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Des politiques publiques en deçà des droits des personnes en situation de handicap ! [Tribune]

A la veille de la Journée nationale des personnes en situation de handicap au Maroc, Idir Ouguindi, acteur associatif et membre fondateur de l’Amicale marocaine du handicap (AMH) pour l’inclusion de ces personnes au sein de la société, lance un appel pour que les politiques publiques intègrent à part entière ces citoyens dans le tissu économique et éducatif. 

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Photo d'illustration / Ph. DR.
Temps de lecture: 5'

Le Maroc célèbre la Journée nationale des personnes en situation de handicap, le 30 mars de chaque année. Cette date est une occasion pour contribuer à la sensibilisation aux droits de cette frange de la société, mais aussi une opportunité pour évaluer les politiques et les programmes menés dans le domaine du handicap au niveau national.

En 2019, le Maroc revoit toute sa politique de ciblage. Ce dernier désigne la concentration sur les populations les plus pauvres ou les plus vulnérables des ressources des programmes de lutte contre la pauvreté. Ainsi, lors du conseil gouvernemental du 31 janvier 2019, le ministre de l’Intérieur a présenté le projet de loi sur du Registre social unifié (RSU) qui s’inscrit dans le cadre de l’application des orientations royales. Il s’agit, selon le ministre, de jeter les bases juridiques, réglementaires et de pilotage de ce projet destiné à restructurer le système de protection sociale. C’est un début prometteur, susceptible d’entraîner un accroissement progressif du rendement des programmes sociaux, à court et à moyen terme.

La plus grande crainte des personnes en situation de handicap et de leurs familles est que le handicap risque encore une fois d’être le maillon faible de cette politique de ciblage et que le fossé se creuse davantage entre les actions engagées par le gouvernement et les attentes prioritaires de plus de 2 640 000 personnes concernées et de leurs proches, le handicap représentant souvent un coût élevé pour les foyers. Pour autant, celui-ci est rarement considéré comme tel et ne fait pas l’objet d’une aide spécifique. Pire, cette marginalisation devrait s’accentuer dès que l’Etat procèdera à une politique de ciblage des aides qui devrait entrer en vigueur en 2020.

La grande crainte est de voir les règles du RSU focalisées uniquement sur le critère du revenu alors qu’il n’existe aucun moyen de déterminer statistiquement celui-ci. Concernant l’importance d’inclure le handicap dans les critères de sélection relatifs au dispositif de ciblage des ménages habilités à bénéficier d’un appui social, il n’existe pas à ce jour de mécanisme spécifique et harmonisé de compensation pour les personnes en situation de handicap au Maroc. L’accès de ces personnes aux dispositifs de protection sociale reste problématique.

Même si des avancées ont eu lieu, trop de sujets primordiaux sont encore mis de côté et les droits fondamentaux des personnes en situation de handicap sont toujours bafoués !

