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Grand Angle

Les chrétiens marocains commentent la visite du pape François

En visite au Maroc le week-end dernier, le pape François a mis en garde les chrétiens vivant dans le pays contre le prosélytisme. De son côté, le roi Mohammed VI a dit protéger «les juifs marocains et les chrétiens d’autres pays qui vivent au Maroc», en tant que commandeur des croyants. Autant de sorties qui ont fait réagir des chrétiens nationaux.

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Le pape François lors de la messe donnée au stade Moulay Abdellah à Rabat, le 31 mars 2019 / Ph. vaticannews.va
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En visite samedi et dimanche derniers au Maroc, le pape François a rencontré les communautés catholiques étrangères vivant au Maroc. A Rabat, il a expliqué aux fidèles que l’important n’était pas d’agrandir leurs rangs mais d’incarner au mieux les valeurs de l’Eglise, expliquant ainsi que le prosélytisme «conduit toujours à une impasse». La veille, le roi Mohammed VI a indiqué dans son discours qu’en sa qualité de commandeur des croyants, il protégeait «les juifs marocains et les chrétiens d’autres pays qui vivent au Maroc».

Autant dire que la question des Marocains de confession chrétienne n’a pas été évoquée lors de cette visite, bien que les concernés aient précédemment écrit au pape François. Ainsi, Mustapha Soussi, un Marocain chrétien, affirme à Yabiladi que «cette visite est politique et économique plus que spirituelle, bien que le pape représente une institution religieuse». Pour lui, l’évènement est historique, mais «il n’envoie pas de signes positifs pour les Marocains de confession chrétienne, d’autant plus que le pape ne s’adresse qu’aux chrétiens étrangers» vivant dans le royaume, contrairement à ce qui a été rapporté par certains médias.

Le pape ne s’est pas adressé aux chrétiens marocains…

Coordinateur au sein de la Coordination nationale des chrétiens marocains, Zouhair Doukkali trouve «déplorable» que «personne ne parle de ces citoyens». «Cependant, il faut rappeler que le pape n’est pas notre référence : il représente le Vatican et symbolise le catholicisme, alors que notre unique référence dans notre culte est le livre saint et non pas les propos de représentants religieux», souligne le militant, contacté par Yabiladi.

«C’est à nous de défendre nos droits, de les obtenir et de faire entendre nos revendications auprès de l’Etat marocain, sans attendre que cela vienne d’un tiers», soutient pour sa part Mustapha Soussi, qui dit s’être préparé à ne rien attendre de la visite papale depuis son annonce. En cause, selon lui, «le pape est toujours rattrapé par ses responsabilités politiques en tant que représentant du Vatican, plus que par ce qu’il représente au sein de l’Eglise».

«Le pape s’adresse aux étrangers vivant au Maroc car il est tenu de faire respecter un accord bilatéral avec le royaume, en vertu duquel les préposés catholiques venus d’ailleurs sont là dans le cadre d’actions sociales et d’initiatives caritatives, mais ne doivent pas influencer les habitants locaux de manière à les faire changer de religion.»

Mustapha Soussi

Membre du comité exécutif du centre MADA pour les études et les recherches en sciences humaines, Mohamed Saïd souligne qu’«être chrétien marocain ne signifie pas automatiquement être catholique». «Si le discours papal s’adresse aux catholiques, c’est une raison de plus de ne pas nous sentir concernés, en tant que protestants évangéliques», ajoute-t-il. «Nos revendications ne revêtent pas un autre aspect que celui des droits humains et nous ne pouvons donc pas être concernés par les propos du pape, surtout lorsqu’il évoque la question du prosélytisme», considère Mohamed Saïd.

«Si quelqu’un est convaincu et se convertit au christianisme, c’est de son plein droit et pour notre part, nous agissons en toute conformité avec l’article 220 du Code pénal marocain, qui punit l’emploi de "moyens de séduction dans le but d’ébranler la foi d’un musulman ou de le convertir à une autre religion"», ajoute encore le chercheur. Et d’affirmer que les nationaux de confession chrétienne «ne tentent de séduire personne».

«Si en revanche un non-chrétien marocain, majeur de surcroît, vient vers moi et me pose des questions sur mon culte, le fait de lui répondre entre-t-il dans le cadre d’une quelconque séduction ? La réponse est non !», s’exclame Mohamed Saïd, ajoutant que «si le fait de répondre à ses questions ébranlent sa foi, le problème ne vient pas de moi qui lui ai parlé de mes croyances, mais de sa foi qui est ébranlable au détour d’une discussion».

... Le roi Mohammed VI non plus

Mustapha Soussi considère que sur les termes du discours royal, il faut plutôt «tenir compte des déclarations du roi Mohammed VI dans d’autres contextes et à d’autres occasions, comme lors de sa visite en 2016 à Madagascar, où il a clairement dit qu’il était le commandeur des croyants de tous les Marocains, quelles que soient leurs religions et leurs croyances». Pour lui, «qu’on le veuille ou non, personne ne peut nier des faits historiques confirmant que le christianisme a été présent au Maroc à travers les siècles, avant même l’islam».

Mais Mohamed Saïd, lui, n’est pas de cet avis. Il considère que «le roi a expressément dit protéger les juifs marocains et les chrétiens étrangers ; cela n’inclut donc pas les chrétiens marocains». «S’il ne nous protège pas, en tant que citoyens marocains, ce n’est pas notre commandeur des croyants à nous. Mais en tant que chef de l’Etat, nous avancerons avec lui dans ce débat en bonne entente politique et par le prisme de la protection des droits humains que nous défendons et que nous obtiendrons», affirme le chercheur.

«C’est un message que j’adresse directement au roi en tant que chef d’Etat, dans le respect de ses prérogatives définies par l'article 42 de la Constitution. Ce dernier discours dénote d’une non-reconnaissance de la présence chrétienne locale au Maroc depuis des siècles, ce qui, dans l’absolu, peut représenter un danger pour les vies de milliers de nationaux qui revendiquent aujourd’hui leur chrétienté.»

Mohamed Saïd

De son côté, Zouhair Doukkali tient à rappeler que cette visite «a une grande symbolique diplomatique et politique», bien que la Coordination des chrétiens marocains soit consciente que «le changement ne viendra pas avec une prise de position du pape mais avec un combat pour les droits de l’exercice du culte, ce qui est un long processus».

Rejoignant l’idée que ces revendications ne revêtent pas un aspect politique, le militant rappelle ce que les Marocains de confession chrétienne veulent faire valoir comme droits : «Un mariage religieux chrétien, la possibilité d’inhumer les morts selon le rite adéquat et non pas dans des cimetières musulmans, d’exercer le culte dans les églises marocaines, de donner des prénoms chrétiens aux enfants ainsi que l’enseignement optionnel de l’éducation religieuse dans les établissements publics et privés, pour que les élèves choisissent eux-mêmes s’ils veulent étudier le christianisme ou l’islam.»

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