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Grand Angle

Le Maroc appelé à voter la Déclaration de l’ONU pour les droits des paysans

Dans les prochains mois, l’ONU devra se prononcer sur le vote définitif de la Déclaration pour les droits des paysans et des travailleurs ruraux. C’est l’aboutissement de dix ans de négociations initiées par le mouvement international La Via Campesina, qui appelle les gouvernements à approuver ce texte.

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Photo d’illustration / Ph. DR.
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Le mois prochain, les Etats membres du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU procéderont au vote de la Déclaration des droits des paysans, des paysannes et des travailleurs ruraux. Les négociations ayant abouti cette année auront duré dix bonnes années, au cours desquelles la coordination internationale des paysans du monde, La Via Campesina, a présenté le texte et a participé aux différentes étapes de ce processus à grande échelle. En dernière étape, le texte pourrait être soumis à l’Assemblée des Nations unies.

Après une décennie de débats sous l’égide du Conseil des droits de l’Homme à Genève, syndicats et associations de paysans à travers le monde auront donc les yeux rivés sur New York, si le texte est adopté par l’instance inusienne basée en Suisse. En attendant ce vote ultime, le plaidoyer prend son chemin auprès des gouvernements des Etats membres.

Un premier instrument pour garantir la souveraineté alimentaire

«C’est un moment très crucial pour nous», confie à Yabiladi Mohamed Hakach, coordinateur de la section MENA de La Via Campesina. Egalement membre de la Fédération nationale du secteur agricole (FNSA / UMT), il nous explique que ce texte est élaboré «dans l’esprit de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels».

En plus de ces principes qu’elle reprend, cette déclaration aura pour but de «renforcer la valeur de la souveraineté alimentaire et mettre fin aux diverses violations que les paysans subissent à travers le monde». En effet, Mohamed Hakach souligne que nombre de pays sont dépourvus de lois spécifiques en la matière. 

Ainsi, le vote d’un tel traité est inédit à plusieurs égards. Il se différencie d’ailleurs de l’arsenal juridique international relatif à la sécurité alimentaire, dans la mesure où cette Déclaration régira davantage les activités de la production, afin de les rendre respectueuses des droits humains reconnus par l’ONU. Dans ce sens, Mohamed Hakach nous fait remarquer que «dans les textes actuels, ‘l’autodétermination’ des peuples à choisir la nature de leur production agricole qui convient le mieux à leur environnement n’existe pas».

Selon lui, «l’idée largement répandue est que l’agrobusiness nourrit la plus grande partie de la population mondiale, sauf que ce n’est pas vrai : cette agriculture contribue à hauteur de 30%, tandis que les petits agriculteurs nourrissent 70% des habitants de la planète».

«Certains Etats d’Amérique latine ont franchi le pas et ont même constitutionnalisé le principe de la souveraineté alimentaire, ce qui a donné lieu à des réformes agraires populaires et a limité les accaparements sur les espaces agricoles. Par exemple, les paysans du Maroc souffrent énormément de ces usages-là. Réclamer leur droit à la terre les a conduits en prison, comme c'est le cas dans la région du Gharb.»

Mohamed Hakach, coordinateur de La Via Campesina - MENA

«C’est là une première base commune afin de plaider justement pour la protection des activités des paysans dans tous les pays», précise pour sa part Faïçal Ouchen, secrétaire général Syndicat national des paysans (SNP), un des 17 syndicats agricoles affiliés à la FNSA. Selon lui, «les statistiques officielles indiquent que les petits paysans au Maroc constituent une population d’un million et demi de personnes, sans compter les petits professionnels de l’industrie liée à ces activités dans le monde rural, ainsi que les autres métiers dans les campagnes».

Notre interlocuteur explique ainsi que le texte garantit les droits de ces catégories-là, en plus de «les protéger des expropriations aléatoires, notamment celles opérées par les mafias immobilières, pour le cas du Maroc, en plus des grosses industries des graines qui produisent des semences non reproductibles, contrairement à celles des petits agriculteurs, les contraignant ainsi à dépendre de ces structures».

Une réorganisation des politiques agricoles

Dans la logique d’une protection effective, le premier article de cette Déclaration pose d’ailleurs une définition internationale au statut du paysan, en le différenciant des gros agriculteurs qui sont dans une activité d’investisseurs, mais pas de travail de la terre. C’est pour cette définition elle-même, en plus de l’esprit du texte, que les négociations pour l’élaboration de ce dernier ont pris autant de temps, comme nous l’explique Mohamed Hakach. Celui-ci évoque justement les contraintes ayant retardé la sortie du traité :

«La première est liée aux parties qui n’ont pas intérêt à ce que cette Déclaration soit adoptée, à savoir les multinationales et les grands décideurs de ce monde. Ce vote sera donc une décision politique et nous sommes en train de sensibiliser le gouvernement marocain là-dessus. Par ailleurs, une autre limite est celle de l’organisation des paysans. Dans notre pays, ce n’est qu’en juillet dernier qu’a été créé le Syndicat national des paysans. Sur le terrain, les petits travailleurs ruraux ont beaucoup de mal à défendre leurs intérêts, car cette faiblesse d’organisation nous fait défaut.»

Mohamed Hakach

Le syndicaliste rappelle par ailleurs que la politique agricole marocaine «repose principalement sur le Plan Maroc Vert (PMV), dirigé directement vers les grands exploitants». Ainsi, «en cas d’adoption du traité, avec ou sans le vote du Maroc, notre pays devra revoir cette politique pour la rediriger vers les petits paysans». Dans ce sens, ce texte permettra également d’asseoir une accessibilité à la machinerie au bénéfice des petits agriculteurs, comme nous l’explique Faïçal Ouchen.

Le secrétaire général du SNP ajoute que «le traité reconnaîtra aussi à ces travailleurs leur droit à une protection sociale, pour leur éviter de tomber dans la précarité en cas d’arrêt de travail ou de maladie de longue durée». Pour l’instant, «ce droit n’est garanti qu’à ceux parmi les agriculteurs qui bénéficient du RAMED, avec les failles que nous lui connaissons».

Faïçal Ouchen signale enfin que l’adoption de cette déclaration donnera lieu à la création d’un arsenal juridique encore plus important, à travers les différents protocoles protégeant les multiples aspects liés aux droits de ces paysan(e)s.

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