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Grand Angle  

Diaspo #53 : Osman Elkharraz, «acteur déchu» de retour sous les projecteurs

Né à Nanterre d’un père marocain venu d’El Jadida, Osman Elkharraz a vu sa vie basculer au décès de ses parents. Adolescent, l’acteur principal du deuxième film d’Abdellatif Kechiche, «L’Esquive», se retrouve rapidement à la rue. Itinéraire d'un enfant aujourd'hui adulte, sauvé grâce à sa rage de vivre.

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Osman Elkharraz, cinéaste et écrivain / Ph. Osman Elkharraz
Temps de lecture: 5'

A 30 ans aujourd’hui, Osman Elkharraz est acteur, réalisateur et écrivain. Evoluer dans le cinéma est son rêve d’enfant. Mais tout bascule lorsqu’il a à peine sept ans, au décès de ses deux parents. Faute de moyens et livré à lui-même, réaliser son ambition s’est avéré un véritable parcours du combattant. «Après le décès de mes parents, je suis parti vivre chez ma grand-mère maternelle pendant un moment, se rappelle-t-il. C’était beau, mais ce n’était pas chez moi, donc je n’avais pas vraiment ma place là-bas».

«Je suis revenu vivre à la maison que mon père nous a laissés, mais personne ne nous a réellement pris en charge, mes trois frères et sœurs et moi. Mon frère aîné s’est substitué au rôle financier du papa. Il a beaucoup travaillé pour pouvoir payer les factures, ce qui fait que j’ai vécu seul les différentes étapes de ma vie.»

Osman Elkharraz

En haut de l’affiche à 13 ans

Alors qu’Osman Elkharraz vit à Colombes (Île-de-France), la chance lui sourit à l’âge de 13 ans. Sa carrière artistique débute au hasard d’une rencontre. «Je me promenais dans un centre commercial du quartier de La Défense, lorsque des personnes sont venues me voir pour me proposer de participer au casting d’un film, qui était L’Esquive d’Abdellatif Kechiche», raconte-t-il à Yabiladi. Il est rapidement rappelé pour incarner le rôle principal de ce long-métrage, puis nominé meilleur espoir masculin aux César, du haut de ses 15 ans.

Sabrina Ouazani et Osman Elkharraz à la cérémonie des César en février 2005 / Ph. BestImageSabrina Ouazani et Osman Elkharraz à la cérémonie des César en février 2005 / Ph. BestImage

S’il n’a pas décroché le sésame, Osman Elkharraz reste fier de ce passage, d’autant plus qu’il lui a permis de participer un autre film, "Né en 68" d’Olivier Ducastel et de Jacques Martineau, ou encore "SOS 18" de Didier Cohen et d’Alain Krief, série diffusée sur France 3 entre 2005 et 2010. Mais en dehors des plateaux de tournage et une fois les projecteurs éteints, la graine d’acteur revient à sa dure vie d’adulte, menée précocement depuis son adolescence.

Faute de moyens, il quitte en effet l’école à 15 ans, puis abandonne sa formation de comédien au cours Florent. «Ma vie ne collait pas avec ces activités-là et j’étais mal entouré, nous confie-t-il. Lorsque je rentrais à la maison, j’étais seul. Je n’avais pas de parents donc plutôt que de ramener de bonnes notes de l’école, je devais venir avec de quoi pouvoir manger et m’habiller».

Un acteur déchu

Osman Elkharraz considère que sa nomination aux César aurait pu le mener beaucoup plus loin dans le cinéma. «Mais ce n’est pas évident, lorsqu’on grandit en banlieue et qu’on n’est pas accompagné», concède-t-il. Dans ce sens, les retombées financières de ce passage ayant été bloquées en attendant ses 18 ans, l’artiste peine à se nourrir au quotidien.

«Le monde du cinéma est rempli de belles paroles. On vous dit que vous irez loin, que vous avez un bel avenir devant vous, que vous êtes un acteur prometteur. Lorsqu’on est jeune, on vit naturellement avec cet espoir. Mais finalement, la réalité vous rattrape.»

Osman Elkharraz

Après ses premières apparitions marquantes dans le cinéma français, Osman Elkharraz arrive à son âge de jeune adulte. «J’attendais mes 18 ans avec impatience, mais finalement je n’ai touché qu’une partie de ce qui était prévu, soit moins de 3 000 euros», nous confie-t-il en évoquant une éventuelle «escroquerie» de la part de «la production». «L’argent a été bloqué et quand j’ai voulu le récupérer à mes 18 ans, il y a eu une prescription. Il était impossible de faire un recours en justice et après, mon quotidien devenait de plus en plus celui de la rue».

Osman Elkharraz dans L’Esquive, film d’Abdellatif Kechiche (2003) / Ph. DR.Osman Elkharraz dans L’Esquive, film d’Abdellatif Kechiche (2003) / Ph. DR.

