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Histoire : Klems, l’Allemand à qui Abdelkrim El Khattabi confia la protection d’Al Hoceïma

Les archives et informations concernant ce fascinant personnage peuvent être comptées sur les doigts d’une main et semblent assez confuses. Joseph Otto Klems alias El Hadj Halliman a changé de camp à plusieurs reprises, jusqu’au jour où il prêtera allégeance au leader rifain Abdelkrim El Khattabi. Retour sur le parcours d'un fascinant personnage ayant combattu le colonialisme au Maroc.

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Peter Strauss dans le rôle de Joseph Otto Klems du réalisateur Sergio Grieco./Ph.DR
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L’allemand Joseph Otto Klems semble avoir eu plusieurs vies, passant de l’armée allemande à la légion étrangère française, il combattra aux côtés d’Abdelkrim Khattabi contre l’insurrection espagnole, avant de se suicider dans sa terre natale, tombée aux mains des nazis.

Né en 1893 à Düsseldorf (ouest de l'Allemagne), l’enfance de Klems est tumultueuse. Après avoir commis des délits mineurs, il fera son entrée dans l’armée allemande en 1912. Moins de deux ans après, il déserte et fugue vers la France, où il s’engage au sein du 2ème régiment de la Légion étrangère française.

Héros ou vilain ? 

Joseph Otto Klems sera affecté en Algérie avant d’être envoyé au Maroc en 1916. Durant ses quatre premières années au royaume, l’allemand se fera remarquer par son obéissance et sa stabilité, explique le spécialiste Yves Le Jariel auteur de l’article «Klems, Joseph Otto (1893 - 1939) : Héros ou vilain dans le combat anticolonialiste de la guerre du Rif ?». Constat confirmé par les archives de l'armée de terre (SHAT), où il est mentionné que le légionnaire obtient d’excellentes notations de la part de ces supérieurs.

Le film "Sergent Klems" réalisé par Sergio Grieco./Ph.DRLe film «Sergent Klems» réalisé par Sergio Grieco./Ph.DR

Le 1er janvier de 1922, son dévouement lui vaudra même une promotion au titre de sous-officier, avec le grade de caporal. Cependant, il semble que cette nouvelle vie ne lui plaise pas tellement. Dans une lettre écrite à un des ses amis proches, Joseph Otto confie qu’il a «l’impression d’être victime comme son père et son frère de la suspicion et de la haine des Français et qu’il a l’intention de déserter».

Décision qu’il mettra à exécution la même année, où les rapports de l’armée notaient que malgré le fait qu’ils n’avaient rien à lui reprocher, il était «extrêmement irritable, méfiant et imbu de lui-même».

Se jetant dans la gueule du chacal, Joseph Otto Klems sera capturé par Aït Baza, chef de la tribu des Aït Seghrouchen, qui selon la légende, leur ancêtre Moulay Ali Ben Amer aurait desséché un chacal qui dévorait une brebis (Seghr : faire sécher. Ouchen : Chacal) ce qui a donné le nom «Seghrouchen».

L’inconnu bénéficiera tout de même de la clémence de Moulay M'Hammed, qui verra en lui une grande utilité. Klems fera aussitôt ses preuves lorsqu’il permettra aux Rifains de récupérer le poste français de Missour (province de Boulemane - région de Fès-Meknès). Cependant, son protecteur se ralliera aux Français, et donc, Joseph pouvait à tout moment être démasqué et capturé par l’armée française, qui avait promis une récompense à celui qui ramènera le déserteur.

Le grand artilleur d’Abdelkrim Al Khattabi

Avant de rejoindre les troupes d’Abdelkrim El Khattabi il sera également adopté par une tribu, celle des Marmouchas, assiégé dans le sud de Béni Ouarayne. Il n’y pas de datte précise sur son intégration dans l’armée d’Abdelkrim El Khattabi, mais le leader venait de proclamer la République confédérée des tribus du Rif.

