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Grand Angle

Monde : De plus en plus de droits politiques pour les émigrés (mais pas trop)

En mettant en oeuvre une politique spécifique pour sa diaspora le Maroc a fait figure de pionnier. En rechignant à lui accorder des droits politiques, le royaume retrouve le concert des nations.

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La foule est venue en masse voter, dimanche 23 octobre, aux consulats de Tunisie à Marseille et Paris. Les  Tunisiens de l’étranger, répartis en 6 circonscriptions à travers le monde, ont été appelés, comme tous les citoyens tunisiens, à élire les députés de l’Assemblée constituante de Tunisie. Le pays a ainsi rejoint le groupe des Etats - auquel appartient également l’Algérie - qui accordent des droits politiques à leurs ressortissants : un droit de vote directement depuis leur pays de résidence, le droit d’élire des députés spécifiques voire le droit d’être élus.

«Très récemment, plusieurs pays ont accru les droits civiques de leurs émigrés. L’Italie, en 2006, leur a accordé   le droit de vote. La réforme constitutionnelle de 2008 a également donné le droit aux Français de l’étranger d’élire, dès 2012, des députés spécifiques, alors qu’ils n’étaient jusque là représentés que par des sénateurs», énumère Gérard François Dumont, professeur à la Sorbonne, à Paris et spécialiste des migrations. «Le Maroc et le Mexique ont été les pionniers, ils ont été les premiers à accorder des droits à leurs émigrés»,  souligne Thomas Lacroix, chercheur à l’Institut international des migrations.

Diasporas.

«Il s’agit d’un  phénomène nouveau lié à la nouvelle logique migratoire : les effectifs des diasporas vont croissant», explique  Gérard François Dumont. La taille des diasporas est un facteur déterminant de l’attitude des Etats d’origine à leur égard. «Les tentatives  de (ré)inclusion [des émigrés] sont exprimés [par les gouvernements] par un haut niveau rhétorique célébrant  les émigrants comme des héros nationaux et en leur accordant des prix et des attentions particulières.

Souvent, cette attitude représente un changement soudain et radical par rapport à un discours passé accusant les émigrés d’être des déserteurs – comme au Mexique, au Maroc ou en Chine», explique Alan Gamlen, chercheur en géographie des migrations, à l’université Victoria de Wellington, en Nouvelle Zelande, dans son article «Les politiques qui s’occupent des diasporas : Que sont-elles ? Quels types de pays les utilisent ?»

L’acquisition de droits civiques par les diasporas a été rendue possible par la démocratisation de leurs pays d’origine. En miroir, les émigrés ont dû parvenir à se percevoir eux-mêmes comme un groupe ayant des intérêts voire des objectifs communs pour obtenir ces droits. «Un facteur clé est donc la capacité de la société civile diasporique à formuler  des demandes propres et des objectifs distincts de ceux de la société civile de leur pays d’origine», souligne également Thomas Lacroix. «Dans les années 1980, les émigrés marocains se divisaient entre pro et  antimonarchistes. Dans les années 1990/2000 est apparue un tiers secteur qui n’était pas politisé», détaille-t-il.

Ces éléments constituent le contexte propre à la tendance à l’élargissement des droits des émigrés dans leurs  pays d’origine, mais ils n’en sont pas la cause directe. «De 1999 à 2009, le niveau des transferts d’argent, dans le monde a été multiplié par 4. De 100 milliards de dollars, il est passé à près de 400 milliards de dollars, en 10 ans (3 281 milliards de dirhams)», souligne Thomas Lacroix. Les Etats qui avaient subi une forte émigration ont pris conscience de tous les avantages qu’ils pouvaient tirer de leur diaspora.

Outil diplomatique

«Les Etats espèrent que leurs politiques actives à l’égard de leur diaspora leur permettront de gérer leurs manoeuvres politiques et économiques en tirant partie à la fois de la puissance de leurs expatriés pour élever leurs intérêts propres sur la scène internationale et en exerçant un contrôle sur les dynamiques transnationales urbaines par le biais d’un rapprochement avec la société civile des émigrés», explique Alan Gamlen dans son article.

Il prend pour exemple la Turquie qui a tenté de recourir à sa diaspora pour soutenir son entrée dans l’Union européenne. La Nouvelle Zélande voit également son engagement auprès de sa diaspora comme un  moyen de conserver son rang au sein du classement des pays de l’OCDE. Gérard François Dumont, ajoute, dans  son article «Un nouvel acteur géopolitique : la diaspora indienne», «en 2007, la diaspora indienne a plaidé auprès des sénateurs américains en faveur de la signature de l’accord sur le nucléaire civil avec New Delhi, ce qui  lui a valu les remerciements du Premier ministre indien, Manmohan Singh.»

L’atout que représente la diaspora se paie, pour leurs Etats d’origine, en droits, voire en droits politiques. «Peu  d’Etats accordent un droit de vote inconditionnel et/ ou permanent à leurs expatriés, fournissent des  représentations dédiées dans l’assemblée législative, ou permettent aux expatriés d’être élus, note Alan Gamlen. Plutôt que d’intégrer purement et simplement «leur» diaspora, les Etats semblent faire le minimum et  n’accordent pas plus de droits politiques que nécessaire par rapport à leurs objectifs.» Le Maroc ne fait pas  exception.

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