Une protection sociale fragmentée et des discriminations qui perdurent

  • L’accès à l’emploi : le chômage des personnes en situation de handicap est toujours en augmentation. L’insertion professionnelle des personnes à besoins spécifiques constitue un défi majeur. L’analyse de l’état des lieux révèle que l’accès à l’emploi des personnes en situation de handicap reste très limité. Leur taux de chômage est six fois plus élevé que celui des non-handicapés. Le cadre juridique garantit insuffisamment le droit des personnes en situation de handicap d’avoir un emploi : le quota de 7% dans le secteur public n’est pas appliqué et le quota dans le secteur privé n’est pas fixé.
  • Les accessibilités : des retards et des lacunes incessants. Il reste encore beaucoup à faire pour rendre les administrations, les commerces, les écoles, les habitations, les transports et la voirie accessibles à toutes les personnes en situation de handicap.
  • La compensation : aucune prise en charge du handicap n’est prévue. Les personnes en situation de handicap font face à un ensemble de charges et de surcoûts liés à leur situation. Le handicap accentue la pauvreté et cette dernière aggrave le handicap. Cette relation de cause à effet fait que, dans de nombreux cas extrêmes de pauvreté et de précarité, les personnes en situation de handicap ou leurs familles restent incapables de subvenir à leurs besoins de base (manger, se loger, se vêtir, etc.).
  • L’éducation : une école encore loin d’être inclusive. Selon l’UNICEF, le taux de scolarisation des enfants en situation de handicap au primaire ne suit pas la tendance de la moyenne de scolarisation nationale. Si l’accès au primaire des enfants non handicapés de 6 à 11 ans atteint plus de 98 %, celui des enfants en situation de handicap n’est que de 37,8%. Les données du dernier recensement de la population et de l’habitat de 2014 révèlent que 70% des personnes handicapées n’ont aucun niveau scolaire et seulement 4,6% ont fréquenté le préscolaire, 8,5% ont atteint le secondaire, et seulement 1,5% ont atteint le niveau supérieur.
  • Santé : un accès aux soins difficiles. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) vient de publier un rapport sur le sort réservé aux personnes en situation de handicap au Maroc. Il indique que 55,3% des Marocains en situation de handicap n’ont pas accès aux services de santé. 21,3% n’ont pas accès aux médicaments. L’OMS indique aussi que 52,5% de cette population à besoins spécifiques ont besoin d’aides matérielles pour subvenir, au quotidien, à leurs besoins de première nécessité. Le rapport relève que le Maroc compte un seul médecin spécialisé pour 10 000 personnes en situation de handicap. Il est largement devancé par nombre de pays, dont la Tunisie où ce ratio est de 2 médecins spécialisés pour 10 000 patients. Les personnes handicapées rencontrent toute une série d’obstacles lorsqu’elles essaient d’accéder aux soins de santé.
  • Handicap et pauvreté : la plupart des champs de vulnérabilité se renforcent l’un et l’autre. La pauvreté et les faibles niveaux d’instruction freinent l’accès aux soins favorisant ainsi les complications des troubles de santé. Ces derniers limitent le développement des relations et la participation sociale, essentielles pourtant à l’intégration des personnes en situation de handicap. Ces mêmes troubles restreignent l’accès à l’éducation et à l’emploi entraînant précarité et aggravation des situations de handicap.

Les personnes en situation de handicap sont quasiment unanimes pour déclarer la pauvreté et les difficultés d’accès aux soins, comme les principales difficultés auxquelles elles doivent faire face. Elles attendent principalement de la part de l’Etat une meilleure sécurité financière (83,5%) et un meilleur accès aux soins (37,5%), comme fondements pour résoudre l’ensemble des autres problèmes.

L’attente des personnes en situation du handicap et de leurs familles au Maroc est de faire du handicap la priorité de ce RSU. Nous espérons et nous attendons donc du gouvernement des propositions et un calendrier politique qui soient à la hauteur des attentes prioritaires des personnes en situation de handicap et de leur famille et que leurs droits fondamentaux soient respectés.

Sur cette base, il est très souhaitable d’installer un mécanisme institutionnel innovant consistant à la création d’un fonds de soutien dans le cadre du budget de l’Etat, réservé aux financements des initiatives destinées à améliorer les conditions de vie des personnes en situation de handicap à travers l’octroi :

  1. d’une allocation de compensation en faveur des familles nécessiteuses, ayant à charge un ou plusieurs enfants en situation de handicap, destinée à couvrir les surcoûts liés au handicap et aux pertes de revenus que cela peut engendrer au sein de la famille ;
  2. d’une allocation pour les adultes en situation de handicap sans emploi salarié, garantissant un revenu minimum de subsistance et permettant de créer les conditions d’une participation sociale effective en accordant une attention particulière aux personnes âgées en situation de handicap ;
  3. comme tout contribuable, les personnes handicapées sont susceptibles d’être redevables de l’impôt sur le revenu et des impôts locaux. Néanmoins, la règlementation fiscale doit leur accorder des allègements et un abattement sur le revenu imposable. Les contribuables qui ont à leur charge une personne handicapée doivent bénéficier également d’allègements fiscaux.

Visiter le site de l'auteur: http://www.groupeamh.org/

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Idir Ouguindi
Membre fondateur de l’Amicale marocaine du handicap
Militant associatif et membre fondateur de l’Amicale marocaine du handicap.
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