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Grand Angle

Jerada : Une commission d’enquête se penche sur la fermeture des mines

Une commission d’enquête parlementaire a été constituée, mardi, avec l’objectif d’identifier ce qui est advenu de la convention sociale et économique relative à la fermeture de Charbonnages du Maroc. Les faits remontent à février 1998, lorsque l’accord a été signé entre le ministère de tutelle, l’entreprise exploitante des mines de Jerada et les partenaires sociaux.

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Après leur fermeture officielle, les mines de charbon ont été reprises par des «barons» qui ont continué à les exploiter de manière informelle / Ph. DR.
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Et si les réponses aux revendications sociales de la population de Jerada trouvaient leur écho dans l’identification des failles relatives aux termes de la convention sociale et économique avec Charbonnages du Maroc, ainsi que les lacunes ayant accompagné son application ? C’est ce que les députés de différentes tendances ont suggéré, proposant ainsi la constitution d’une commission d’enquête parlementaire pour répondre à ces questions parmi d’autres.

Le 10 juillet, Touria Lahrach, coordinatrice du groupe parlementaire de la Confédération démocratique du travail (CDT) à la Chambre des conseillers, a été élue à la tête de cette commission. Quant au député PJD Abdessamad Mariami, il en est désormais le rapporteur. Contactée par Yabiladi, Touria Lahrach nous a confirmé cette élection à l’issue d’«une réunion avec le président de la Chambre des conseillers, Hakim Benchamach».

«La présidence du conseil va mettre à notre disposition tous les outils de travail, les moyens humains et l’espace nécessaire pour assurer la confidentialité et le bon déroulement du travail de la commission», nous précise la conseillère.

Le dossier de Jerada est «purement syndicaliste»

Contacté par Yabiladi, le membre de la sections de la CDT à Jerada, Abdelilah Laâraj, estime que «la constitution d’une commission d’enquête est une initiative positive». Il nous confie que cette proposition a été «à l’ordre du jour depuis le début de la contestation sociale à Jerada». Pour Houcine Bernat, cadre de l’Union marocaine du travail (UMT) dans la ville, «si une commission d’enquête est constituée, ses membres doivent rencontrer les acteurs de la société civile et coordonner avec les partis politiques dans la région».

Le syndicaliste estime notamment nécessaire de «se mettre avec les jeunes du Hirak, les centrales syndicales locales et les partis politiques dans la ville autour d’une table de dialogue». Il précise enfin que «les problèmes que vit Jerada sont des dossiers que [les syndicats portent] depuis plus de vingt ans, et ils ne peuvent donc être résolus sans l’implication de ces acteurs qui ont été des partenaires sociaux, depuis le temps».

De son côté, Touria Lahrach insiste sur la confidentialité des travaux de la nouvelle commission, conformément au cadre juridique qui la régit. «Ce que je peux dire, c’est que nous allons nous pencher sur la convention sociale et économique qui est un sujet de débat, avec l’objectivité nécessaire, dans une approche de construction où nous allons dialoguer, écouter et dresser des constats constructifs», nous déclare-t-elle.

«Nous ne considérons pas que nous sommes un tribunal qui va juger, mais nous sommes une commissions qui va chercher à identifier les lacunes et les failles conduisant de plus en plus de citoyens à réclamer une application de la convention sociale et économique, qui a accompagné la fermeture des mines. Il s’agit, par ailleurs, de trouver une manière d’assurer un développement de la région.»

Mettre le doigt sur les raisons historiques du blocage

Il y a plus de vingt ans, l’entreprise étatique Charbonnages du Maroc (CdM) a fait appel à l’aide de la Banque mondiale pour un plan de modernisation et d’expansion. Constatant l’échec de CdM à honorer ses engagements dans le cadre de ce projet tracé au milieu des années 1980, la Banque mondiale a cessé d’appuyer une entreprise jugée déficitaire. Par conséquent le redressement judiciaire de CdM a été accéléré, conduisant à sa fermeture.

Parmi les démarches entreprises en préparation de cet arrêt d’activité, «une convention sociale et économique a été conclue entre le ministère de tutelle, l’entreprise et les partenaires sociaux, dont la CDT, l’UMT et l’UGTM», nous rappelle Touria Lahrach. Aujourd’hui, ce sont les failles dudit accord qui sont remises en question.

La vie économique de Jerada étant historiquement construite autour des activités minières, son tissu social s’est confronté à un avenir incertain et les conséquences se ressentent actuellement. De plus, peu d’alternatives économiques ont été proposées aux ouvriers licenciés, laissés devant deux choix : trouver un nouvel emploi dans une ville pauvre en infrastructure industrielle à part celle du charbon, ou refaire sa vie dans une autre région.

Lesdits ouvriers ont touché leurs indemnités de licenciement et ont été remboursés pour les maladies professionnelles liées à leur activité dans le cadre de la convention, mais ces démarches n’ont pas été menées à bien pour assurer à ces travailleurs vie décente, comme nous l’ont précédemment expliqué des familles d’anciens ouvriers à Jerada.

Il y a plusieurs mois et peu après l’accident ayant conduit à la mort de deux frères dans les mines clandestines de Jerada, Mustapha Selouani, cadre syndicaliste à l’UMT dans la ville, affirmait justement à Yabiladi qu’au lendemain la fermeture de CdM, rien ne s’était passé comme prévu.

«Lorsque Charbonnage du Maroc a fermé en 1998 et que les activités minières ont été abandonnées, le gouvernement a promis de soutenir la région et de trouver d’autres moyens de la rendre attractive. Jerada a accueilli des travailleurs venus de tout le Maroc, de Tiznit, de Demnat, du Rif… Le but devait être de les garder dans la région et non pas de les faire partir.»

Ainsi, les familles des ouvriers qui ont résisté à l’exode se battent contre la précarité comme ils le peuvent. Un combat qui illustre toutes les problématiques socioéconomiques actuelles des habitants de la province. Houcine Bernat le rappelle à Yabiladi :

«Avant la fermeture de CdM, les syndicats les plus représentés, dont la CDT et l’UMT, avaient pris part aux négociations. Le volet économique concernait les alternatives possibles pour les habitants qui resteraient à Jerada, puisque toute l’économie reposait sur l’industrie minière, mais vous connaissez la situation actuelle.»

Notre interlocuteur souligne que «le volet social a avancé», mais qu’«il reste encore des dossiers en suspens». Houcine Bernat rappelle que vingt ans après cette fermeture, «le dossier des maladies professionnelles n’a pas encore bénéficié de l’intérêt que les pouvoirs publics doivent lui porter».

«Il faut savoir que l’anthracose, liée au travail dans les mines de charbon, est une maladie qui s’accentue avec le temps. Ceci n’a pas réellement été pris en compte au moment de l’indemnisation des ouvriers. Le délais de prescription est également une question qui s’est posée à nous, puisque certains dossiers sont toujours devant la justice.»

Houcine Bernat (UMT - Jerada)

De son côté, la commission d’enquête devra examiner les différentes failles qui ont miné cette convention, en remontant à plus de vingt ans en arrière pour identifier les véritables raisons de cet échec. Les résultats de ses travaux, ainsi que leurs recommandations, seront certainement le sujet d’un rapport qu’elle devrait déposer à l’issue de ce processus.

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