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Grand Angle

Le récit d’Omar ibn Saïd, unique histoire écrite en arabe sur l’esclavage aux Etats-Unis

L’autobiographie d’Omar ibn Saïd, un érudit africain conduit de force en Amérique au XIXe siècle, est la seule rédigée en arabe par un homme confiné dans sa condition d’esclave.

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Omar Ibn Saïd, un érudit musulman esclave en Amérique. / DR
Temps de lecture: 3'

La bibliothèque du Congrès américain a annoncé avoir acquis le récit d’un esclave africain rédigé en arabe, indique le Washington Post. Il appartenait à un collectionneur afro-américain réputé, Derrick Beard, décédé en juillet 2018 à Las Vegas à l’âge de 59 ans. De confession musulmane, il possédait le manuscrit depuis vingt ans et sillonnait les Etats-Unis pour le faire découvrir.

Il avait entre ses mains les mots d’Omar ibn Saïd, érudit musulman qui fut enlevé en Afrique de l’Ouest en 1807. En 1831, alors que peu d’esclaves aux Etats-Unis savaient lire et écrire, lui rédigea ce qui est aujourd’hui considéré comme le seul récit d’esclaves de ce type qui demeure, de surcroît écrit en arabe. «A notre connaissance, il s’agit du seul manuscrit d’un esclave en arabe qui existe encore et qui ait été écrit aux Etats-Unis par un esclave», selon Mary-Jane Deeb, cheffe de la division Afrique et Moyen-Orient de la bibliothèque du Congrès. Son récit est bref, fragmenté et subversif : il s’ouvre par la sourate 67 du Coran, qui énonce que Dieu domine toutes choses. «Il a choisi celle-ci parmi toutes celles du Coran», précise-t-elle. «Dans l’Islam, tout appartient à Dieu. Personne n’est vraiment propriétaire, le choix de ce verset est donc extrêmement important. C’est une critique fondamentale du droit de posséder un autre être humain», souligne Mary-Jane Deeb.

«Omar ibn Saïd n’a pas seulement cité la sourate Al Mulk pour dénoncer l’esclavage, mais aussi pour jouer un rôle symbolique dans cette résistance. Dans cette sourate figure un verset qui décrit la souffrance et la torture en enfer de ceux qui n’acceptent pas le message du prophète Muhammad», lit-on dans «A Muslim American Slave : The Life of Omar ibn Saïd».

Une page de l’autobiographie d’Omar ibn Saïd, écrite en arabe en 1831, dans laquelle il décrit son enlèvement et son transfert en Caroline du Sud. / Ph. Bibliothèque du Congrès américainUne page de l’autobiographie d’Omar ibn Saïd, écrite en arabe en 1831, dans laquelle il décrit son enlèvement et son transfert en Caroline du Sud. / Ph. Bibliothèque du Congrès américain

«Ma religion était celle d’Allah»

«Je m’appelle Omar ibn Saïd. Je suis né à Fut Tur [une région qui correspond aujourd’hui au Sénégal, située entre le fleuve Sénégal et le fleuve Gambie, ndlr]. J’ai soif de connaissance depuis 25 ans et je la recherche encore aujourd’hui. Un jour, une grande armée est arrivée dans notre pays. Elle y a tué de nombreuses personnes. Elle m’a pris et m’a vendu à un homme chrétien qui m’a emmené sur un grand navire», raconte l’homme.

Ces faits se sont déroulés vers 1807. Ibn Saïd avait alors 37 ans et après vingt-cinq ans à la recherche du savoir. «Il a certainement dû apprendre la philosophie, la théologie et l’astronomie», d’après Mary-Jane Deeb. «C’est ce que vous attendez de ceux qui vont au-delà de la lecture, de l’écriture et de l’apprentissage du Coran par cœur.»

L’érudit raconte encore son quotidien avant son arrivée sur le continent américain : «Avant ma venue au pays des Chrétiens, ma religion était celle de Mohamed, le prophète d’Allah. Qu’Allah le bénisse et lui accorde la paix. J’allais à la mosquée avant l’aube, je lavais ma figure, ma tête, mes mains, mes pieds. J’effectuais les prières de la mi-journée, de la fin de l’après-midi, du coucher du soleil et de la nuit. Je donnais l’aumône chaque année en or, argent, en récoltes et bétail : moutons, chèvres, riz, blé et orge … Je m’engageais chaque année au djihad contre les infidèles. J’allais à La Mecque et à Médine comme l’ont fait ceux qui en avaient les moyens.»

Ecrit sur du papier à l’encre de fer et avec une couverture de papier marron, le manuscrit met en garde contre les punitions ardentes de Dieu, tout en reconnaissant le «bon» traitement de l’auteur par ses propriétaires. «C’est très important pour de nombreuses raisons», estime Mary-Jane Deeb. «C’est une autobiographie écrite par un esclave alors qu’il était encore esclave. Il n’est pas un homme libéré. Il meurt esclave.» Omar ibn Saïd mourut en effet en 1864, un an avant la fin de la guerre de Sécession et l’abolition de l’esclavage en 1865.

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