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Grand Angle  

La Corse, un marché illégal aux ouvriers marocains

Dans le sud de l’Europe, l’esclavage moderne est plus répandu qu’il ne semble. Après le Huelva Gate en Espagne, RFI revient sur les conditions de travail d’ouvriers agricoles en Corse, sur la base d’un livre-enquête dont l’auteur a receuilli des témoignages dans l’Île française.

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Récolte de melons dans la plaine orientale en Corse / Ph. Maxppp (Nice Matin)
Temps de lecture: 3'

Un récent article publié sur le site de RFI revient sur la vie inhumaine que mènent beaucoup d’ouvriers agricoles dans la Plaine Orientale, parmi eux des Marocains. Dans cette zone de culture intensive en Corse, de nombreux sans-papiers «travaillent aujourd’hui pour maintenir la compétitivité des exploitations», explique l’article.

«Les mauvais traitements dont ces personnes font l’objet rendent la situation semblable à celle du sud de l’Italie, où certains chercheurs et journalistes n’hésitent pas à parler d’esclavage moderne», ajoute la même source.

Une organisation sociale faite de passeurs

Olivier Favier, auteur dudit article, précise que ce ‘marché’ aux petites mains fonctionne à travers un passeur, en contact avec des agriculteurs.

«Le passeur se rend chez l’agriculteur, qui lui confie plusieurs contrats à durée déterminée. Puis il part au Maroc et, de village en village, il vend chaque contrat pour plusieurs milliers d’euros. Les heureux élus inscrivent leur nom en haut de la feuille puis gagnent la Corse par bateau, en toute légalité. Au retour, le passeur partage les gains avec l’agriculteur qui, parfois, embauche réellement les travailleurs mais refuse, parfois aussi, de les accueillir. S’ils viennent à protester, la réponse du patron est simple : il a dû se passer d’eux, car ils ne se sont pas présentés.»

Selon RFI, la Plaine Orientale est devenue une sorte de mini-Calais, où ce trafic a permis à un passeur, en 2011, d’empocher «980 000 euros en un an». Par ailleurs, l’auteur cite le journaliste et écrivain corse, Antoine Albertini, qui a mené un long travail de terrain avant de traiter cette question pour Corse Matin. Le journaliste en a fait également un ouvrage, Les Invisibles (éd. JC Lattès), sorti en mars dernier.

Au commencement de ce livre justement, Antoine Albertini a mené une enquête pour l’émission Inchiesta en 2009. Au cours du tournage, il a recueilli le témoignage de l’un de ces «invisibles» qui avait peur de «se prendre une balle dans le crâne». Il se confie alors au journaliste de manière anonyme et peu avant la diffusion de l’enquête il est retrouvé mort d’une balle dans la tête.

L'ouvrage Les Invisibles est constitué de nombreux autres témoignages vivants, à travers lesquels des centaines de travailleurs originaires du Maroc, salariés agricoles ou ouvriers du bâtiment se confient. Tous vivent et travaillent souvent dans des conditions tellement dégradantes que leur espérance de vie s’en voit impactée. Un quotidien misérable que dépeint ce livre de manière glaçante.

«A quelques encablures de la route nationale n°198, on ne les perçoit pas mais ils sont là», explique Antoine Albertini qui a visité ces travailleurs sur place, pour découvrir comment ils «dorment entassés dans d’anciennes chambres froides, des lieux loués profitant à toute une filière», qui en tire des gains considérables.

Une tragédie collective

Contacté par Yabiladi, Olivier Favier, le journaliste auteur de l'article de RFI, nous affirme que «ce qui se passe en Corse pour ces ouvriers est tragique». Il nous explique d’ailleurs s’être grandement basé sur le travail de terrain d’Antoine Albertini pour connaître la situation de plus près, «à la suite d’un voyage en Corse» où il a été amené à aborder la question des migrants au cours d’une rencontre.

Pour le journaliste, «les autorités françaises connaissent l’existence» de ces lieux d’hébergement insalubres, mais elles «n’interviennent que sur ordre de la préfecture, à l’heure où il faut atteindre les quotas d’interpellations. Et les premiers visés sont les travailleurs». Olivier Favier nous explique que «beaucoup de Marocains travaillent dans la Plaine Orientale» dans ces conditions, constituant ainsi une sorte d’organisation sociale dont la situation «arrange tout le monde», selon Antoine Albertini.

Quant à notre interlocuteur, il nous fait remarquer que «les arrivées sont de plus en plus importantes, ce qui fait que les gens se retrouvent dans la rue, parce que personne ne les prend en charge». Par ailleurs et pour avoir travaillé de plus près sur la situation des migrants dans le sud de l’Italie, il nous affirme qu’«il y a beaucoup de départs depuis quelques semaines à partir de la Tunisie pour Lampedusa, car la situation se détériore dans le sud du pays».

Olivier Favier alerte également sur la situation des mineurs non accompagnés qui se retrouvent ainsi livrés à eux-mêmes et exposés en premier au trafic. Il nous cite l’exemple de Paris, dans ce sens :

«Beaucoup de jeunes se retrouvent dans une situation où ils sont livrés au trafic humain à la Goutte-d’Or. Ce sont des adolescents marocains et leur histoire est très médiatisée, mais j’ai refusé de traiter ce sujet. C’est lorsque les commerçants ont commencé à se plaindre de ceux qui prennent des drogues que c’est tout de suite devenu intéressant d’en parler. Je comprends que c’est pénible pour les commerces alentours, mais je trouve dommage que cela devienne un sujet médiatisé de la sorte. En d’autres termes, lorsqu’une partie de ces jeunes empêche le monde de tourner, ils sont médiatisés, et lorsqu’ils sont abandonnés et ne font pas de bruit, on ne parle pas d’eux et on les laisse sombrer.»

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