique, mais ne jamais contribuer pour le pays.

Cela doit faire trois ans que le problème a été évoqué avec plusieurs ministres et autres responsables, mais sans aucune solution qui émerge, tant la coercition dont se sont montrés capable certains pays européens semble hors de portée pour le Maroc. Un premier pas pourrait consister à être plus vigilant sur les pratiques de certains annonceurs et agences digitales marocains qui ne s’acquittent pas de leur obligations fiscales quand ils achètent de la publicité sur Facebook ou Google (TVA, retenue à la source…). Mais laissons ce sujet polémique pour un prochain billet plus épicé.

La problématique majeure du modèle économique des sites d’information aujourd’hui est la nouvelle caractéristique du marché publicitaire médiatique. Si la chance de la presse papier était d’évoluer dans un marché de la rareté, tous les médias (numériques ou pas) sont désormais noyés dans un marché ou règne l’abondance. Au niveau national d’abord avec plusieurs milliers de sites d’information (ou pas), mais aussi à l’international avec d’autres sites facilement accessibles comme support publicitaire pour toucher l’internaute marocain, avec notamment les GAFA sus-cités.

De la responsabilité des acteurs économiques publics et privés

Si l’Etat ne peut subventionner des centaines, voire des milliers de sites d’information, ni interdire aux entreprises privées ou publiques d’investir leur budget marketing digital sur les GAFA, il peut jouer son rôle de régulateur. Il est ainsi très simple dans un premier temps d’exiger des établissements et entreprises publiques de fournir la répartition des investissements publicitaires internet entre sites internationaux et sites nationaux, et pour ces derniers de distinguer les sites d’information ayant accompli les formalités légales relatives au code de la presse (314 sites début 2019), des autres.

Dès lors, l’Etat n’aura aucun mal à inciter ces acteurs publics censés préserver une équité et une pluralité dans leurs choix publicitaires à perpétuer ce qui se pratiquait hier avec la presse papier, à la presse numérique aujourd’hui. Sans les empêcher d’investir une part de leur budget publicitaire sur les GAFA ou ailleurs, ils pourraient progressivement augmenter la part consacrée aux sites d’information marocains pour atteindre à terme 50%. Cette politique de quota ou stratégie du Nudge consiste à orienter et à inciter par l’exemple les choix des acteurs privés.

On peut espérer dès lors une prise de conscience des grands annonceurs privés de l’impact délétère de leurs choix marketing avec près de 80% du budget de marketing digital concentré uniquement sur les GAFA, au détriment d’un secteur qui se meurt et avec lui des milliers d’emplois au Maroc. Si les annonceurs et les agences jouent le jeu, on pourrait même espérer qu’enfin la subvention publique à la presse disparaisse et que l’argent public ne soit plus mobilisé de manière aussi opaque.

PS : Si la liste détaillée des bénéficiaires de la subvention publique à la presse de 2016 avait été rendue publique suite à la demande de Yabiladi, celle de 2017 n’a toujours pas été publiée alors que nous sommes déjà en 2019.

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