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Grand Angle

France : Une étude démontre l’impact négatif de la loi contre le voile sur les écolières

Après le vote de la loi contre le voile à l’école en 2004 en France, l’autonomie des jeunes filles aurait été réduite. C’est ce que déduisent deux chercheuses de l’université de Stanford dans une étude d’impact quant à l’interdiction du port du voile, ou d’autres symboles religieux, dans le milieu scolaire.

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Une femme du Collectif contre l'islamophobie en France, à Paris, 10 octobre 2012 / Ph. Thomas Samson (AFP)
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En février 2004, la loi encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics a été votée par une forte majorité à l’Assemblée nationale française : 494 députés l’ont approuvée contre 36, dont les élus communistes, ainsi que quelques parlementaires de l’UMP et du PS dont Christiane Taubira.

Quinze ans plus tard, les chercheuses Aala Abdelgadir et Vasiliki Fouka, du département de sciences politiques à l’université de Stanford, s’intéressent aux effets de cette loi dans leur publication intitulée «Political Secularism and Muslim integration in the West : Assessing the Effects of the French Headscarf Ban» (en français, «Laïcité et intégration des musulmans en Occident : évaluation des effets de l’interdiction du voile en France»).

«Face à la montée des flux migratoires et aux inquiétudes sur la radicalisation islamique, plusieurs pays occidentaux ont adopté des politiques visant à restreindre l’expression religieuse et à mettre l’accent sur la laïcité et les valeurs occidentales», indiquent les chercheuses dans leur introduction. Selon elles, «il existe peu de preuves systématiques de la manière dont de telles politiques influencent le comportement des minorités religieuses qu’elles visent».

Un bilan mitigé sur les conséquences de la loi

Les auteures disent avoir constaté que contrairement à l’effet escompté, cette loi a contribué à la réduction du niveau d’instruction secondaire des filles musulmanes et a influé négativement sur leurs trajectoires de vie adulte (intégration dans le monde professionnel, composition familiale à long terme…), rendant par ailleurs incompatibles religion et identités nationales.

L’enquête distingue deux groupes : le premier est constitué de filles dont le père est né dans un pays d’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient et dont «la probabilité est forte qu’elles soient élevées dans la religion musulmane». Le second se compose de celles «dont le père est né dans d’autres régions du monde à la population musulmane moins importante».

Selon le document, les disparités entre les femmes musulmanes et non-musulmanes dans l’enseignement secondaire ont plus que doublé depuis l’entrée en vigueur du texte. «Nous pouvons attribuer à la loi une augmentation différentielle du nombre de femmes musulmanes n’ayant pas achevé leurs études secondaires de 3,9 points, ce qui correspond à 20% de la part globale des femmes sans enseignement secondaire dans notre échantillon», indique la même source.

Une loi qui a polarisé les identités

Cette enquête démontre que la chute du niveau d’instruction dans le secondaire est deux fois plus importante chez les femmes dont les deux parents sont nés dans des régions majoritairement musulmanes, que chez celles dont le père est musulman mais pas la mère. En effet, les chercheuses expliquent que l’origine parentale influe beaucoup. «En portant le foulard, ces filles sont tiraillées entre l’identité familiale et le modèle laïque français plus que celles issues de mariages mixtes», indiquent-elles.

En l’occurrence, l’étude montre que même si le taux d’obtention du baccaulauréat est resté inférieur pour les filles du premier groupe, jusqu’en 2004, il a connu une augmentation régulière qui l’a rapproché de celui de la population générale. En revanche, le chiffre a brutalement baissé «pour les jeunes filles d’origine musulmane nées après 1984, et donc encore scolarisées lorsque la loi est entrée en vigueur».

Par conséquent, «le nombre de jeunes filles déclarant avoir été victimes de racisme ou de discrimination s’est accru», la confiance dans les écoles «a diminué» et «le sentiment d’identité nationale» s’est renforcé. Dans ce sens, les interrogées expriment «un attachement plus fort au pays d’origine» et paradoxalement «à leur identité française» aussi.

«En poussant chacune à se définir selon cette dimension, la loi pourrait avoir contribué à renforcer l’importance de la question identitaire, et encouragé une forme de polarisation», analyse ainsi pour Libération Pierre-Yves Geoffard, professeur à l’Ecole d’économie de Paris et directeur d’études à l’EHESS. Quant aux différences de parcours à l’âge adulte entre celles ayant parachevé leur scolarité avant l’entrée en vigueur de la loi et les autres, elles restent importantes et indiquent que cette dernière catégorie comprend plus de femmes inactives, mère de plusieurs d’enfants, vivant souvent chez leurs parents et n’exerçant pas un emploi stable.

Cette étude étant l’une des premières à se pencher sur la question, Pierre-Yves Geoffard considère que d’autres devront suivre «pour que ces résultats puissent être solidement validés». Selon lui, si ces derniers se confirment, «ils montrent que, loin d’avoir contribué à l’émancipation de ces jeunes filles, l’interdiction du voile à l’école a bien au contraire réduit, et de manière durable, leur autonomie».

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