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Grand Angle

Indre : Une affaire d’esclavage moderne qui en révèle d’autres

Le 23 août dernier, le calvaire de quatre bûcherons marocains exploités a pris fin devant les prud’hommes de Châteauroux. La procédure est rare et l’obtention de gain de cause dans ces cas l’est tout autant, ce qui donne de l’espoir à d’autres ouvriers ailleurs en France.

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Driss, Rachid, Mustapha et Hamid ont obtenu gain de cause la semaine dernière / Ph. DR.
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Quatre bûcherons marocains travaillant dans le département français de l’Indre (centre) ont obtenu gain de cause, jeudi, dans une affaire les opposant à leur employeur. Driss, Rachid, Mustapha et Hamid ont en effet travaillé pour un salaire totalisant 2 200 euros l’année. Sur décision des prud’hommes, leur patron turc, Ahmet Siranli, a dû verser à chacun entre 4 000 et 6 000 euros.

Dans un article publié lundi, le site Mediapart revient longuement sur les péripéties des quatre hommes, rappelant qu’ils ont touché des salaires misérables pour un travail à plein temps. Durant celui-ci, l’employeur incriminé les a fait travailler entre 10 et 12 heures, cinq jours par semaines.

Mais souvent, les samedis et les dimanches ne sont pas de repos. Les bûcherons troquent leurs tronçonneuses contre des outils de maçonnerie. En effet, Ahmet Siranli leur a fréquemment imposé de travailler sur le chantier d’un grand magasin, sans les faire bénéficier de rémunérations supplémentaires.

Aucun terme du contrat n’a été respecté

Côté administratif, le contrat des employés prévoit pourtant autre chose. Mediapart rappelle que conformément à celui-ci, chacun des bûcherons devrait toucher un salaire mensuel de 1 480,30 euros pour 151,67 heures. Cependant, à leur arrivée en février dernier et après avoir travaillé pendant quatre mois, Rachid et Mustapha ont perçu 380 euros pour l’un et 330 pour l’autre.

Embauchés en juin 2017, Driss et Hamid ont quant à eux touché près de 265 et 211 euros par mois. Cité par Mediapart, Hamid revient sur ces conditions de travail :

«Le matin, le patron nous achetait deux baguettes de pain pour nous quatre. C’était notre déjeuner. Nous n’avions pas d’eau. Nous cherchions toujours une rivière ou un cours d’eau pour boire. Il nous traitait comme des animaux et chacun de nous avait un surnom : le chien ou l’âne.»

Par ailleurs, le site rappelle qu’aucune mesure de sécurité sur le lieu du travail n’a été respectée, donnant lieu à de dangereux accidents. «Il nous tenait par la peur, celle de nous prendre nos papiers si nous ne faisions pas ce qu’il demandait», confie encore Hamid à la même source. Justement, à la moindre revendication ou interrogation sur les salaires auprès de leur employeur, les ouvriers subissaient une réaction violente.

«Le manque de nourriture, la cadence infernale des journées de travail, l’absence de ressources financières plongent ces saisonniers marocains dans une misère bien plus grande que celle qu’ils ont fuie en quittant le Maroc», note l’article de Mediapart.

Une affaire révélée par hasard

En mai dernier, les ouvriers réitèrent leur revendication de salaire auprès de leur patron, qui réagit en détruisant les contrats et en privant ses travailleurs de logement. Se réfugiant ainsi dans un parking, les quatre employés attirent l’attention des riverains, qui découvrent à ce moment-là l’ampleur de l’affaire.

Dans la foulée, les habitants du village d’Aigurande créent un collectif. Lucie, institutrice parmi les initiateurs, s’exprime auprès de Mediapart :

«Depuis des mois, ils vivaient à côté de nous, dans le même village et nous ne les avions jamais vus, compte tenu de leurs horaires de travail. Le fait que cela se passe à la campagne rend finalement ce système d’exploitation d’êtres humains moins visible et donc plus simple pour ceux qui en tirent les bénéfices, surtout dans la filière bois qui représente beaucoup d’argent. On entend le bruit des tronçonneuses, on voit les arbres à terre, mais les travailleurs, on ne les voit pas.»

Lucie, membre du collectif de défense des bûcherons marocains

Grâce à cette initiative, le loyer des bûcherons et leurs repas sont pris en charge. Philippe Lefrère, délégué syndical CGT, déclare à Mediapart avoir même demandé une intervention du préfet pour que les ouvriers lésés soient reçus et aient des garanties pour continuer à travailler en France. Le syndicaliste dit ne pas avoir reçu de réponse, au moment où le maire du village reste peu réactif, malgré les sollicitations des habitants.

Non loin du village, les quatre hommes élisent finalement domicile à Neuillay-les-Bois. Son maire, Patrice Boiron, est expert forestier. Il considère que la responsabilité d’une telle situation doit être endossée à «l’ensemble de la chaîne» qui bénéficie de cette exploitation.

«Les scieries, les exploitants, les donneurs d’ordre doivent être vigilants et ne pas faire semblant de découvrir ensuite la situation. Idem pour les chambres de commerce, qui autorisent des entreprises à se monter.»

Patrice Boiron, maire de Neuillay-les-Bois

Le maire, sans appartenance partisane, rappelle à Mediapart que la situation des ouvriers dans les secteurs rattachés au travail rural et agricole reste extrêmement précaire : «Je veux que tout le monde soit respecté dans cette filière que je connais depuis plus de vingt-cinq ans. Tous les jours je rencontre des personnes qui sont dans des situations sociales difficiles, c’est le cas de ces saisonniers marocains dans nos forêts, mais aussi des saisonniers qui ramassent les fruits dans les exploitations agricoles, c’est inacceptable.»

C’est après ces révélations que l’affaire a été portée devant les prud’hommes, qui ont finalement tranché en faveur des quatre ouvriers.

Un espoir pour les autres travailleurs marocains en France

Mediapart indique qu’après le dénouement de cette affaire, des travailleurs marocains dans le Vaucluse se préparent à leur tour à intenter un procès contre leur ancien employeur. Il s’agit d’une société espagnole d’intérim, en plus d’une dizaine d’entreprises agricoles basées en France. Le rendez-vous est déjà pris devant les prud’hommes d’Arles, le 4 octobre prochain, pour que les cinq ouvrier plaignants –  dont trois femmes – soient entendus par le juge.

Cité par la même source, Bernard Petit, avocat des travailleurs, indique que ces derniers sont embauchés par des sociétés d’intérim, à travers lesquelles ils sont mis à la disposition d’entreprises d’emballage agricole dans les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse et le Gard. Disant avoir tous été exploités, certains parmi eux auraient même subi des violences physiques, en plus d’être privés de couverture sociale.

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