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Diplomates marocains #18 : Ben Othman Al Meknassi, l'historien-ambassadeur

Dépêché par le sultan alaouite Mohammed III pour le représenter auprès du roi Carlos III d’Espagne, Mohamed Ben Othman Al Meknassi interviendra en pleine crise pour libérer un autre ambassadeur pris en otage à Malte. Histoire de l’un des ambassadeurs les plus célèbres dans l’histoire des relations hispano-marocaines.

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Illustration de Ben Othman reçu par le roi Carlos III d'Espagne. / Ph. DR
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En 1779, le sultan alaouite Moulay Mohammed Ben Abdallah, alias Mohammed III, dépêche en Espagne Mohamed Ben Othman (ou Ibn Uthmân) Al Meknassi en tant qu’ambassadeur plénipotentiaire. Objectif ? Négocier avec les représentants espagnols du roi Carlos III la libération des captifs musulmans, dont son propre prédécesseur, et conclure un traité de paix et de commerce entre les deux pays. Une mission que l’émissaire marocain mènera à bien, en parvenant à conclure le traité d’Aranjuez le 30 mai 1780 puis en signant plus tard le traité hispano-marocain du 1er mars 1799.

De l’Université Al Qarawiyyin à la première ambassade en Espagne

Mohamed Ben Othman est né à Meknès au milieu du 18e siècle dans une famille instruite où le père est déjà célèbre dans la ville en tant que Fqih et érudit. Le jeune meknassi poursuit alors son enseignement traditionnel dans la capitale ismailie, avant de se rendre à la prestigieuse université d’Al Qarawiyyin à Fès, pour approfondir ses études.

A Fès, le futur ambassadeur plénipotentiaire, grâce à son savoir et ses traits diplomatiques, devient le compagnon du fils du sultan Moulay Mohamed Ben Abdallah, «en particulier du prince Moulay Ali», rapporte l’enseignante-chercheuse Malika Ezzahidi dans son article «Le rachat des captifs musulmans à Malte en 1782, d’après le récit de voyage d’Ibn Uthmân Al-Meknassî» (Revue Cahiers de la Méditerranée, 2013).  C’est à partir de là qu’Al Meknessi se rapproche de la cour du sultan alaouite et devient ainsi, quelques années plus tard, secrétaire au palais de Moulay Mohammed III.

«Ben Othman s’est formé à l’école diplomatique de Sidi Mohammed Ben Abdallah ayant marqué les relations marocaines avec l’étranger. C’est dans ce contexte qu’il a fait preuve d’une conscience sans précédent concernant les besoins de cette époque et disposait de compétences», écrit l’historien marocain Mohamed Bokbot dans «Rihlat Al Meknassi». Des compétences qui «permettront à Ben Othman de devenir l’un des ambassadeurs les plus marquants à l’époque et expliqueront pourquoi il sera choisi par Moulay Yazid et Moulay Slimane pour mener d’autres missions», poursuit-il.

Le sultan alaouite Moulay Mohammed Ben Abdallah. / Ph. DRLe sultan alaouite Moulay Mohammed Ben Abdallah. / Ph. DR

Ben Othman, un ambassadeur et auteur de récits de voyage

En 1779, Ben Othman est donc nommé ambassadeur plénipotentiaire par Mohammed III auprès du roi de l’Espagne pour deux missions : libérer des captifs musulmans «tous algériens» et conclure un traité. Chose faite puisqu’il parviendra à trouver un accord avec les autorités espagnoles avant de conclure, le 30 mai 1780, le traité de paix et de commerce d’aranjuez avec le voisin ibérique.

«Il mena à bien sa mission diplomatique (…) et réussit à maintenir de solides relations personnelles avec les cercles gouvernementaux espagnols.»

Malika Ezzahidi

C’est durant ce premier déplacement à l’étranger que l’ambassadeur de Mohammed III débutera aussi sa carrière en tant qu’historien et écrivain. Un récit de voyage qui sera intitulé Al îksîr Fî Fîkak al-Asîr (l’élixir dans la libération des captifs) qui revient sur tout ce que Ben Othman a vu et a vécu durant son déplacement, du Maroc à Madrid. «Ce récit est caractérisé par sa précision parfaite s’agissant des monuments historiques en Espagne et la comparaison faite par son auteur, au fur et à mesure, avec le Maroc», écrit Al Quds Al Arabi dans un article dédié à l’ambassadeur.

Ce dernier, et dès son retour au Maroc, est élevé au rang de ministre, en guise de reconnaissance pour son travail exemplaire et la réussite de sa mission en Espagne. Et même en devenant ministre, cela n’empêchera pas Moulay Mohammed Ben Abdallah de la dépêcher, un an plus tard, à Malte pour une nouvelle mission diplomatique. 

Moulay Yazid (d) et Moulay Slimane. / PhotomontageMoulay Yazid (d) et Moulay Slimane. / Photomontage

Alors que l’Espagne avait libéré les captifs musulmans dans ses geôles conformément à l’entente avec le Maroc, Moulay Mohammed III se souciait du ressort des captifs musulmans à Malte. Une raison pour laquelle il dépêchera Mohamed Al Hafi, homme du Makhzen originaire de Salé et rédempteur. Mais ce dernier sera pris comme otage en raison de sa présence sur l’île. Ben Othman sera alors dépêché pour résoudre ce différend diplomatique.

L’ère de Moulay Yazid et Moulay Slimane et le traité de 1 mars 1799

En 1785, Ben Othman est désigné à la tête d’une nouvelle ambassade à Istanbul auprès du sultan ottoman Abdulhamid III avant de rentrer au Maroc. Ce voyage aussi a fait l’objet d’un livre écrit par l’ambassadeur marocain, qui reviendra aussi sur son déplacement en Syrie et à la Mecque.

Après le décès du sultan Mohammed Ben Abdallah en 1790, Ben Othman est désigné par Moulay Yazid pour éteindre un incendie diplomatique avec l’Espagne. Un an plus tard, soit le 27 janvier 1791, l’auteur de Al îksîr Fî Fîkak al-Asîr est reçu à Madrid par le roi d’Espagne mais échouera à concilier les positions entre les deux monarques. Il est alors bloqué à Cadiz au moment où une guerre est déclarée entre l’empire chérifien et son voisin ibérique et perdra ensuite ses qualités d’ambassadeurs. Ben Othman restera en Espagne jusqu’à la mort de Moulay Yazid, tué en février 1792 lors d’un combat contre les armées de son frère Moulay Hicham.

Suite à l’avènement de Moulay Slimane, dès 1792-1822, les relations hispano-marocaine ont retrouveront leur calme et Ben Othman est de retour au Maroc. Reconnu par son rôle dans les crises précédentes avec le voisin ibérique, Moulay Slimane le nommera d’abord en tant que gouverneur de Tétouan en 1792 puis la tâche de «premier ministre chargé des affaires étrangères», comme le mentionne la chercheuse Malika Ezzahidi.

Illustration de captifs musulmans en Europe. / Ph. DRIllustration de captifs musulmans en Europe. / Ph. DR

Mohamed Bokbot rapporte de son côté, dans un article intitulé «La crise hispano-marocaine de 1790-92 : enjeux et manœuvres», que Mohamed Ben Othman couronnera son «œuvre diplomatique par la signature du traité hispano-marocain du 1 mars 1799, quelques mois avant sa mort, léguant un statu quo de paix et respect mutuel qui a pu épargner aux deux pays tant de problèmes durant la première moitié du XIX° siècle».

Ses récits de voyage ont servi et servent toujours de bases pour plusieurs historiens marocains et espagnols.

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