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Grand Angle

Migration : De jeunes marocains en quête de reconnaissance sociale

Le départ pour l’Espagne des mineurs marocains non accompagnés est aussi une manière de s’imposer comme un pilier indispensable à la survie de leurs familles restées au Maroc, lorqu’ils commencent à subvenir aux besoins de leurs proches.

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La ministre de la Famille et de l’égalité des chances de la communauté autonome de Murcie, Violante Tomás, en visite dans un centre pour mineurs étrangers non accompagnés. / Ph. cartagenadiario.es
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Depuis la côte nord du Maroc, tous ont le regard tourné vers le même horizon : l’Europe. «Nous n’avons pas peur de mourir à bord d’une embarcation. Ce dont nous avons peur, c’est de rester ici : vivre ici, c’est être mort.» C’est ainsi qu’un jeune marocain interrogé par le journal en ligne espagnol eldiario.es envisage son avenir au pays. Ou plutôt ne l’envisage pas.

Les vidéos de ces mineurs exaltés à leur arrivée en Espagne, que ceux restés au Maroc se refilent d’écran en écran, contribuent largement à nourrir le rêve de l’eldorado européen – espagnol en l’occurrence. Le tout couplé à une génération désenchantée, sans projet faute d’opportunités. La jeune Hayat Belkacem, morte le 25 septembre dernier dans une fusillade de la Marine royale alors qu’elle tentait de rejoindre illégalement l’Espagne, est devenue l’un des visages de cette jeunesse auprès de qui la traversée de la Méditerranée, ou plutôt des 14 km qui séparent Tanger des côtes espagnoles, s’est imposée comme la seule et unique alternative.

Pour d’autres, le drapeau espagnol est désormais celui auquel ils s’identifient. C’est l’étendard de leurs aspirations. «Nous avons avec nous des drapeaux espagnols parce qu’on s’identifie plus à celui-là qu’à celui du Maroc», explique à eldiario.es l’un des chefs des ultras du Moghreb Athlétic de Tétouan. Un autre abonde : «Ce n’est pas mon pays. Le Maroc n’est pas mon pays. Mon pays, il est au Nord.» Un idéal auquel les autorités espagnoles, qui font face à un afflux croissant de migrants, veulent tordre le cou.

Début octobre, lors d’une visite de deux jours au Maroc, la secrétaire d’Etat aux Migrations, Consuelo Rumí a notamment insisté sur la nécessité de «supprimer le caractère fallacieux de l’eldorado européen, un rêve qui n’existe pas», en référence à l’attraction qu’exerce l’Europe sur les Marocains. Plus de 6 400 d’entre eux sont en effet entrés sans autorisation en Espagne jusqu’à présent cette année.

Partir pour gagner en reconnaissance sociale

Et c’est tout un ensemble de perspectives peu optimistes qu’ils tentent de fuir. «Les mineurs que l’on voit en Espagne en France et dans de nombreux pays d’Europe (…) ont en commun un projet migratoire qui peut se lire davantage comme une fuite de problématiques non réglées au pays : conflits familiaux, rejet suite à un remariage, déscolarisation, addiction, difficultés de socialisation, etc.», explique l’association Trajectoires, spécialisée dans la prise en compte des personnes migrantes, dans un rapport paru en avril 2018.  

Dans ce cas, «la migration est vécue comme un moyen de pallier l’ensemble de ces problèmes. Or, le parcours migratoire qu’ils entreprennent (…) ne fait que rajouter de nouvelles problématiques à celles du départ : abus sexuels fréquents, ancrage dans la délinquance, polytoxicomanie», précise-t-elle. C’est ainsi que s’opère la machine à fantasmes auprès de ceux restés au Maroc :

«Pour tenter de restaurer leur image auprès de leurs pairs, ces jeunes, à travers les réseaux sociaux, se mettent en scène en affichant leur réussite matérielle à travers l’achat de vêtements coûteux et/ou leur "carrière" délinquante en dévoilant des liasses de billets. Ou encore adoptant des poses et des discours évoquant l’univers de la Mafia.»

Association Trajectoires

Ce qui nourrit les fantasmes des uns apporte également aux autres un semblant de reconnaissance sociale : «Quant à leur famille, ils envoient de l’argent à la maison pour, comme ils l’expliquent, "sauver leur maman" et tenter de transformer leur image d’enfants rejetés et sans avenir, en protecteur de la famille. Que ce soit pour leurs pairs ou leur famille, le gain d’argent à tout prix est souvent le seul moyen de maintenir l’illusion d’une reconnaissance sociale.»

Depuis le début des années 2000, il est fréquent d’observer que la migration des mineurs marocains non accompagnés s’exerce dans le cadre d’un «projet migratoire familial où, en l’absence de possibilité de régularisation des adultes, les familles mandatent leur enfant comme futur soutien famillial». Le tout dans l’espoir que ces derniers obtiennent un titre de séjour et subviennent aux besoins de leurs proches restés au Maroc.

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