Menu

Interview

Karim Rouissi : «Casablanca n’a pas le monopole de la problématique du patrimoine du XXe siècle»

Pour l’architecte Karim Rouissi, également enseignant à l’Ecole supérieure d’architecture de Casablanca, les immeubles construits ces dernières années dans la capitale économique sont conformes aux normes en vigueur. Toutefois, il pointe l'absence de politique de protection du patrimoine architectural au Maroc. INTERVIEW.

Publié
Immeubles de type art déco dans le centre de Casablanca. / Ph. Sandra Cohen-Rose et Colin Rose (CasablancaCityGuide)
Temps de lecture: 3'

A quel rythme se dégradent les édifices à Casablanca ? Les immeubles récents sont-ils plus concernés que ceux datant de l’époque coloniale ?

Dire que les immeubles qui datent du début du XXe siècle sont mieux construits que ceux que l’on bâtit actuellement, c’est absolument faux. Ils sont au contraire plus vulnérables car ils ne font pas l’objet de contrôles, d’inventaires, d’états des lieux… D’où la nécessité d’un plan d’action national afin de les préserver. La majorité ont été construits en béton armé (seuls quelques-uns sont en pierre), un matériau qu’on découvrait au début du XXe siècle. Seulement, il ne répond pas aux mêmes normes qu’aujourd’hui.

La problématique du patrimoine du XXe siècle existe partout dans le monde. Il se trouve qu’au Maroc, on a énormément construit pendant cette période, plus qu’ailleurs, du coup on ne voit que ça ! A cette époque, on testait de nouvelles technologies, on était dans l’avant-garde de la construction, dans les prémices d’un nouveau matériau. C’est d’ailleurs pour cela que ces immeubles ont une valeur patrimoniale. Mais aujourd’hui, les technologies ayant évolué, on construit mieux.

Certains chantiers d’immeubles à Casablanca semblent pourtant peu conformes aux normes, notamment en termes de qualité des matériaux…

Je ne suis pas de cet avis. Si on part du principe que beaucoup de bâtiments actuels sont mal construits, durant la période coloniale – si c’est à celle-là que vous vous référez –, il y a également eu des immeubles mal construits. Ce qui en est resté, c’est justement ceux qui étaient les mieux bâtis. Aujourd’hui, il y a aussi de belles choses qui se construisent, et d’autres qui le sont moins, mais ça, c’est partout dans le monde. Ce qu’on a gardé des siècles derniers, ce sont les meilleures bâtisses. Simplement, certaines étaient construites pour le commun des mortels et n’ont pas résisté au temps.

Ce qui se construit actuellement est à l’image de ce qui s’est toujours construit en termes de réglementation et de normes. Effectivement, il peut y avoir des malfaçons et des constructions qui ne sont pas belles d’un point de vue esthétique, mais en termes de normes, ne vous inquiétez pas ! Les effondrements d’immeubles au Maroc sont tout de même extrêmement rares, tout comme les bâtiments qui sont menacés d’un point de vue structurel pour la sécurité des personnes. Globalement, on ne peut pas dire que ce que l’on construit actuellement est dans un état lamentable.

Comment expliquer l’absence d’une politique de sauvegarde du patrimoine architectural de Casablanca ? La dégradation de nombreux immeubles – voire parfois les effondrements – n’inquiète-t-elle pas les pouvoirs publics ?

Il y a clairement une absence de politique de protection du patrimoine architectural au Maroc. Il y a une loi qui est dans les tiroirs du ministère de la Culture depuis des années, mais qui n’a jamais vu le jour. De plus, la demande d’inscription de Casablanca sur la liste du patrimoine de l’Unesco n’a pas été suivie. L’Agence urbaine de Casablanca a également commandité une étude pour inventorier l’ensemble des bâtiments à protéger, mais ça n’avance pas non plus. Les pouvoirs publics ne placent pas la question du patrimoine de cette ville au centre des priorités, comme je l’aurais souhaité ainsi que les défenseurs du patrimoine.

Dans les années 80, la question patrimoniale n’existait même pas dans les discours publics. Casablanca n’était pas considérée comme une ville digne d’intérêt de ce point de vue-là. La société civile a par la suite mené un travail de sensibilisation qui a débouché sur une prise de conscience générale du patrimoine casablancais. Des élus ainsi que les pouvoirs publics ont pris le problème à bras le corps. Il y a désormais des journées du patrimoine, des conférences sur ces sujets… Cette dimension est donc aujourd’hui pleinement intégrée, mais on ne remarque pas pour autant un véritable avancement dans ce dossier. Malheureusement, on assiste actuellement à un relâchement général. En d’autres termes, il y a une volonté affichée, mais les actes ne suivent pas – en tout cas pas encore. C’est pour cela qu’il faut maintenir la pression, d’abord par les habitants et les associations, puis sensibiliser les élus. C’est un travail de longue haleine.

Casablanca est-elle plus touchée par les habitats menaçant ruine que les autres grandes villes du Maroc ?

Non, je ne le pense pas. Casablanca est une ville extrêmement dynamique, qui bouge beaucoup, où les choses évoluent plus rapidement. Peut-être qu’on le remarque de manière plus prononcée ici. A contrario, une petite ville est plus facilement gérable qu’une grande métropole, et les enjeux ainsi que la pression immobilière n’y sont pas les mêmes. C’est pour cela que ces phénomènes paraissent plus tangibles à Casablanca, mais il n’y a pas de volonté de traiter cette ville différemment des autres villes du Maroc ; les lois sont les mêmes partout.

Il y a toutefois de belles rénovations qui sont réalisées à Casablanca. Il convient de citer notamment la synagogue Ettedgui et la réhabilitation de la Maison de l’union dans l’ancienne médina. Tout n’est donc pas perdu…

C’est ce que je dis : il faut continuer le travail de sensibilisation et aller de l’avant. Le tableau ni n’est tout noir, ni tout blanc. Il faut nuancer. Vous citez ces deux rénovations, mais il y en a encore plein d’autres à Casablanca qui peuvent servir d’exemples.

Réhabilitation de la Maison de l’union dans l’ancienne médina de Casablanca. / Ph. Twitter Karim RouissiRéhabilitation de la Maison de l’union dans l’ancienne médina de Casablanca. / Ph. Twitter Karim Rouissi

Soyez le premier à donner votre avis...
Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com