Menu

Grand Angle

Des candidats à l’immigration prêts à payer de leurs vies pour rejoindre l’Europe

La ville d’Oujda est toujours confrontée à la problématique liée à la présence irrégulière de candidats à l’immigration clandestine. Selon des témoignages recueillis sur place, ils y auraient près de 1 500 personnes disposées à payer au prix fort, à savoir la perte de la vie, pour rejoindre le vieux continent. Dans l’attente de jours meilleurs, ils errent dans la ville, font l’aumône pour se nourrir et gardent l’espoir…
Publié
«On a tout connu. On a parcouru des milliers de kilomètres à pied pour fuir nos pays respectifs à la recherche d’un monde meilleur. Dans les moments durs, je puise dans mes souvenirs. Ceux de mes conditions de vie dans mon pays, de ma famille qui attend beaucoup de moi et des galères vécues. J’ai toujours en mémoire la traversée du désert en Libye. Cinq jours durant, on a parcouru des centaines de kilomètres sans voir le bout, sous la canicule et sans denrées alimentaires. Le tout en assistant à la mort de certains de nos frères et sœurs qui n’ont pu faire face à l’épreuve inhumaine. Imaginez notre détermination ! Elle est sans limite», déclare Steve, 25 ans, originaire du Cameroun et sans carte de résident au Maroc.

Le poids des mots a tout son sens lorsque l’on découvre (et partage) la condition de vie de ces migrants. Installés en pleine forêt, dans des campements de fortune (à l’extrême limite de l’acceptable), des «villages» par zone géographique (Cameroun, Mali, Congo, Nigeria,…) ont pris leur quartier. «Nous vivons dans la forêt dans des conditions inhumaines, traqués par la police et méprisés par certains habitants de la ville d’Oujda. Il ne se passe pas une journée sans que nous soyons pointés du doigt, sans que nous soyons pourchassés par les éléments des forces auxiliaires. Personne sur terre ne mérite un traitement humain aussi violent et dégradant. Nous n’avons aucune animosité envers le Maroc. Nous sommes les victimes de la politique migratoire de Sarkozy», indique Chantal, 46 ans, congolaise.

Chantal poursuit son propos en déplorant l’attitude de certains policiers. «Ils savent que nos conditions de vie sont dramatiques. Nous tentons de survivre et chaque jour que le bon Dieu fait, on se bat pour manger. De fait, pourquoi se comportent-ils aussi cruellement avec nous ? Lorsqu’ils décident de nous chasser, ils profitent de notre vulnérabilité pour nous violenter, mettre la main sur des portables, chaussures,… Le pire, c’est qu’ils mettent à sac nos tentes et jettent à terre les poêles et marmites qui contiennent du riz. Pour acheter un sac de riz, nous avons mendié durant des journées entières. Comment voulez-vous que nous puissions nourrir nos enfants?», dit-elle.

Un peu plus loin, Bonheur, un jeune malien de 24 ans, prend la parole. «Les responsables de cette situation sont connus de tous. L’Europe a donné des instructions fermes pour nous rendre la vie dure. Cependant, il faut trouver une solution. Pour le moment, c’est l’hypocrisie et le mépris qui règnent. L’Europe est à la baguette, l’Algérie joue au yoyo et le Maroc a endossé la tunique de gendarme des frontières contre compensations financières. Et nous ?», lâche-t-il.

Dans un autre «refuge» forestier, situé à quelques kilomètres du centre ville d’Oujda, un contact est pris avec la communauté nigériane. Ils sont une vingtaine à vivre dans des «tranquillos» (1) en plein cœur du maquis «oujdis». Dès les premières minutes, le ton est donné. «Ecoutez, sans contre partie financière, pas d’informations données». C’est le «chairman», autrement dit le chef du camp qui plante le décor. «Tous les médias qui ont souhaité nous soutiré des informations sont passés à la caisse. Des journalistes espagnols, italiens, portugais, allemands et même marocains ont payé. C’est la règle ! Pourquoi vous feriez de l’argent sur notre dos sans contre partie ? C’est 100 euros (environ 1000 Dh) la prestation, sinon disparait… ».

Dès lors, difficile d’engager une conversation…constructive. L’échange est au point mort. Le compromis est du domaine virtuel tant les rapports sont tendus. «Mes principes de vie et de travail m’imposent une règle, celle que l’information est gratuite», répliquais-je. «Principe ? Quel principe ? La vie nous a montré que l’humain a perdu ses principes. Nous, on a su gardé la foi, alors vos principes…», poursuit le chairman.

Au bout d’une heure environ, un individu rejoint le groupe. «Que se passe-t-il ?», interroge-t-il. «Rien de particulier. Un journaliste souhaite nous faire réagir sur nos conditions de vie sans vouloir coopérer», réplique un membre du groupe, assis sur un parpaing. «Que voulez-vous et pourquoi ?», me demande-t-il. «Je viens me rendre compte de votre environnement de vie et je suis à la recherche de témoignages sur la tragédie humaine qui s’est produite sur les côtes de Al Hoceima dans la nuit du 28 au 29 avril 2008».

Après une séance de questions/réponses, il prenait la direction d’un «tranquillo» et il me lançait «ok sur le fond, mais on verra pour la forme. Vous devez savoir qu’à chaque passage de journalistes, la police débarque et saccage tout sur son passage». Un quart d’heure après, un homme d’une quarantaine d’années surgit du fond du bois. L’allure négligée, il se dirige à pas soutenu vers moi. «Il était présent sur le zodiac dans la nuit du 28 au 29 avril dernier.

Contrairement à d’autres, il a échappé à la mort. Dieu a veillé sur lui», déclare le «médiateur». Le rescapé de Al Hoceima d’origine nigériane pris une grosse pierre et il m’invitait à le rejoindre à l’abri des regards, pas tous «catholiques». «Depuis cette catastrophe, j’ai le sommeil agité. J’ai perdu des frères, des sœurs, des amis,… Aujourd’hui, j’appréhende la mer et l’uniforme militaire. J’ai du mal à intégrer que des hommes puissent avoir un comportement aussi cruel», précise-t-il.

Traques et affrontements musclés sont leur lot quotidien. Pour preuve, suite à l'assaut massif d'un groupe de migrants subsahariens, dimanche 22 juin vers 4h30 contre le poste frontalier de Bab Melilla, qui sépare l'enclave espagnole de Melilla à Nador, un collectif d’associations dont l’ ABCDS, l’association Beni Znassen pour la Culture, le Développement et la Solidarité, et l'ARDH, l’association Rif des Droits de l'Homme, annoncent l'arrestation de 58 personnes, dont 28 individus interpellés par la Guardia civil espagnole.

«Après avoir réussi à franchir le portail frontalier, des affrontements ont opposé des manifestants et les forces de l'ordre marocaine et espagnole. Bilan : 7 blessés dans les rangs des migrants qui ont été transférés à l'hôpital régional de Nador pour y recevoir des soins avant d'être conduits au commissariat de Nador pour les besoins de l'enquête», déclare un militant associatif.

(1) Campement de fortune

Soyez le premier à donner votre avis...
Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com