Le leader rifain était connu pour avoir accueilli de nombreux étrangers, tels que le journaliste Walter Harris ou encore Vincent Sheean, note Yves Le Jariel, mais aussi l’anglais Robert Gordon-Canning ou encore du turque «Ismaël». Joseph Otto a su gagner la confiance de Abdelkrim El Khattabi, qui lui confia l’artillerie, remplaçant ainsi un certain Abdallah Serbiano. Il mettra en place une troupe de près de 70 soldats et sera le meneur de l’offensive sur Tétouan contre les troupes espagnoles.

Son talent lui vaudra même le surnom de grand artilleur d’Abdelkrim El Khattabi, qui le chargera de la défense de la zone côtière, et particulièrement d’Al Hoceïma. Outre son talent d’artilleur, il maniera comme personne les relevés topographiques et sera même doué pour la photographie, grâce à laquelle il captera des moments forts des victoires de Rifains.

Malgré le fait qu’il ait été décrit comme violent et centré sur lui-même par quelques-uns de ses collègues, sa notoriété dans les tribus rifaines ne fera que grandir. En effet, Joseph Otto Klems était surnommé El hadj Halliman (ndlr. allemand). Le grand-reporter Georges Manue, avait écrit : «Pour nos troupes il était devenu légendaire. La haine avait cédé à une certaine admiration. Le déserteur était devenu un grand aventurier. Les légionnaires voyaient en lui un grand aventurier».

Le film "Sergent Klems" réalisé par Sergio Grieco en 1971./Ph.DRLe film «Sergent Klems» réalisé par Sergio Grieco en 1971./Ph.DR

Son ascension sera fulgurante, sa loyauté était saluée par les habitants. La proximité avec Abdelkrim qui le considérait comme chef d’état-major, conduira même à plusieurs faveurs octroyées. Le leader rifain lui cédera «une captive espagnole, Isabella "la rousse", qu'il aurait achetée 20 000 pesetas à un de ses chefs de tribu». Cette relation amoureuse ne sera pas la seule que mènera El Hadj Halliman, qui se mariera à plusieurs reprises. L’une d’elle n’est autre que Mimouna, une cousine d’Abdelkrim El Khattabi.

La chute du Rif et celle d’El Hadj Halliman  

Au front contre les Français, Joseph alias El Hadj Halliman, sera gravement blessé lors d’une attaque ciblant le poste de Bab-Mizab, en juin 1925. Après la défaite rifaine, le nom de Joseph Otto réapparait lorsque ce dernier devra comparaitre devant le conseil de guerre de Meknès, en février 1927.

L’ex-légionnaire allemand aurait été emprisonné dix mois plus tôt, mais dans le plus grand secret. Le jour de son audience devant le juge, les journalistes présents au procès le décrivent comme un homme affaibli et vêtu «d’un costume arabe, avec son turban rouge». Durant l’audience, Joseph n’aurait accordé que peu d'importance au jugement, et lorsqu’il sera condamné à mort «Klems ne sourcille pas».

Mais suite à des irrégularités durant le procès, Joseph Otto Klems sera de nouveau jugé. Grâce à l’intervention de la diplomatie allemande, il bénéficiera de circonstances atténuantes et le conseil de guerre de Taza le condamnera finalement à sept ans de travaux forcés.

La fin de sa vie sera marquée par les tragédies. En effet, début de l’année 1930 il sera déporté en Guyane avant d’être libéré quatre ans plus tard et envoyé en Allemagne. Cependant, sa patrie sous l’emprise des nazis avec lesquels il ne partage nullement les idées, le conduira au suicide en 1939 alors qu’il était emprisonné pour un délit mineur.

Joseph Otto Klems ne sera dans son élément qu'au Maroc quand il se faisait appelé El Hadj Halliman. Lors de son procès à Meknès, le colonel Huot affirmera qu’il eut un rôle déterminant lors de la guerre du Rif. Sa vie a inspiré de nombreux auteurs et conduira même le réalisateur italien Sergio Grieco à retracer ses aventures dans le film «Sergent Klems», sorti en 1971.

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