Si les défauts de la Grèce qui sont régulièrement pointés du doigt dans les médias étonnent les Allemands ou les Suédois, voire les Français, au Maroc, ils nous sont un peu familiers. Fraude fiscale endémique, corruption, mauvaise gouvernance, passe-droit pour les plus riches sont des problèmes connus par nos concitoyens. La crise de la dette publique qui frappe la Grèce, sans la bouée européenne, devrait être qualifiée de banqueroute.
Normalement, dans ces moments dangereux pour l’avenir du pays, on attend des hommes politiques un grand esprit d’engagement pour l’Etat, voire des sacrifices. On attend également de l’élite économique et financière une solidarité exemplaire pour remettre la nation sur les bons rails. Malheureusement pour le peuple grec, la situation ne se redresse pas et les élites du pays n’ont pas vraiment fait preuve d’abnégation pour l’Etat. Les maux d’avant la crise continuent de ronger les finances grecques. Résultat : les classes moyennes et les populations paient les pots cassés avec le chômage, la précarité voire un basculement dans la pauvreté.
Warren Buffet invente le zèle fiscal
Aux Etats-Unis, la situation est également problématique. La récente polémique entre Démocrates et Républicains sur le relèvement du plafond de la dette américaine a plongé le pays dans la même spirale que l’Europe. L’agence de notation Standard & Poor’s a porté le coup de grâce avec la dégradation de la note de la dette publique de la première économie au monde passant de l’enviable AAA à celle, moins positive malgré le + : AA+.
La situation aurait pu être tout autre si le président Barack Obama avait réussi à faire voter une augmentation du niveau d'imposition des plus riches qui a considérablement fondu sous l'administration Bush. Les riches Républicains, et notamment les plus radicaux (Tea party), ne veulent pas entendre parler d’effort fiscal pour les plus nantis.
Pourtant certains milliardaires comme Warren Buffet font entendre une voix qui pourrait surprendre. Warren Buffet demande tout simplement au gouvernement d’augmenter l’imposition des plus riches qui ont été un peu trop «dorlotés par le Congrès» ces dernières années. Il donne pour preuve son taux d’imposition (17,4%) beaucoup plus faible grâce aux niches fiscales dont il bénéficie que celui de la majorité de ses collaborateurs chez Berkshire Hathaway imposés entre 33 et 41% de leurs revenus.
En France, pays où la philanthropie des milliardaires n’est pas très courante, des appels sont timidement émis pour une fiscalité plus juste ou, au moins, une solidarité fiscale plus marquée en période de crise. Ainsi, Pierre Bergé s’est déclaré favorable à la proposition de Warren Buffet pour un niveau d'imposition plus fort pour les personnes touchant plus de 1 million de dollars (7,9 millions de DH) et encore plus élevé pour ceux touchant plus de 10 millions de dollars annuels. Maurice Levy, président du directoire de Publicis Groupe, abonde dans ce sens et plaide pour «une contribution exceptionnelle des plus riches, des plus favorisés, des nantis» en période de crise.
Où est notre Warren Buffet marocain ?
Qu'en est-il du Maroc ? Même si la situation n’est pas la même, le royaume souffre des mêmes péchés originels que la Grèce. Une grande partie de notre économie se complaît dans l’informel; des richesses se réunissent en très peu de temps et s’affichent avec ostentation sans que cela fasse l’objet d’un contrôle systématique du fisc; la corruption alimente la mal gouvernance…
Les comptes publics ne sont pas dans une situation confortable. Comme nous l’avons annoncé la semaine dernière, le déficit du pays, en 2011, devrait atteindre 5,7% selon le FMI, au lieu de 4,5% prévu par le gouvernement. Ni nos millionnaires, ni nos milliardaires n’auraient l’idée de lancer un appel comme celui de Warren Buffet. Les mauvaises langues diront : «qu’ils s’acquittent déjà de ce qu’ils doivent au fisc, qu’ils déclarent tous leurs salariés, qu’ils déclarent l’intégralité de leur patrimoine au Maroc et à l’étranger» avant de faire du zèle fiscal.
Cher TGV, es-tu ma priorité ?
Mais les riches ne doivent pas être les seuls à être pointés du doigt. La réforme fiscale et le recouvrement des impôts est d’abord la responsabilité de l’Etat et donc des hommes politiques en charge de gérer les affaires du pays. A la veille des élections législatives, fixées au 25 novembre, le peuple marocain attend d’eux des décisions courageuses, de la dignité, de la bonne gestion et de la clairvoyance dans la définition des priorités.
A l’heure de tensions importantes au niveau socio-économique et de périls pour les finances publics, il serait opportun, par exemple, de lancer un large débat national sur la pertinence du projet de TGV pour le royaume. Parce que faire le choix du TGV alors qu’on a un déficit qui se creuse dangereusement, ça rappelle la Grèce qui confirmait vouloir honorer ses contrats d’armement avec l’Allemagne et la France tout en leur demandant de l’aide pour respecter ses échéances auprès de ses créanciers. Vous vous imaginez aller voir votre banquier pour vous autoriser un découvert parce que vous n’arrivez plus à payer le loyer et, en même temps, accepter d’acheter des SICAV et des actions en bourse ?
Comme la Grèce ou les Etats-Unis, le Maroc a besoin d’un sursaut citoyen, d’une mobilisation de nos dirigeants mais aussi de civisme fiscal de la part des plus riches. Il ne faut pas penser que la crise ça n'arrive qu'aux autres et remettre à plus tard les réformes nécessaires pour ne pas voir notre économie stagner, nos comptes publics sombrer et les tensions sociales éclater.
J’affirmais que le Maroc, malgré de nombreux points communs, n’est pas dans la même situation que la Grèce. En effet, cependant, si dans quelques années, par malheur, le royaume ne peut plus faire face à ses engagements, il n’y aura pas d’Union Européenne pour prendre le relais. La conséquence, nous la connaissons : plan d’ajustement structurel imposé par le FMI. Une situation que nous avions connue en 1982 et qui avait laissé des cicatrices profondes au sein du tissu social marocain.