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Grand Angle

Daesh : Les confessions d’un «diplomate» marocain qui devait rencontrer Erdogan

A l’issue de cinq heures d’échange avec l’ingénieur marocain «Abou Mansour», qui a rallié la Syrie en 2013, la plateforme américaine Homeland Security Today publie un long témoignage. Détenu en Irak, le djihadiste explique en quoi a consisté son rôle de coordinateur avec les services turcs au sein de Daesh.

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Des soldats irakiens à Ramadi, le 21 mai 2014 / Ph. Azhar Shallal (AFP)
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En février dernier, la directrice du Centre international pour les études sur l’extrémisme violent (ICSVE) basé à Washington, Anne Speckhard, ainsi que le directeur de recherches Ardian Shajkovci, ont rencontré en Irak un ingénieur marocain du nom d’«Abou Mansour». Ils ont relayé son témoignage il y a quelques jours sur la plateforme d’information collaborative Homeland Security Today, dans lequel le djihadiste détaille ses activités au sein de Daesh depuis son arrivée en Syrie en 2013.

Ainsi, ce dernier explique que sa fonction principale a été celle de chargé des affaires internationales, notamment des relations entre le groupe terroriste et les services secrets turcs. Une tâche pour laquelle il a été choisi après être passé par Idlib, où il avait été initialement chargé d’accueillir de nouvelles recrues. En effet, cette ville a été son point d’arrivée après son départ de Casablanca, en transitant via Istanbul.

A ce moment-là, les divergences s’accentuent entre Al Nusra et les premières factions de Daesh. «Abou Mansour» explique s’être retrouvé du côté de la nouvelle nébuleuse islamiste, qui le charge de la réception des combattants à la frontière avec la Turquie.

Un «émir» de Daesh

«Abou Mansour» dit avoir dirigé des opérateurs rémunérés par Daesh en Turquie pour accueillir lesdits combattants et les guider d’Istanbul aux villes frontalières, à savoir Gaziantep, Antakya et Sanliurfa, entre autres. Il explique que les djihadistes étrangers venaient de plusieurs pays, mais principalement d’Afrique du Nord. Selon lui, entre 2013 et 2015, le nombre d’Européens ayant rallié Daesh a été de 4 000, tandis que les Tunisiens auraient été 13 000 et les Marocains 4 000. «Il y avait moins de 1 000 Libyens car Daesh était déjà installé là-bas», explique-t-il, confirmant par ailleurs les estimations internationales sur les nationalités présentes en Syrie.

Actuellement détenu, le djihadiste ne remplit plus ses missions au sein de Daesh, mais affiche encore son appartenance et esquisse un sourire lorsqu’il affirme être un «émir» au sein du groupe terroriste. «Au début, j’enregistrais les gens, puis je suis devenu le superviseur. J’étais l’émir», dit-il aux chercheurs. «J’ai eu plusieurs réunions directes avec le MIT [l’organisation nationale du renseignement turc]», affirme le détenu. 

La plupart des meetings se tiennent en Turquie, dans des postes militaires ou des bureaux de représentants à Ankara et à Gaziantep, «parfois de manière hebdomadaire, en fonction de la situation sur le terrain». Depuis Raqqa en 2015, «Abou Mansour» s’occupe aussi des accords «entre les renseignements turcs et Daesh concernant la gestion des frontières», notamment pour faciliter le transfert des djihadistes blessés dont le cas nécessite un dispositif clinique important. Daesh prenait en charge les frais de ces soins, mais il est arrivé à des hôpitaux publics turcs de traiter les blessés gratuitement.

Le négociateur principal auprès d’Istanbul

Pour avoir rencontré des responsables turcs même à Istanbul, «Abou Mansour» va jusqu’à se considérer comme un «ambassadeur» de Daesh. «J’ai franchi les frontières et ils m’ont laissé passer, affirme le djihadiste. Là-bas, les Turcs m’ont toujours envoyé une voiture et mon trajet était sécurisé. Une équipe de deux à trois personnes m’accompagnait». «Abou Mansour» raconte aussi avoir rencontré «des hauts responsables de toutes les branches de la sécurité du gouvernement qui négociaient des accords» avec lui.

«C’est une chose nouvelle que de créer un Etat et de le séparer du monde extérieur. Les négociations n’ont pas été faciles. Ça a pris du temps», avance-t-il. Au fur et à mesure de l’échange avec les deux chercheurs, il évoque son influence «diplomatique» au nom de Daesh, qui s’étendrait jusqu’au président turc lui-même. «J’étais sur le point de le rencontrer mais ça ne s’est pas fait. L’un de ses officiers du renseignement a indiqué qu’Erdogan voulait me voir en privé, mais cela ne s’est finalement pas fait», souligne-t-il.

Interrogé sur les négociations pour la libération de ressortissants turcs, notamment des diplomates, après la prise de Mossoul par Daesh, «Abou Mansour» explique que le processus s’est déroulé en Syrie, d’autant plus que «la préparation de la prise de Mossoul ne s’est pas faite du jour au lendemain mais a pris plusieurs jours». Il assure ne pas avoir réclamé de rançon en échange de la libération des employés consulaires d’Istanbul en Irak, et que Daesh a exigé un échange de prisonniers. «Le MIT connaît leurs noms», souligne-t-il, précisant que 500 djihadistes ont été remis au groupe terroriste.

Ce témoignage, dont il ressort qu’«Abou Mansour» n’exprime aucun regret sur son engagement au sein de Daesh, est publié au moment où la question du retour des djihadistes dans leurs pays d’origine se pose au sein de plusieurs Etats. Après avoir longtemps botté en touche sur le sujet, Rabat a annoncé, le 10 mars dernier, le rapatriement de huit nationaux dans ce cadre. Les avis réticents sur ce processus mettent en avant le fait que ces individus représentent des cellules de renaissance de Daesh depuis leurs pays, tandis que des associations prônent ce retour arguant que cette démarche n’est pas une amnistie mais les soumet à une enquête antiterroriste. 

Article modifié le 25/03/2019 à 15h41

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