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Grand Angle

France : Après le procès des bûcherons marocains, de nouvelles affaires surgissent

Cas inédit, les prud’hommes ont rendu justice en août dernier aux quatre bûcherons marocains exploités par leur employeur en Indre. Ce procès a permis à d’autres ouvriers de sortir du silence, notamment dans le Vaucluse où cinq Marocains ont porté plainte.

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Photo d’illustration / Ph. DR.
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Alors que la justice prud’homale de Châteauroux a réhabilité quatre bûcherons marocains dans leurs droits, en août dernier, d’autres ouvriers parmi leurs compatriotes se sont préparés pour ester en justice et dénoncer l’exploitation dont ils disent faire l’objet. Cette fois-ci, ce sont deux hommes et trois femmes, employés par intérim dans des champs agricoles du Bouches-du-Rhône, du Vaucluse et du Gard.

A Arles, tous ont été entendus, jeudi, pour des faits d’esclavage. Heures supplémentaires, privation des primes de précarité ou de congés payés, accident du travail non-déclaré, absence de repos hebdomadaire, autant de mauvais traitement que les salariés auraient enduré entre 2012 et 2017. De plus, leur contrat professionnel aurait été interrompu sans préavis et à plusieurs reprises, tandis que leurs heures de travail ont atteint les 260 pendant certains été.

Une tentative d’échapper au droit français

Jeudi aura marqué la «première audience pour une salariée et une deuxième pour les quatre autres», indique à Yabiladi Bernard Petit, avocat des plaignants. Des renvois ont été faits puisque plusieurs avocats se sont constitués pour se charger du dossier de la partie civile. Au banc des accusés, la société espagnole Laboral Terra, en plus d’une dizaine d’entreprises agricoles basées en France et qui ont eu recours aux services de la première.

Laboral Terra plaide pour que «la loi espagnole et non française s’applique», arguant que les travailleurs seraient domiciliés en Espagne. «Leur contrat de travail était rédigé en langue espagnole et régi selon des textes de loi espagnols», renchérit Charlène Martane, avocate de la défense, citée par l’AFP.

«Au sens du droit, ces salariés sont protégés à la fois par des directives européennes qui s’appliquent ici et par la législation française. Avec la CGT, nous avons relevé que la situation des ouvriers constituait une fraude à la loi nationale», nous explique de son côté Me Petit. En effet, celui-ci considère que «le contrat espagnol permettait de faire travailler les ouvriers avec un salaire inférieur à celui d’un salaire français et d’échapper à la législation sur le travail temporaire avec la prime de précarité et des congés payés». Pour lui, il s’agit ici d’un usage de «dumping social servant à exploiter des travailleurs low-cost».

Un procès prud’homal inédit

Alerté par la CGT qui a appuyé les cinq Marocains dans leurs démarches, l’avocat indique également à Yabiladi que la situation des plaignants n’est pas une exception.

«Le problème est qu’il y a énormément de salariés détachés venant d’Afrique du Nord et d’ailleurs, mais que très peu de procédures prud’homales sont engagées. Ces gens qui souffrent de précarité ne disent rien, car ils considèrent avoir déjà eu de la chance de trouver du travail. Ils supportent donc tout pour conserver le peu qu’il ont pu avoir, en espérant toucher un petit salaire à la fin du mois.»

Bernard Petit, avocat de la partie civile

De fait, Bernard Petit souligne que «très peu d’affaires similaires sont révélées au grand jour». Il évoque ici les moyens limités de l’inspection du travail pour mettre en lumière de nombreuses situations d’exploitation d’ouvriers étrangers dans l’industrie fruitière et les activités maraîchères. «C’est par cette procédure que ces affaires font l’objet de poursuites pénales. Mais aux prud’hommes, c’est la première fois que de tels cas sont traités», nous confie-t-il.

Me Petit est également chargé du dossier pénal des quatre bûcherons marocains ayant obtenu réparation, dans un premier temps, aux prud’hommes de Châteauroux. Justement, c’est au cours des derniers mois de cette affaire que celle des ouvriers du Vaucluse a été révélée. Pour l’avocat, cette première procédure a permis à d’autres travailleurs de sortir du silence et de faire parler des situations précaires où les mettent leurs employeurs.

«Cela a contribué à délier les langues, notamment avec la médiatisation grâce à laquelle ces affaires arrivent aux oreilles d’autres salariés qui se sentent exploités et qui peuvent avoir le cran de voir un syndicat et dénoncer cette situation.»

Bernard Petit, avocat de la partie civile

Bernard Petit maintient l’idée que les contrats espagnols des cinq ouvriers agricoles auraient servi de moyen de contournement de la justice française, d’autant plus que les requêtes de l’une des plaignantes auprès de la justice, dont Yabiladi détient copie, indique que celle-ci est basée à Avignon.

«Je pense même que ces salariés-là n’habitaient pas l’Espagne, en tout cas pas pour longtemps. Ils habitent en France et normalement, ce n’est même pas du travail détaché. On a prétendu avoir fait signer ces contrats en Espagne pour faire dépendre la relation employeur-salarié du droit espagnol qui est moins favorable aux employés que le français», conclut-il.

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