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Grand Angle

Maroc : A qui profite l’inflation d’accouchements par césarienne ?

A partir du 1er mai, la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS) facturera les accouchements par césarienne sur la base de ceux par voie basse, sauf motivation clinique écrite où le médecin traitant donne une explication clinique à ce recours. Selon les chiffres de la Caisse, c’est le privé qui se taille la part du lion de cette pratique où des abus sont suspectés.

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Photo d'illustration / Ph. DR.
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La Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS) est boycottée par les gynécologues privés. C’est du moins ce qu’a annoncé leur association, le 19 avril dernier, deux jours après la décision de l’assureur des fonctionnaires publics de rembourser les césariennes non justifiées sur la base d’un accouchement par voie basse, dès le 1er mai. A travers cette décision, la CNOPS dit vouloir lutter contre un recours jugé abusif à ces interventions, particulièrement dans les cliniques privées où ces tarifs sont bien plus élevés que ceux d’un enfantement naturel.

En effet, un communiqué publié dans ce sens fait état de 61% de cas de césariennes sur les accouchements pris en charge par la CNOPS en 2017, ce qui représente une hausse exponentielle. En 2006, ces interventions ont représenté 35% des enfantements remboursés. Trois ans plus tard, alors que les tarifs de la césarienne ont été révisés pour passer de 6 000 à 8 000 DH dans le cadre de la convention nationale avec les médecins et les établissements de soins du secteur libéral dans les cliniques privées, le chiffre est passé à 43%.

Avec un pourcentage qui peut atteindre parfois 80%, les cliniques privées se taillent la part du lion dans la répartition de ces interventions entre les différents établissements hospitaliers. Même si ces chiffres ne concernent que les dossiers qu’elle réceptionne, la CNOPS les mesure sur la base du seuil des 15% sur les accouchements par pays, recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). D’où sa décision de renforcer le contrôle ded raisons cliniques motivant les médecins à recourir à la césarienne sur les femmes enceintes.

Des chiffres alarmants datant de 2007 au moins

Si ces chiffres sont les plus récents que la CNOPS a communiqué, la semaine dernière, ils ne dénotent pas en tout cas d’un fait nouveau. En 2012 déjà, une analyse du poste accouchement sur la période 2007 – 2011 réalisée par la CNOPS a pointé du doigt un taux «anormal» de recours à la césarienne, particulièrement dans le privé. Il en ressort qu’en 2017, le nombre d’accouchements par césarienne dans les cliniques privées a été de 6 973, contre 1 064 dans les centres hospitaliers, 26 dans les hôpitaux militaires, 86 dans les hôpitaux SEGMA (service de l’Etat géré d’une manière autonome), 162 dans les polycliniques CNSS, aucun dans les cliniques mutualistes ou à l’étranger.

Alors que ces chiffres ont connu une baisse dans la majorité des établissements hospitaliers, ils ont connu une hausse dans les cliniques privées, où ont été dénombrés 11 201 accouchements par césarienne contre 7 897 par voie basse, sachant que les césariennes sont quasiment toutes en tiers payant, c’est-à-dire payées directement à la clinique privée.

«En 2011, les cliniques privées s’accaparent 78% du total des actes et 90% du total des remboursements en tiers payant du poste accouchement. Or, il est à noter que 59% de ces actes concernent la césarienne qui leur permet de drainer 79% du total des montants réglés aux cliniques privées en accouchement.»

CNOPS, Analyse du poste accouchement sur la période (2007 - 2011) vision du 31 / 03 / 2012

Dans une note, la CNOPS explique que les frais remboursés des accouchements entre 2006 et 2015 ont ainsi évolué de 333%, avec une augmentation de 42% en 2008 suite à la revalorisation du tarif de la césarienne dans le secteur privé. «Elément saillant, les dépenses de l’accouchement par césarienne sont passées de 39% en 2006 à 82% en 2015 de l’ensemble des dépenses du poste accouchement», indique la Caisse.

Dans des chiffres exhaustifs datant de 2011 déjà, la CNOPS liste aussi les cliniques auprès desquelles elle engage le plus de dépense pour les accouchements par césarienne. A Rabat, les cliniques La capitale, Alboustane et les Nations unies étaient celles à avoir effectué le plus d’interventions, entre 313 et 392, alors qu’aucune n’a été signalée au niveau de l’hôpital universitaire de la ville. A Marrakech, clinique Yasmine en a effectué 261, tandis que la clinique Anoual à Kénitra en a fait 254. A Casablanca, la clinique en a enregistré 195, tandis qu’Ibn Sina à Agadir en a compté 193 et Elmenzeh à Meknès 188, entre autres.

Les médecins du privé fustigent

Au vu des pourcentages sur un recours à la césarienne devenu presque systématique au lieu de rester l’exception, la CNOPS a ainsi exigé des praticiens privés de motiver dûment tout recours à cette intervention, au risque de la rembourser sur la base d’un accouchement par voie basse. Ce à quoi les gynécologues privés ont rétorqué par un refus, à partir du 1er mai, de recevoir les dossiers de la CNOPS. Ils informent ainsi les femmes enceintes adhérentes à la Caisse qu’elles devront désormais verser à la clinique 100% des frais d’accouchement, avant de déposer leurs dossiers auprès de l’assureur public et de se faire rembourser directement.

Une démarche qui profile un bras de fer entre les praticiens du privé et la CNOPS autour du tiers payant, puisque beaucoup de médecins recourent à cette pratique qui leur permet de faire accoucher plus de femmes en moins de temps, tout en touchant plus que dans le cas d’un accouchement par voie basse.

Les réactions des praticiens se sont succédées, comparant la démarche de la CNOPS à «une ingérence» dans la compétence des médecins, qui soulignent ne pas pouvoir refuser une césarienne à une patiente qui l’exige. Toujours est-il que cela n’est pas systématiquement le cas.

En 2015, Le Matin a ainsi pu recueillir des témoignages de femmes ayant opté pour cette formule, tandis que d’autres ont confié avoir dû verser des tarifs de césarienne pour pouvoir enfanter par voie basse, lorsqu’elles ne sont pas surprises de se retrouver devant un médecin qui leur impose l’opération à l’instant de leur accouchement, ou au cours de l’une de leurs dernières consultations.

Article modifié le 22/04/2019 à 19h43

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