En pensant aujourd’hui à tout ce qu’il a traversé comme épreuves de vie, Osman Elkharraz se demande comment il a pu faire pour passer le cap. «Les nuits et les jours étaient longs et sans répit, nous rappelle-t-il encore. Il n’y avait pas non plus beaucoup d’aide des voisins.» Il s'efforçait de rester présentable pour pas qu'on devine qu'il était SDF. 

«On se débrouille par tous les moyens car lorsqu’on vit dans la rue, c’est très dur d’aller vers les autres. C’est tout autant dur parfois d’accepter une main tendue, parce qu’on a honte et on se sent mal à l’aise à la fois, même si on ne devrait pas. J’étais donc un peu renfermé sur moi-même et je me posais énormément de questions en observant le monde se lever, puis se coucher.»

Un nouveau départ

Si Osman Elkharraz a réussi à remonter la pente, c’est surtout grâce à sa détermination. Il nous raconte avoir fait le tour des cinémas à Paris, où il a déposé son CV «tous les matins à la même heure». De la même manière, il postule à La Poste et aux galeries Lafayette.

«J’ai été tellement déterminé qu’en l’espace de deux semaines, j’ai pu décrocher un emploi en CDD de trois mois à Lafayette. Peu après, j’ai pu avoir un CDI auprès de mon employeur, ce qui m’a permis de trouver un hébergement au foyer. Plus tard, une assistante sociale m’a aidé à constituer mon dossier pour avoir un petit logement.»

Osman Elkharraz

Acteur aujourd’hui, mais également écrivain tout en continuant à travailler comme coursier à Paris, Osman Elkharraz tient à souligner que «des histoires comme la [sienne], il y en a beaucoup». «J’ai eu de la chance, car même si j’ai traversé les pires péripéties, j’ai souffert, je ne mangeais pas tous les jours, je ne pouvais pas me laver quotidiennement, j’ai pu être aidé par des associations», précise-t-il.

En mai 2016, il publie «Confession d’un acteur déchu - de L’Esquive à la rue» aux éditions Stock. Il s’agit d’un récit autobiographique où il retrace son parcours atypique, l’ayant mené au cinéaste autodidacte qu’il est devenu. «A la sortie du livre, j’ai reçu beaucoup de soutien, notamment de Booba ou Franck Dubosc qui m’ont tout de suite appuyé».

Osman Elkharraz tenant son livre entre les mains / Ph. Osman Elkharraz (Instagram)Osman Elkharraz tenant son livre entre les mains / Ph. Osman Elkharraz (Instagram)

Fier de sa vie actuelle, Osman Elkharraz nous fait remarquer qu’il n’a pas bénéficié d’autant d’expressions de sympathie ailleurs, dans le milieu artistique :

«Je suis d’origine marocaine et il existe beaucoup d’artistes maghrébins en France. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils m’ont soutenu. Je n’attends rien d’eux, mais je pense que ça aurait été plus facile s’ils m’avaient aidé d’une manière ou d’une autre, selon ce qu’ils auraient pu faire.»

Au départ de son projet autobiographique, Osman Elkharraz nous confie avoir eu l’idée de faire un film, ce qu’il n’a pas pu réaliser dans le temps.

Ceci n’a été que partie remise, puisque son premier court-métrage inspiré de son vécu, «Coup de poker», vient de sortir grâce à une campagne de crowdfunding. L’avant-première en France s’est tenue le 14 juillet dernier et le réalisateur promet que son film sera projeté dans de nombreux festivals, à partir de septembre prochain.

«Je n’ai pas encore un grand réseau professionnel au Maroc, mais je vais essayer de trouver un moyen pour faire connaître le film là-bas aussi. Par ailleurs, je travaille sur mon deuxième livre et sur deux autres court-métrages.»

Osman Elkharraz

En effet, Osman Elkharraz ne manque pas d’inspiration pour se lancer dans plusieurs projets artistiques. Son secret, «le fait d’avoir vécu dans des milieux très différents, dès le jeune âge, ce qui a aiguisé une vision réaliste dans [sa] démarche artistique ou littéraire». C’est ce qui lui donne notamment «beaucoup de facilités à écrire des livres ou des scénarios, pour défendre des valeurs humaines».

Grâce à ce nouveau départ, Osman Elkharraz a la joie de redécouvrir le Maroc, depuis deux ans. «Faute de moyens et puisque j’ai longtemps vécu dans la rue, je n’ai pas pu le faire pendant mon enfance ou mon adolescence», nous déclare-t-il. Désormais, il rattrape ces années où il a été contraint de rester éloigné de son pays natal. «Mon père est enterré à Casablanca, donc je me recueille sur sa tombe à chaque fois que je suis au Maroc. Cela me fait beaucoup de bien d’être ici.»

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