Nous sommes en 1912. Avec la signature du Traité du protectorat français sur l’empire chérifien, la ville de Tanger bénéficie du statut d’entité spéciale. Chaque puissance européenne devait alors gouverner la ville pour une période, raconte Sharon La Boda dans «International Dictionary of Historic Places» (Volume 4, édition Taylor & Francis, 1994). Mais ce statut, mis en place «sans la consultation de la population tangéroise» sera interrompu par la Première Guerre mondiale.
Avec la fin de cette guerre et au lendemain du traité de Versailles, le statut de Tanger devient «l’enjeu d’une âpre bataille diplomatique entre la France (…), l’Angleterre (…) et l’Espagne», racontent Jean Louis Miège, Georges Bousquet, Jacques Denarnaud et Florence Beaufre dans «Tanger : Porte entre deux mondes» (Editions Acr, 1992).
«Ce ne fut qu’en décembre 1923 que le statut fut adopté, en février 1924 qu’en furent signées les lettres annexes, au 1er juin 1925 qu’il entra en application.»
Carte postale représentant Tanger dans les années 1950. / Ph.DR
Ces accords sont révisés ensuite après la Guerre du Rif et «la pression de l’Italie et de l’Espagne» pour donner lieu à un statut définitif, le 25 juillet 1928. L’administration internationale régulière de Tanger est alors en vigueur, mais sera interrompue par la Seconde Guerre mondiale. L’Espagne assiège alors Tanger et l’occupe, le 14 juin 1940. C’est durant cette même période que Tanger deviendra un nid d’espions et d’agents secrets.
Pas d’indépendance du Maroc sans la récupération de Tanger
Et ce n’est que le 9 octobre 1945 que le gouvernement espagnol, sommé par la communauté internationale, retire ses troupes de la ville du Détroit. Le tour de table contrôlant la ville change : il inclut désormais les Etats-Unis et l’URSS.
Mais deux ans plus tard, en 1947, le roi Mohammed V choisit Tanger pour son discours historique réclamant l’indépendance du royaume. Alors que la résistance nationale contre l’occupation française et espagnole s’organisait, les pays signataires du protocole de Tanger et participant à sa gestion se réunissaient déjà à Rabat, en juillet 1952 pour décider de son avenir. Un futur qui sera plus proche que prévu, puisqu’entre l’exil du sultan Mohammed Ben Youssef et son retour, les Marocains se révoltent contre le protectorat et parviennent à l’indépendance.
Tanger dans les années 1940. / Ph. DR
D’ailleurs, dans «Le statut international du Maroc depuis 1955», article publié dans l’«Annuaire français de droit international» (Volume 2, 1956), André de Laubadère raconte qu’en même temps que l’indépendance, «la réalisation effective de l’unité de l’Empire chérifien constitua dès le début des événements politiques de 1955-1956 une revendication marocaine essentielle». «Les deux revendications ont toujours été présentées comme solidaires et complémentaires», note-t-il.
L’accord hispano-marocain du 7 avril (1956, ndlr) relatif à la zone espagnole était apparu comme visant à la fois les deux objectifs (indépendance du Maroc et récupération de Tanger, ndlr). Dans la même ligne, le problème de Tanger ne pouvait manquer d’être simultanément soulevé.»
La déclaration finale de l’abrogation signée le 29 octobre
Mais l’abrogation du statut international de Tanger ne s’est pas faite sans opposition. Déjà le 2 mai 1956, l’Assemblée législative de la ville, composée de Marocains et d’Européens, rejette une motion réclamant l’ouverture de négociations pour définir le nouveau statut de la ville internationale. La délégation marocaine, au nombre de 9, se retire alors de la salle, en signe de protestation contre ce rejet.
Mais le comité de contrôle de Tanger est obligé de négocier avec Ahmed Balafrej, chef de la diplomatie marocaine depuis avril 1956. Le 5 juillet, un protocole est enfin signé entre les deux parties. Il fixe «le régime de Tanger durant la période transitoire qui précéderait l’abrogation du statut et le règlement définitif des questions soulevées par cette abrogation», raconte André de Laubadère évoquant un «protocole [qui] réalisait déjà une intégration poussée de la zone tangéroise dans l’administration générale de l’Empire chérifien».
L'ancien bâtiment de l'administration internationale de Tanger. / Ph. John Harlan Hughes
Plusieurs mois plus tard, soit le 8 octobre, les représentants internationaux et les autorités marocaines choisissent Fédala (actuelle Mohammedia) pour une conférence internationale autour de Tanger. Elle a comme objectif de «consacrer l'intégration de Tanger dans l'Empire chérifien et d'examiner le statut économique et financier spécial dont doit jouir la ville», comme l’affirmait le chef de la diplomatie marocaine.
«La conférence réunissait, outre le ministre des Affaires étrangères du Maroc, des représentants de la France, Espagne, Grande-Bretagne, Italie, Belgique, Pays-Bas, Portugal, pays signataires du statut de Tanger, et des Etats-Unis, pays participant au statut de Tanger depuis 1945.»
Le 29 octobre, la déclaration finale de la conférence transférée à Tanger est signée. La déclaration a aussi été accompagnée d'un protocole annexe qui porte sur les questions soulevées par l'abrogation du statut internationale de la ville. La convention donne aussi un délai de six mois avant l’entrée en vigueur de l’abrogation définitive du statut de la ville du Détroit.