La bataille d'El Hri, appelée également Affaire de Khénifra dans le jargon militaire de l'armée française, est un affrontement armé entre la France coloniale et les hommes de Moha Ouhammou Zayani. Une bataille lors de laquelle ce dernier se vengera de l’armée coloniale, lui démontrant que les Zayanes ne combattent pas seuls. Il s’agit surtout d’une bataille perdue par la France, en pleine campagne de pacification du Maroc, due principalement à l’égo démesuré d’un colonel.
Nous sommes en 1907. Cinq ans avant la signature à Fès du «Traité pour l'organisation du protectorat français dans l'empire chérifien» par le sultan Moulay Hafid, la France a usé de tous les moyens pour perfectionner son emprise sur le Maroc. Quelques incidents entre les autorités françaises, alors présentes en Algérie, et les tribus de l’Est marocain éclatent alors. C’est au lendemain de la signature du Traité de Fès que le colonisateur décide d’entamer une large guerre destinée à pacifier les tribus marocaines. Connue sous le nom de «Troisième guerre du Maroc», elle ne prendra fin qu’en 1934 au lendemain de la bataille de Bougafer, région considérée comme le tout dernier bastion de la rébellion amazighe au Maroc.
Lyautey à la conquête de Khénifra
Mais bien avant cette date, la France essuiera quelques défaites. Le 12 mai 1914, Hubert Lyautey, alors résidant général du protectorat français au Maroc, décrète une nouvelle politique militaire dite de «jonction» entre le nord et le sud du Maroc. De ce fait, la région de Khénifra est alors considérée comme prioritaire. La tribu des Zayanes, elle, considérée comme l’ennemi qu’il faut pacifier. La tribu, composée de plusieurs fractions, est dirigée depuis 1886 par Mohammed Ben Akka Ben Ahmed, surnommé Amahzoune Ben Moussa et célèbre sous son autre surnom, Moha Ouhammou Zayani.
En juin 1914 donc, Lyautey donne l’ordre d’investir la Kasbah de Khénifra malgré plusieurs difficultés liées à la nature du terrain et à la lutte acharnée des Zayanes. Grâce au soutien de l’armée de Charles Mangin, venant de Tadla, celle de Paul Prosper Henrys venue de Meknès ainsi que le 1er régiment d’artillerie de montagne dépêché par la France à Casablanca le 13 septembre 1913, Khénifra est occupée le 10 juin 1914. Ouhamou Zayani et ses hommes sont repoussés. Ils choisissent donc de s’installer à El Hri, village situé à 20 km au sud de Khénifra.
Carte postale présentant les prisonniers des Zayanes en juillet 1914. / Ph.DR
A partir de cette date, la France cherche à renforcer sa présence dans la région tout en poursuivant la pacification. Mais ses opérations ne se passent pas sans incident. La rébellion, déterminée à chasser les colons, mène des raids. «Dès la fin de juillet (1914, ndlr), les abords immédiats du camps de Khénifra sont soumis aux insultes de l’adversaire, et, le 25, des groupes de dissidents se glissent même par surprise jusqu’à Aguelmous», raconte-t-on dans «Les armées françaises dans la Grande guerre» (Tome IX, 1930-1939).
«Le 4 août, un détachement de deux bataillons retirés de Khénifra pour être renvoyés en France est assailli au col de Ziar, et perd 15 tués, 63 blessés. Dans la semaine du 5 au 12 (août, ndlr), la garnison de Khénifra subit à nouveau l’assaut de toutes les hordes qui, par la vallée de Serrou, lui viennent de deux Atlas.»
Bataille d’El Hri, l’échec d’une razzia française
Et les attaques menées par les Zayanes se poursuivent. Les 19, 20 et 22 août, des combats font subir à la France coloniale des «pertes importantes». Mais en gros, la France comptait sur la neige pour affaiblir davantage les Amazighs. Malgré les mises en garde de ses supérieurs, le colonel René Philippe Laverdure, chef du territoire Zayane-Khénifra et commandant de la garnison de Khénifra, prend la décision d’attaquer El Hri par surprise, le 13 novembre 1914 à la tête d'une colonne de 43 officiers et 1 230 hommes.
