Yabiladi : Il y a à peine deux mois, l’initiative Woman-Shoufouch a été lancée sur Facebook, vous étiez une des co-fondatrices et gérez aujourd’hui la page Facebook du groupe. Qui porte l’initiative, comment êtes-vous organisés?
Tifawt Belaïd : Au départ, l’initiative a été lancée par Majdouline Lyazidi. Elle est depuis longtemps sensibilisée aux injustices que peuvent subir les femmes marocaines (voir encadré, ndlr). Quand le Slutwalk a été lancé à Toronto en printemps 2010 et que l’exemple a été suivi dans beaucoup d’autres pays, elle a pensé que c’était le moment de lancer une initiative au Maroc. Cela a commencé sur Facebook au mois d’août, puis, à travers des amis et des proches, un groupe de 8 personnes s’est vite formé, d’ailleurs à parité hommes-femmes. Depuis, le groupe a changé, nous sommes 7 personnes, et nous nous répartissons les tâches. Mon rôle c’est d’animer la page Facebook du groupe.
Y : Aujourd’hui, la page a presque 5000 adhérents. Quels sont les prochaines étapes ? Quand pourrez-vous annoncer une marche contre le harcèlement des femmes au Maroc ?
TB : Pour organiser une marche de manière légale, avec autorisation, nous avions deux choix : soit nous constituer en association, soit demander à être parrainés par une association existante. On a opté pour la seconde option, et nous avons déjà contacté Amnesty. Ils soutiennent la démarche, mais préfèrent qu’une association des droits des femmes nous parraine, et nous sommes en train d’en contacter plusieurs. Ensuite, nous pourrons demander l’autorisation à la Wilaya de Rabat. Si tout va bien, courant novembre, nous pourrons faire la marche à Rabat.
Certaines personnes nous ont fait la remarque qu’une marche ne servirait pas à grand-chose et qu’il faut surtout sensibiliser les Marocains à la problématique, c’est pourquoi nous pensons à entamer des projets de sensibilisation par la suite, mais pour le moment, on concentre toute notre énergie sur l’organisation de la marche.
Y : Que pensez-vous des réactions suscitées par l’initiative, autant dans la presse que sur votre page Facebook ?
Dans la presse, les réactions ont été pour la plupart très positives, et nous avons beaucoup apprécié cela. Un média arabophone en ligne, Hibapress, a pourtant fait un article presque diffamatoire sur nous. Ils se sont focalisés sur le nom qu’on a donné au départ à l’initiative – Slutwalk Maroc. En arabe, ce nom est culturellement encore plus choquant que «marche des salopes» en français. Au lieu de prendre en considération que nous avons changé le nom en «Women shoufouch» et que notre initiative est différente du Slutwalk à Toronto, ils ont dit, d’un ton ironique, qu’il s’agissait d’une marche organisée par des prostituées pour qu’elles aient la liberté d’exercer leur métier.
A la suite de cet article, beaucoup de personnes sont venues sur notre page Facebook, souvent pour poster des commentaires haineux. Mais ce n’était pas si mal, parce-que sur notre mur, les utilisateurs leur répondent. Ils sont confrontés à des arguments, et peut-être que cela fera réfléchir certains d’entre eux. Je pense que beaucoup de Marocains ne sont pas au courant de ce que peuvent endurer les femmes marocaines, et les débats peuvent leur ouvrir les yeux.
Y : Vous avez posté une photo sur Facebook d’un homme qui touche les fesses d’une femme voilée en plein marché et une polémique s’en est suivie sur l’origine de la photo. Certains ont dit que c’était un trucage. Que répondez-vous ?
TB : La photo nous a été envoyée par une utilisatrice, et nous l’avons postée. J’ai regardé de près la photo, je ne pense pas que ce soit un montage Photoshop. On voit les plis, les ombres, ca me semble réel. Après, l’hypothèse d’une mise en scène a été émise, et c’est plus difficile à vérifier bien sûr. Mais comme l’ont fait remarquer certains sur notre mur, la question n’est pas de savoir si c’est vrai ou faux. Nous savons tous que ces choses se passent au Maroc. C’est triste que des gens aillent aussi loin pour justifier le statut quo, pour dire que tout va bien…