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Grand Angle

Maroc : L’endométriose, une intimité mise à rudes épreuves

Encore méconnue, cette maladie affecte le quotidien des femmes qui en sont atteintes. Les douleurs physiques, souvent très vives, s’accompagnent également de rudes changements dans leur vie sociale, intime et professionnelle.

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Photo d'illustration. / DR
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Pour beaucoup, ce ne sont que de banales douleurs pendant les règles. Pour d’autres, en l’occurrence les principales intéressées, c’est une maladie invalidante, handicapante, qui va jusqu’à altérer sévèrement leur vie sociale, leurs ambitions professionnelles et leur désir de grossesse. Encore mal connue, l’endométriose touche en moyenne 10% des femmes en âge de procréer, toutes populations mondiales confondues. Cette maladie gynécologique inflammatoire se caractérise par la présence de cellules de l’endomètre, le tissu qui tapisse l’utérus, en-dehors de l’utérus.

«Sous l’effet des hormones (œstrogènes), au cours du cycle, l’endomètre s’épaissit en vue d’une potentielle grossesse, et s’il n’y a pas fécondation, il se désagrège et saigne. Ce sont les règles», explique l’Association française de lutte contre l’endométriose (EndoFrance). «Chez la femme qui a de l’endométriose, des cellules vont remonter et migrer via les trompes. Le tissu semblable au tissu endométrial qui se développe hors de l’utérus provoque alors des lésions, des adhérences et des kystes ovariens dans les organes colonisés. Cette colonisation, si elle a principalement lieu sur les organes génitaux et le péritoine, peut fréquemment s’étendre aux appareils urinaire, digestif, et plus rarement pulmonaire», ajoute-t-elle.

Au Maroc, il n’y a pas de statistiques propres à cette maladie. Difficile donc d’évaluer le nombre de femmes qui en sont porteuses, «même si on estime à 10% le taux de prévalence», nous indique Amine Bititi, gynécologue-obstétricien, chevronné sur les questions liées à cette maladie au Maroc. Un site dédié à cette maladie a été lancé ainsi qu'une page Facebook où les Marocaines peuvent échanger entre elles.

«Il est effectivement normal d’avoir des douleurs durant les règles pendant 24, 48 heures maximum. En revanche, ce n’est pas normal d’avoir de telles douleurs qu’on en vomit, qu’on est contrainte d’être hospitalisée, de s’en plaindre régulièrement, de manière récurrente et cyclique, et parfois même de ne pas pouvoir aller à l’école».

Amine Bititi

Dans 80% des cas, cette maladie se déclenche à l’adolescence dès les premières règles, précise le gynécologue-obstétricien.

Un quotidien complètement chamboulé  

Et il en faut du temps avant de mettre un mot sur les maux. Pendant des années, Ghizlane, 32 ans, diagnostiquée à l’âge de 19 ans, a «erré» avant de savoir de quoi elle souffrait. «J’ai toujours eu des règles terriblement douloureuses, avec des hospitalisations, des perfusions et des traitements qui, globalement, ne servaient à rien. Ça a toujours été très difficile. J’ai d’abord été opérée pour un kyste endométriosique énorme, qui mesurait 14 cm et se trouvait au niveau de l’ovaire. J’ai été en convalescence pendant trois semaines, avec des douleurs atroces, même après l’opération», témoigne-t-elle auprès de notre rédaction.

Elle décrit notamment «des douleurs pelviennes (partie basse de l’abdomen, ndlr) et des blocages dans les jambes qui [l’ont] empêchée de marcher pendant un temps». A l’époque, alors qu’elle étudie à Montpellier, elle écume les cabinets pour réaliser des IRM et des scanners. Si les médecins observent bel et bien un kyste au niveau des ovaires, ils n’accolent pas pour autant le mot «endométriose». Pire, ils lui diagnostiquent un cancer. Rentrée au Maroc, où elle est hospitalisée dans une clinique, le médecin qui la prend en charge ne cache pas son scepticisme. En réalité, Ghizlane souffre bel et bien d’une endométriose – le mot est enfin posé.