«Les consignes sont formelles. On ne doit pas bouger. Mais l’occasion est tentante de renouveler l’opération qui réussit si bien il y a soixante-dix ans contre la Smalah», écrit-on dans «Le Correspondant», revue mensuelle française (1928). «Douze cents hommes s’acheminent de nuit vers le vallon où sommeille l’ennemi, et après un bref combat le bousculent et s’emparent de ses tentes, de ses femmes et d’un immense butin», raconte-t-on. Il semblerait que les Français seraient même parvenus à tuer une des cinq femmes de Moha Ouhammou Zayani et de capturer les autres. Seulement, «on s’attarde dans la razzia ; et les Zayanes accourent de tous les sentiers de la montagne». Les soldats français sont alors massacrés.
Des combattants amazighs. / Photo d'illustration
A 7h30 du matin, l’ordre de retour est lancé mais l’infanterie française a du mal à se dégager. Un échelon de repli, installé à cinq kilomètres au sud de Khénifra, est lui-même assailli. A 11H20, la petite colonne laissée à Khénifra est également appelée au combat. Elle réussit tout de même à empêcher les Ait Bou Haddou, venus de l’ouest, d’attaquer le convoi qui était sur le chemin du retour. «En fin de journée, Khénifra restait donc inviolée. Mais l’affaire nous coûtait 613 tués (dont 33 officiers), et 163 blessés (dont 6 officiers)», rapporte-t-on dans «Les armées françaises dans la Grande guerre».
«L’affaire El Hri fait un peu pendant (rappelle, ndlr) à celle de Sidi Brahim où une imprudence analogue amena le même insuccès», commente la revenue Le Correspondant. Le colonel Laverdure perdra aussi la vie dans cette bataille. Dans leur ouvrage «La Légion et les Spahis dans la conquête du Maroc: 1880-1934 : la guerre du Rif, 1921-1926» (Edition La Plume du temps, 2003), François Garijo et Jean-Marc Truchet précise que cette bataille laisse aux Zayanes «8 canons et 10 mitrailleuses en état de marche, perdant 33 officiers et 580 soldats tués dans l’engagement».
Ouhammou Zayani, le «Lion des Zayanes
Un document intitulé «Historique du 10e Bataillon de Tirailleurs Sénégalais» raconte les suites de cette bataille. Le 14 novembre, un bataillon installé à Tadla se dirige vers Khénifra pour arriver le 17. «Le 19 (novembre 1914, ndlr) à 6h30, les deux colonnes Duplessis et Dérigoin sous les ordres du général Paul Prosper Henrys passent sur la rive gauche de l'Oum Errabiâ, pour aller enterrer les morts de la journée du 13», poursuit-on de même source.
La lutte acharnée des Zayanes se poursuivra même au-delà de cette bataille, même après que les fils de Moha Ouhammou auraient choisi de rendre les armes, trahissant même leur père. D’ailleurs, son fils Hassan Ben Mohammed Amahzoune sera nommé pacha des Zayanes, le 2 juin 1920, par le général Joseph-François Poeymirau, suite à sa soumission. D’autres fils de Zayani auraient pris part à la campagne de ratissage de la région de Khénifra. Moha Ouhammou, lui, n’a jamais voulu négocier ou rendre les armes.
Hassan Ben Mohammed Amahzoune et le général Joseph-François Poeymirau. / Ph. DR
Il meurt le 27 mars 1921, à l’âge de 80 ans, probablement lors d’une attaque de l’armée française. La légende raconte que les Français n’ont jamais vu son visage et que même sa dépouille a été transportée par les Zayanes très loin de sa tombe initiale pour exaucer le vœu de celui que les tribus amazighes qualifiaient de «Lion des Zayanes». «Toute la montagne retentit des lamentations de ses trente femmes, de ses cinquante enfants et de ses guerriers. Le vieux lion est mort», raconte-t-on dans la Revue mensuelle illustrée (édition du 05/1921).
Une mort qui mettra fin à la lutte des Zayanes ayant duré plus de sept ans, contre l’occupation française.