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Grand Angle

La récolte des fonds, premier combat de la société civile marocaine

Les associations sont contraintes de remplir le rôle de l’Etat dans la prise en charge des personnes en difficulté, et voient ainsi leurs minces ressources financières diminuer comme peau de chagrin.

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En moyenne, les salaires du personnel associatif tournent entre 2 500 et 7 000 dirhams. / DR
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«On compte trop sur les associations au Maroc !» En mars dernier, Fatema, la plus ancienne des formatrices de l’Institution nationale de solidarité avec les femmes en détresse (Insaf), s’indignait auprès du journal Le Monde des lourdes, très lourdes charges qui pèsent sur les associations marocaines œuvrant dans le social. Peu importe le champ d’action dans lequel elles agissent, toutes ont un même combat à livrer : récolter des fonds et ainsi pérenniser leurs actions.

En 2016, le constat du Conseil économique, social et environnemental (CESE), dans son rapport intitulé «Statut et dynamisation de la vie associative», était sans appel : «Les fonds propres des associations sont très limités. Le financement public qui représente la principale source de financement d’un grand nombre d’associations est insuffisant. Le droit d’accès au financement public de manière équitable et transparente n’est pas toujours garanti.»

C’est que les associations sont malgré elles contraintes d’empiéter sur le champ d’action de l’Etat, faute d’un réel engagement de sa part. Et se retrouvent rapidement à bout de souffle. «Avant même d’aborder la question des fonds, il faut définir le rôle des associations. A l’heure actuelle, elles jouent les pompiers !», fustige Omar El Kindi, membre du Collectif pour l’éradication du travail des petites bonnes et ancien président de l’Insaf. «Je considère que le rôle de la société civile, c’est de faire de l’accompagnement et de l’encadrement, de la protection et de la sensibilisation – de la veille sociale, en somme – mais pas de la prise en charge qui coûte de l’argent», ajoute-t-il.

«Nous ne sommes pas censés nous occuper de toute sorte d’enfants ou d’adultes en difficulté; ça, c’est le rôle de l’Etat. Les associations peuvent faire de la prise en charge mais seulement dans une situation donnée, pour servir de modèle, pour faire pression par plaidoyer sur l’Etat pour qu’il prenne le relais.»

Omar El Kindi

Des subventions en attente depuis 2015

Cette confusion dans les rôles, Sabah Zemmama, présidente de l’Union nationale des associations œuvrant dans le domaine du handicap mental, en connaît bien les rouages. «La pérennité des budgets de fonctionnement et d’équipement n’est pas de notre ressort, et pourtant, on se retrouve à louer, équiper, payer des salaires, construire des bâtiments…», confie-t-elle. Il y a bien les sponsors et les budgets occasionnels, mais leur faible viabilité est propice à une «totale insécurité financière».  

«Sans compter qu’on démarre l’année avec un budget déficitaire, les associations ne peuvent donc pas établir un plan d’action correct et embaucher par la suite. Il n’y a pas de vision à moyen terme», ajoute Sabah Zemmama. Une marge de manœuvre d’emblée réduite qui «menace la capitalisation des acquis au niveau des ressources humaines et matérielles car le plan de fonctionnement n’est pas pérenne».

D’après son témoignage, certaines associations n’auraient pas reçu leur subvention depuis 2015. «Je reçois des appels de présidents d’associations en milieu rural qui se cachent littéralement car ils ne peuvent plus voir leurs salariés qui ne sont pas payés», abonde-t-elle. En moyenne, les salaires tournent entre 2 500 et 7 000 dirhams.

Si les intentions de certains responsables politiques sont louables, reconnaît de son côté Omar El Kindi, leur concrétisation sur le terrain se fait de toute évidence toujours attendre. «En réalité, l’Etat, à partir du moment où il trouve quelqu’un pour prendre la main, cède tout sauf l’aide matérielle et financière, qui est pourtant absolument indispensable. C’est bien pour cela que nous faisons appels à des aides étrangères, parce qu’il n’y a pas d’aide locale !»

Des associations soumises à la même fiscalité que les sociétés

Aux maigres subventions étatiques, il faut ajouter les difficultés générées par la fiscalité marocaine. Celle-ci «comprend peu de dispositions spécifiques aux associations qui se trouvent le plus souvent soumises au même régime fiscal que les sociétés, notamment en matière d’impôt sur le revenu, qui a pour effet de grever les fonds acquis difficilement par les associations et de limiter le recours à des ressources humaines permanentes et qualifiées, limitant, par là même, les possibilités de professionnalisation des associations et de pérennisation des projets ; de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et de droits d’enregistrement et de timbre», soulignait le CESE dans son rapport.

A ce titre, il rappelait toutefois que «seules sont exonérées [de la TVA] les associations reconnues d’utilité publique et les associations s’occupant des personnes en situation de handicap sous des conditions limitées».

«Vous devenez ainsi pourvoyeur au lieu d’être récepteur !», observe Omar El Kindi. Ce dernier suggère ainsi de revenir au rôle des collectivités locales et des régions. «Il faudrait que dans leurs plans régionaux de développement, il y ait des budgets alloués à ce type d’activités. Ce sera ainsi plus précis et plus localisé», conclut-il.

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