Malgré une mise sous ménopause artificielle en continu pendant cinq ans, dans le but d’atténuer les douleurs et de ralentir le développement de la maladie, les rechutes se succèdent «jusqu’à une grosse crise en 2013». D’un stade 2 de la pathologie, elle passe à un stade 4 (le stade 5 étant le maximum). Malgré une troisième opération, en France cette fois-ci, elle garde aujourd’hui des séquelles, notamment une névralgie très aigue qui fragilise sa jambe droite.

«Résultat : je ne peux plus avoir d’activités physiques, même des plus banales comme conduire un véhicule, je ne peux pas rester assise toute la journée à un bureau, me baigner dans l’eau froide, je suis branchée à un appareil anti-douleur avec quatre électrodes sur le ventre, quasiment en permanence.»

Ghizlane

Question fertilité, là aussi les difficultés s’accumulent. «A force d’opérer, on abîme les ovaires et par conséquent la réserve ovarienne», explique-t-elle.

Une maladie très longue à diagnostiquer

Pour Rita, le parcours médical fut également celui d’une combattante. Agée de 32 ans, elle a été diagnostiquée à 28 ans. «J’ai d’abord fait une IRM au Maroc, mais on ne m’a rien décelé. J’en ai fait une autre en France, chez un gynéco X, il ne m’a rien décelé non plus. Idem avec une cœlioscopie : les médecins n’ont rien trouvé. Au centre de l’endométriose de l’hôpital Paris Saint-Joseph, ils m’ont enfin diagnostiqué une endométriose sur la base de la même IRM que j’avais effectuée chez le gynécologue précédent. La lecture de l’imagerie est fondamentale.»

Rita insiste : «L’endométriose, ce n’est pas qu’une histoire de douleurs de règles. Ça peut toucher l’intestin, les poumons, l’estomac, le système nerveux. On peut être complètement invalide du jour au lendemain. Moi j’ai perdu l’usage de mes jambes pendant quelques mois. J’avais des douleurs tellement lancinantes que je ne pouvais plus marcher.»

Sans compter les effets secondaires provoqués par la prise de pilule pour diminuer les lésions et freiner l’ovulation.

«On oublie tous les effets secondaires des pilules, qui sont parfois plus violents que les maux physiques. J’ai dû en essayer entre 8 et 10 au cours des trois dernières années. On est dans une quête perpétuelle de bien-être et d’ajustement. J’ai dû arrêter de travailler alors que j’étais carriériste, ambitieuse.Je le dis aujourd’hui: cette maladie a basculé ma vie.»

Rita

Amine Bititi est formel. «La pilule calme la douleur mais ne freine pas l’évolution de la maladie. C’est une maladie hétérogène de par la localisation, l’aspect clinique, les symptômes qu’elle occasionne. Il n’y a pas une mais des endométrioses, et chaque femme a la sienne», nous explique-t-il.

Pour Rachid Bezad, professeur de gynécologie-obstétrique et directeur de la maternité des Orangers au CHU de Rabat, «cette maladie se caractérise par le fait qu’elle n’a pas de signes spécifiques à elle». «C’est une maladie qui traîne longtemps avant de parvenir à son diagnostic. Elle se manifeste par plusieurs types de douleurs de différente intensité, ce qui prête à confusion chez les femmes qui en sont atteintes», souligne le spécialiste.

«Il y a plusieurs tableaux cliniques : ça va de l’endométriose inapparente, qui ne pose aucun problème mais qui est bien là, jusqu’à l’endométriose handicapante. C’est pour cela que les statistiques ne peuvent pas refléter cette maladie et que les femmes mettent beaucoup de temps à être diagnostiquées.»

Rachid Bezad

De son côté, Amine Bititi estime entre 7 et 10 ans le nombre d’années avant d’établir un diagnostic fiable.

Article modifié le 11/04/2019 à 14h52

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