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Grand Angle

Education nationale au Maroc : Quand deux membres du gouvernement se contredisent

Dans la foulée de la polémique autour des termes en darija utilisés dans les manuels scolaires, le chef du gouvernement s’est prononcé contre l’idée, alors qu'un long communiqué du ministère de tutelle détaille les raisons pour lesquelles son usage tel qu’il est actuellement n’est pas une atteinte à la langue arabe.

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Saïd Amzazi, ministre de l'Education nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique / Ph. DR.
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Peu après les explications de Mustapha El Khalfi, porte-parole de l’exécutif, à l’issue du conseil du gouvernement jeudi dernier, Saâdeddine El Othmani est revenu sur la polémique concernant l’usage de la darija, pointé du doigt dans les manuels scolaires révisés cette année.

Auprès de la MAP, le chef du gouvernement indique ainsi n’avoir «aucun problème à renoncer à ces livres et demander au ministère de tutelle de le faire, si les éducateurs, les linguistes et les commissions concernées estiment que ce sera juste et après consultation du Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRC)».

El Othmani et Amzazi pas sur la même longueur d’ondes

Les explications de Saâdeddine El Othmani tendent à couper court à la polémique, en envisageant un retrait éventuel des contenus incriminés, sans pour autant donner les raisons de leur emploi. Si la suppression pure et simple des termes décriés est probable, en réponse aux détracteurs de cet usage, le ministère de tutelle donne une autre lecture des faits.

Dans un long communiqué, le département de Saïd Amzazi revient notamment sur l’élaboration des manuels incriminés, rappelant que conformément à la Charte nationale de l’éducation, ces livres ont été conçus sur la base des curriculum réformés. En commission, ce travail a inclus linguistes et spécialistes en pédagogie, tout en se basant sur des cahiers des charges adressés aux éditeurs.

Par ailleurs, le comité de révision se charge d’examiner les manuels édités, ainsi que leur conformité aux cahiers des charges et au curriculum du ministère. Ce dernier affirme ainsi que la procédure a été respectée, y compris pour les livres incriminés, ne voyant «aucune raison d’ordre organisationnel ou éducatif empêchant l’emploi d’appellations marocaines (habits et plats) dans un texte de lecture» relatif à des aspects spécifiques à la culture locale.

La même source avance plusieurs raisons basées sur des principes de la vision stratégique de l’enseignement (2015 - 2030), tracée par le même CSEFRC. Ces derniers veulent que l’école «soit le levier d’une culture et devienne un moyen pour véhiculer celle-ci, par le biais de l’enseignant, des programmes scolaires, de la formation, des manuels, des matières enseignées et des activités encourageant la créativité chez l’élève, de même que son sentiment d’appartenance à une société et à l’humanité de manière globale».

Dans le même registre, le ministère indique que l’article 85 dudit texte préconise de «prioriser le rôle fonctionnel des langues utilisées à l’école pour consacrer l’identité, l’ouverture sur le monde, acquérir de nouvelles aptitudes, du savoir et de la culture, évoluer la recherche, réaliser l’insertion économique, sociale et culturelle».

Un texte derrière la polémique

Pour le ministère de l’Education nationale, de la formation professionnelle, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, les contenus pointés du doigt concernent un manuel d’enseignement en deuxième année de primaire. Celui-ci porte sur la «description d’une fête de baptême dans une maison marocaine, afin que l’apprenant s’imprègne des valeurs de l’attachement à la famille».

Le département développe son argumentaire en indiquant que «le baptême consiste à porter des vêtement traditionnels marocains, ce qui explique l’utilisation d’appellations comme ‘caftan’, ‘babouche’, ‘jellaba’ et ‘tarbouch’, tout en sachant que les termes concernés sont au nombre de 8, dans un manuel qui compte 150 pages, incluant plus de 8 000 mots».

Dans ce texte, la famille se réunit autour d’une table pour l’occasion, afin de partager des mets et des gâteaux traditionnels, «d’où l’emploi entre guillemets des termes ‘beghrir’, ‘briouate’ et ‘ghriba’», selon la même source. «Linguistiquement, ces termes ont été employés comme étant arabes classiques, d’autant plus qu’ils font partie du bagage culturel commun aux Marocains», se défend encore le ministère. «Au fil du temps, l’arabe a inclus dans son vocabulaire classique des mots prêtés à d’autres langues, tels que ‘cinéma’, ‘internet’ et ‘caméra’», ajoute-t-il encore.

Distinguer le vrai du faux

Dans un autre registre et contrairement aux messages véhiculés à travers des photos de manuels sur les réseaux sociaux, le ministère précise que plusieurs parmi ces contenus ne font pas partie du programme adopté dans l’enseignement public marocain. A cet effet, un comparatif permettant de distinguer le vrai du faux a été rendu public. L’occasion pour le ministère d’exprimer son intention d’entamer des poursuites judiciaires à l’encontre des auteurs de ces «photos fabriquées», ainsi que ceux ayant permis leur large diffusion.

Ces explications font suite aux reproches adressés à la direction du curricula du ministère par la Coalition nationale pour la langue arabe. Dans un communiqué, cette dernière considère que l’utilisation de la darija est «incompatible aux exigences constitutionnelles». Elle a également estimé que cet usage était «contradictoire au contenu de la vision stratégique (2015-2030) et de la loi cadre de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique».

Dans ce contexte et entre défenseurs ou détracteurs de l’usage fonctionnel de la darija dans les manuels scolaires, d’autres considèrent la polémique comme un «faux débat», avançant que le cœur du sujet sur la réforme de l’éducation est ailleurs. Le tollé provoqué par les manuels incriminés intervient au moment où la loi cadre 51.17 sur le système de l’éducation, de l’enseignement, de la formation et de la recherche scientifique provoque l’ire de plusieurs acteurs, voyant dans ce texte «une forme de privatisation qui ne dit pas son nom».

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