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Grand Angle

Chronique du Dr Lahna : Des accouchements la peur au ventre

Il faut de l’amour pour faire de la médecine, soulager les maux, absorber le stress des patients et enfin les guérir. Comme il faut de la compétence et des encouragements salariaux, comme la rémunération des gardes d’une part et des sanctions pour fautes ou non-assistance à personne en danger d’autre part, afin de créer un climat de justice aussi bien pour les soignants que pour les soignés.

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Photo d'illustration. / Ph. Yves Rousseau/BSIP/AFP
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«J’allais te faire la césarienne aujourd’hui, mais comme tu es partie vérifier mon diagnostic, tu reviendras quand tu auras des contractions, à tes risques et périls», a crié la gynécologue à une femme enceinte venue consulter à l’hôpital Mohamed V d’El Jadida.

«Mais je suis juste revenue au cabinet du Docteur Lahna pour un contrôle. Les sages-femmes de son équipe ont vu votre traitement et m’ont conseillé de revenir à votre rendez-vous pour programmer un déclenchement de l’accouchement. Eux aussi m’ont dit qu’il restait peu de liquide et que ce n’est pas bien pour mon bébé», a répondu Khadija lorsqu’elle a pu placer quelques mots, me raconte-t-elle. 

«Tais-toi, je te demande de te taire, tu m’as franchement énervée, maintenant tu te débrouilles», lui a répondu la gynécologue.

Khadija, la femme de ménage, a vu sa tension artérielle monter en raison du stress occasionné par le comportement de ce spécimen de gynécologue – spécimen parce que, comme elle, elles sont légion actuellement et se défoulent sur les femmes enceintes, fragilisées par leur état de grossesse et par le manque de moyens. Cette gynécologue n’a pas seulement donné un traitement depuis un mois déjà pour, selon ses dires, augmenter le liquide amniotique (ce qui n’a aucun intérêt) sans réaliser un rythme cardiaque fœtal pour s’enquérir de l’état de santé du fœtus, ni surveillance périodique, mais elle a prescrit à la patiente un médicament antihypertenseur pour diminuer une tension artérielle qu’elle-même a provoqué en la malmenant. S’il s’agissait vraiment de l’hypertension artérielle que peuvent avoir un certain nombre de femmes enceintes, il aurait fallu demander un bilan sanguin et surveiller la dame de près, et non pas la balancer comme ça dans la nature avec une ordonnance et un fœtus en danger. A l’incompétence s’ajoute l’inconscience et un exécrable comportement. On obtient là un cocktail explosif.

La médecine ne s’exerce pas à sa guise et selon son humeur

Explosif, parce que ce comportement, de plus en plus fréquent à cause de l’impunité, peut aboutir à des dégâts très importants pour la santé des fœtus, nouveau-nés et parfois les mamans. Faut-il rappeler à cette gynécologue et à ses semblables qu’on n’exerce pas la médecine à sa guise et selon son humeur car ceci pourrait avoir des conséquences directes sur la santé et sécurité d’autrui, d’autant plus que nous sommes fonctionnaires de l’Etat et par conséquent payés par les citoyens. Mais ceci demande un minimum de culture que possèdent de moins en moins de diplômés dépourvus de savoir et de savoir-être.

Khadija a heureusement gardé le numéro d’une sage-femme de notre équipe Injab. Cette dernière est devenue folle de rage et a contacté une autre gynécologue pour trouver une solution. Dans le pays de la corruption et des passe-droits, les patients qui ne connaissent personne subissent les foudres du système de santé, à commencer par l’agent de sécurité. Ce dernier acteur, devenu le malfrat par excellence de la santé, mérite à lui seul un texte.

Alerté, j’ai pu revoir Khadija le week-end, je lui ai réalisé une autre échographie, ce qui nous a rassurés puisque le fœtus était encore vivant et qu’il restait encore un peu de liquide amniotique (c’est son premier bébé après deux fausses couches). Avant le rendez-vous prévu par l’autre gynécologue du service public, Khadija a commencé le travail dans la nuit et a pu accoucher au petit matin par les voies naturelles. Heureusement d’ailleurs, parce que c’était notre gynécologue qui était de garde et Dieu sait comment elle aurait réagi si jamais Khadija avait eu besoin d’une césarienne en urgence… Certains diront que ce n’est pas possible. Et pourtant, c’est vrai et c’est au quotidien…

Des femmes qui fournissent plus de 80% du renouvellement de la population

J’avoue avec amertume que j’ai complètement perdu confiance dans ce système injuste et dangereux. Mais en même temps, on ne peut pas continuer à trouver des solutions dans le système privé pour parer aux défaillances du public. Que feront toutes les autres Khadija et Fatima qui n’ont pas croisé le chemin d’un bienfaiteur à l’extérieur du système ou d’une consciencieuse à l’intérieur ?

Le système de soins en général et celui de la santé reproductive en particulier est destructeur de la femme et de son nouveau-né, et par conséquent de la société. Ceci n’empêche pas de trouver des personnes de qualité et ce à tous les niveaux et dans toutes les structures. J’en rencontre tous les jours lors de mes formations, que ce soit à la chirurgie ou aux techniques d’obstétrique d’urgence. Mais le système malsain traîne tout le monde vers le bas, ceci n’est pas un scoop ; il suffit de faire un micro-trottoir dans n’importe quelle localité du royaume pour s’en rendre compte.

Comble de la dérision, fin juin, il s’est tenu à Rabat une conférence des experts sur la réduction des décès évitables des femmes enceintes. A quoi peuvent bien servir des réunions d’experts quand certains («certains» pour rester poli) gynécologues et «certaines» sages-femmes participent à l’augmentation des décès des fœtus, des nouveau-nés voire des mamans. Soit par négligence comme c’est le cas dans notre histoire ou par manque de surveillance du rythme cardiaque fœtal pendant le travail, ce qui aboutit à des asphyxies fœtales non diagnostiquées et conduisent par conséquent au décès des nouveau-nés voire provoquent des handicapés à vie. Et parfois on arrive à des décès de femmes enceintes ou lors de leurs accouchements.

Une bonne santé reproductive se fera par la compétence et l’abnégation des femmes et des hommes au service des femmes du peuple, qui accouchent souvent dans des conditions inhumaines pour fournir plus de 80% du renouvellement de la population. Pour cela, on a besoin de bons acteurs de la santé, qui connaissent leurs populations, s’y adaptent et gèrent l’existant avec intelligence et amour.  

Eh oui, il faut de l’amour pour faire de la médecine, soulager les maux, absorber le stress des patients et enfin les guérir. Comme il faut de la compétence et des encouragements salariaux, comme la rémunération des gardes d’une part et des sanctions pour fautes ou non-assistance à personne en danger d’autre part, afin de créer un climat de justice aussi bien pour les soignants que pour les soignés.

Reste une question : voulons-nous vraiment créer ce terrain d’entente et de sécurité ? Malgré mon optimisme, il m’arrive d’en douter.

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