Avant l’avènement des Alaouites vers 1631, le Maroc sous les Saadiens était divisé en plusieurs zones d’influences. Des Etats contrôlés notamment par deux puissantes zaouias berbères : celle de Dila, au centre, et celle des Illighs au sud. Quelque part dans l’ouest, la République de Salé était arrivée à son apogée, au moment où les sultans saadiens ne contrôlaient que Marrakech et une partie du Nord, vers Tanger. Même Tétouan était alors gouvernée par la puissante famille des Naqsis.
L’histoire de cette ville située aux portes de l’Europe commencera avec la chute de Grenade en 1492. Des milliers de musulmans prennent alors «le chemin de Tétouan, situé à quelques kilomètres des côtes ibériques, constituant une partie essentielle de sa population», écrit Mohammed El Jetti dans son article «Tétouan, place de rachat des captifs aux XVI et XVIIe siècles» paru dans la revue «Cahiers de la Méditerranée» (Numéro 87, 2013). «Les sources contemporaines parlent d’une dizaine de milliers de morisques, qui se seraient réfugiés dans cette ville suite à la promulgation du décret d’expulsion de 1609». Une expulsion aussi importante que celle survenue dans les années 1490.
«Dès la fin du XVIe siècle et pendant la première moitié du XVIIe siècle, la course tétouanaise connut son âge d’or. Le port servait également de havre et de point de retraite précieux, où Salétins, Turcs et Algériens venaient souvent se ‘rafraîchir’.»
Les Naqsis, sur les pas des Al Mandari et des nobles de Chefchaouen
Avant l’arrivée des Naqsis au pouvoir à Tétouan, la ville-Etat a déjà été gouvernée par une grande famille : Celle des Al Mandari, eux-aussi originaires d’Al Andalus. Etabli après son exil dans la ville de Chefchaouen, Abu Hassan Ali Al-Mandari sera chargé par le sultan wattasside Mohammad Ben Yahya en 1484 de fortifier la ville de Tétouan.
Il gouverne alors la ville de 1485 à 1505 et sera succédé par son épouse, Sayyida Al Horra, fille de Ali Ben Rachid Al Alami, d’origine morisque. La princesse de Tétouan léguera ensuite ses fonctions, vers 1542, à ses descendants. Tétouan et son port sont alors sous le contrôle de cette famille jusqu’en 1567.
Portrait de Sayyida Al Horra. / Ph. DR
Un autre nom succède ensuite à celui des Al Mandari : les Naqsis. «Cette famille d’origine andalouse, qui a régné près d’un siècle sur la ville de Tétouan (1597 - 1672), a donné à la ville un véritable essor économique», rapportent les auteurs de l’ouvrage «Le Maroc Andalou: A la découverte d'un Art de Vivre» (Editions Museum With No Frontiers, 2015).
«Le professeur Jean-Louis Miège décrit ainsi la splendeur de Tétouan: ‘Ainsi apparaît en quelque sorte une cité-Etat qui, véritablement, à sa mesure et à la spécificité marocaine, peut rappeler par certains traits la Florence de la grande époque ou la Venise des Doges’.»
Les Naqsis s’inspireront de l’expériences des Al Mandari et de Sayyida Al Horra pour mettre en place une nouvelle forme de gouvernance, basée sur une oligarchie, contrairement aux autres entités qui contrôlaient le Maroc à l’époque.
La dynastie des Naqsis donnera, entre 1597 et 1667, cinq maîtres à la ville, comme le rapporte Otman Ben Ali, dans «L’Histoire de Tétouan». Les gouverneurs issus de cette famille développeront, selon lui, «une forme spéciale (…) d’oligarchie tétouanaise».
Portraits de deux gouverneurs Naqsis. / Ph. DR
L’arrivée au pouvoir de cette dynastie coïncidera alors avec la période d’une grande prospérité. L’accroissement des échanges commerciaux et des intérêts communs entre la nouvelle cité-Etat et les puissances européennes «exigèrent l’établissement de relations institutionnelles», comme le rapportent les auteurs du «Le Maroc Andalou : A la découverte d’un Art de Vivre». Dès 1629, la France installera «un consulat à Tétouan et d’autres pays l’imitèrent». En effet, Otman Ben Ali raconte comment le «dernier des Naqsis va négocier avec Cromwell en 1656, prévoyant l’installation d’un consul anglais à Tétouan».
Entraînés par la chute de Lakhdar Ghaïlan
Mais la dynastie des Naqsis ne durera pas longtemps à Tétouan, à cause de la guerre pour l’unification du Maroc lancée par les Chorafas de Tafilalet mais aussi un certain Lakhdar Ghaïlan. Grand chef religieux du nord, entre 1657 et 1658, il contrôlait une grande partie du Nord du Maroc, du Gharb jusqu’à la péninsule tingitane, en passant par Habt et Loukkos.
Avec les princes indépendants de Tétouan, ce chef miliaire aurait réussi à tisser des liens familiaux. On dit même qu’El Khadir (ou Lakhdar) avait épousé une fille des Oulad En-Naqsis, rapporte Ernest Leroux dans «Archives marocaines : publication de la Mission scientifique du Maroc» (1912).
Portrait de Lakhdar Gaïlan. / Ph. DR
Mais au Sud, entre 1664 et 1666, les Alaouites mettent fin à leurs querelles intestinales et s’unifient autour de Moulay Rachid. Son accession au trône, en 1666, marquera un tournant décisif puisque le nouveau sultan alaouite lancera une grande opération visant à l’unification du Maroc.
Une première confrontation aura donc lieu entre les alaouites et les partisans de Lakhdar Ghaïlan, épaulé par les Naqsis, en 1666. Battus, ces derniers trouveront refuge à Alger mais tenteront, en 1673 et à la suite du décès du sultan Rachid Ben Chérif, de reprendre le contrôle du nord du Maroc, cette fois, avec le soutien de l’Empire Ottoman.
«Ghaïlan, qui s’était fait des partisans, revient à Tétouan sur des bateaux d’Alger. Avec un certain nombre de volontaires turcs et des Naqsis, il se rendit bientôt maître de tout le Gharb, avec Arzila, El-Qçar el-Kebir, Tétouan, et menaça la province de Fès.»
En octobre 1673, une autre bataille près de Ksar El Kébir aura lieu entre l’armée de Moulay Ismail et celle de Lakhdar Ghaïlan et des Naqsis, épaulés par les Ottomans. Ghaïlan y est tué, entrainant ainsi l’effondrement du pouvoir des Naqsis.