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Interview

Intégration ou «rafles» : «Le Maroc va devoir choisir», selon Mehdi Alioua [Interview]

Les arrestations violentes et les déplacements massifs et forcés des Subsahariens vivant dans le nord du Maroc continuent. Mehdi Alioua, enseignant chercheur à Sciences Po à l’université internationale de Rabat, tente d’expliquer l’origine de cette opération répressive de grande ampleur et ses contradictions.

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Pendant que la police interpelle les Subsahariens au Nord, les migrants sont sauvés par dizaines chaque jour dans le détroit. / Ph. Salvamento Maritimo
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Yabiladi : Pourquoi le Maroc, soudainement, a-t-il décidé d’arrêter et de déplacer les Subsahariens qui résident au Nord ?

Mehdi Alioua : Les pressions de l’Espagne et de l’Union européenne pour que le Maroc réduise le flux de migrants ont été très fortes dès février 2017. Les mois sont passés et le Maroc a refusé de jouer le jeu alors que le nombre de passages continuait à augmenter. D’un côté, la France et l’Espagne sont des partenaires qui restent très importants pour le Maroc sur tous les plans, notamment économiques et diplomatiques, en dépit de ses nouvelles alliances. D’un autre côté, ses liens avec l’Afrique qui auraient pu justifier qu’il continue à résister aux pressions de ses alliés, ne sont peut-être pas aussi forts qu’il le voudrait. Le Maroc n’a pas que des alliés dans l’Union africaine ; il est aussi possible qu’il ne rentre pas dans la CEDEAO. Alors il n’a pas voulu aller jusqu’à la rupture avec l’Espagne – pour qui vraisemblablement le nombre de passages avait dépassé le seuil du tolérable – et à un moment donné, la décision a été prise de céder aux Européens. Rafler les gens pour les déplacer vers le Sud est le seul moyen que l’Etat a trouvé pour diminuer les franchissements irréguliers de la frontière.

Selon votre analyse, le Maroc est celui qui cède aux pressions, mais ne joue-t-il pas aussi des flux migratoires comme d’un levier pour obtenir plus d’aides financières de l’Union européenne ?

A mon sens, croire que le Maroc fait du chantage est une méconnaissance et une inversion du rapport de force. L’Espagne est beaucoup plus forte et plus puissante que le Maroc. En plus, elle est soutenue par l’Union européenne alors que le Maroc est seul. Bien sûr, celui-ci négocie son aide mais s’il était dans une démarche de chantage comme l’en accusent les Espagnols, alors il aurait accepté les hot spots, ces camps de rétention ou de tris des migrants que l’UE voudrait le voir installer sur son sol. Là, l’argent coulerait à flot, or le Maroc s’en défend et résiste toujours. Je dirais même que le Maroc a cédé aujourd’hui en procédant à ces arrestations groupées pour mieux résister à cette demande.

Ces déplacements forcés, s’ils sont exceptionnels par leur ampleur, ne sont pas nouveaux. Ils constituent même l’une des composantes importantes de la nouvelle politique migratoire aux côtés de la politique de régularisation et d’intégration. Comment les deux sont-elles rendues compatibles ?

Il faudra que le Maroc choisisse. La répression ne peut pas aller de pair avec l’intégration. Même si le Maroc distingue ces deux politiques par le fait de réprimer, d’une part, les migrants sans papiers et d’intégrer, d’autre part, ceux qui en ont, il faut bien garder à l’esprit qu’il s’agit du même groupe ! Ceux qui ont obtenu leur carte de résident à la faveur de l’une des opérations exceptionnelles de régularisation étaient eux-mêmes en situation irrégulière il y a quelques années. Les opérations de police actuelles dans le Nord visent tous les Noirs indifféremment même si, après l’arrestation, les gendarmes trient et relâchent les personnes en situation régulière. Ces déplacements forcés font donc peser sur tout le groupe des Subsahariens une menace qui contredit l’injonction, en même temps, de s’intégrer à la société marocaine.

Dans les commissariats où sont réunis les Subsahariens avant qu’ils ne soient envoyés vers le Sud, les gendarmes expliquent qu’ils ne veulent plus les voir dans le Nord «sinon ils leur cassent la tête», mais qu’ailleurs ils peuvent rester et s’intégrer au Maroc, ou bien se rendre à la représentation de l’Organisation internationale des migrations (OIM) à Rabat pour profiter de son programme de retour volontaire.

Ces déplacements forcés sont-ils illégaux ?

Ce que le fait le Maroc, au sens strict, c’est arrêter des gens qui n’ont pas de titre de séjour et les déplacer au nom de la perturbation de l’ordre public dont ils se rendent coupables par leurs tentatives de passages irréguliers de la frontière. Il s’agit d’une opération de police difficilement attaquable en justice. Ce qui pourrait être considéré comme illégal est le caractère collectif des arrestations. Normalement, c’est le procureur du Roi qui ordonne ce genre d’opération et elle doit être supervisée par un juge. Quoi qu’il en soit, les défenseurs des droits des migrants savent qu’il est très difficile d’attaquer ce type d’opération dès lors qu’il n’y a pas d’expulsions. Quand la police avait évacué de force les migrants du camp de Sangatte, en France, des associations avaient attaqué l'Etat français et elles avaient perdu.

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