Menu

Grand Angle

Complément d’enquête suit le quotidien des mineurs marocains en France

Diffusée jeudi soir sur France 2, l’émission d’investigation Complément d’enquête a consacré un reportage aux mineurs marocains non accompagnés vivant dans les rues de Paris. Le documentaire soulève l’échec des institutions à redonner à ces jeunes la possibilité de changer en mieux.

Publié
Capture d'écran
Temps de lecture: 4'

Au parc de Montmartre à Paris, deux mondes se côtoient. Celui des enfants qui jouent, accompagnés de leurs parents, et l’autre, à quelques mètres, où des enfants de 10 ans roulent et fument des joints. Ils sont surnommés «les enfants perdus de la Goutte-d’Or». Un documentaire de l’émission Complément d’enquête les a suivis dans ce parc.

Le reportage montre comment ces jeunes livrés à eux-mêmes gagnent leur vie à travers le vol à l’arrachée. Ils sont entre 60 et 80 à dormir dehors, dans des squats et se montrent méfiants, voire agressifs envers les adultes. Ils errent des journées entières dans les rues, lorsqu’ils ne sont pas sous l’emprise de sédatifs ou de drogues dures. Anis et Riad, venus de Fès, font partie de ces mineurs à l’avenir incertain.

La vie de la rue tue avec violence

Les deux adolescents ont confié leur histoire aux journalistes de France 2. Anis a 16 ans. Il a quitté le Maroc il y a quatre ans, pour se retrouver dans un centre d’hébergement en Espagne. Faute de papiers que les autorités ibériques ne lui ont pas accordés, il est venu en France, vivant d’abord dans les rues de Marseille puis de Paris.

Pour tenir, Anis a pris l’habitude de consommer des drogues dures et des sédatifs puissants. A visage couvert, il raconte que cette vie ne lui ressemble en rien :

«Quand on le fait, on ne le fait pas par plaisir. On n’est pas des junkies. On prend du Rivotril pour dormir, mais aussi de l’ecstasy et des anxiolytiques, pour que la journée passe, car tous les jours se ressemblent. Des jeunes de 11, 12 et 13 ans en consomment aussi.»

Oublier, c’est ce qu’essaye de faire tant bien que mal Riad, de son côté. Pour lui comme pour beaucoup de ses amis, «la vie dans la rue tue la personne qui est en vous. Elle vous ronge au fur et à mesure».

Les soirs, Anis et ses amis se retrouvent sur les berges du canal Saint-Martin, dans un camp de migrants, aux côtés de réfugiés. Ils s’abritent sous des tentes, sur des matelas et autour d’un réchaud. Dans ces lieux insalubres et infestés de rats, ils essayent de garder un minimum d’hygiène, mais ils disent être rongés par la gale. En fin de journée, ils font par ailleurs le bilan de ce qui a été volé dans la journée, 50 ou 100 euros chacun selon les jours. Un petit pécule qui leur sert à «acheter des vêtements, prendre une douche, ou envoyer de l’argent aux parents».

Sans papiers et pas encore en âge de travailler, le vol est pour ces enfants une solution ultime de survie, n’ayant pas le choix de faire autrement, en l’absence d’infrastructures d’accueil mais surtout d’une oreille attentive à leur mal-être latent. L’un des enfants le confie aux journalistes :

«Le matin, tu sors avec le ventre vide. Si tu ne voles pas, tu ne manges pas, tu ne t’habilles pas. Qu’est-ce que tu veux faire pour vivre dans ce monde? Tu crois que quelqu’un va venir te voir et de donner de l’argent en te disant d’aller acheter des vêtements? Ça n’existe pas!»

Victimes de la rue et récidivistes à la fois

Ce reportage rappelle que l’Etat français a sa responsabilité dans la prise en charge de ces mineurs non accompagnés, ce qui lui donne une grande part de responsabilité dans ce qui advient d’eux, notamment lorsque la rue les transforme systématiquement en adultes précoces et violents qu’ils n’ont pas été. Driss El Kerchi fait partie de ces bénévoles qui veulent croire en la capacité de changement positif dont ces enfants peuvent faire preuve, pour peu qu’ils se sentent compris et écoutés.

Enseignant franco-marocain en économie, Driss dirige une association de travailleurs migrants. Son temps libre est consacré à ces jeunes-là, à qui il ouvre ses locaux. Pour les avoir côtoyés de si près, il décrit «des gens livrés à eux-mêmes», en l’absence «de services sociaux outillés pour faire un travail qui peut donner des résultats satisfaisants».

«Quand je les croise, que je m’assois avec eux et que je discute avec eux, il y a de l’écoute, de la compréhension, de la compassion. On les accueille parce que nous avons l’espoir que ce ne sont pas des monstres, que ce sont des jeunes qui comprennent quand on leur parle et qui peuvent évoluer, changer de comportement.»

Driss El Kerchi

Driss recueille également de jeunes récidivistes comme Anis. Ce dernier a comparu devant un juge pour enfants, après avoir arraché un collier à une femme. Son avocat, Bernard Shmid, plaide pour une injonction de soin et un apprentissage du français, «ce qui va aider Anis plutôt que de l’enfoncer», estime-t-il.

Anis sera pourtant condamné à cinq mois de prison ferme et à 4 200 euros, tout en ayant la possibilité de ne pas purger sa peine, s’il trouve avec l’aide de son avocat un projet ou une formation à suite. Mais pour un sans-abris mineur et non accompagné, la mission est quasiment impossible. Un véritable cercle vicieux qui le pousserait vers une délinquance plus poussée, au lieu de le sortir de sa situation.

Laëtitia Dhervilly, vice-procureure et cheffe de la section des mineurs à Paris, exprime toute la détresse institutionnelle où les acteurs capables de sortir Anis du gouffre se disent débordés :

«On leur ouvre les foyers, mais lorsqu’ils en ressortent, il commettent des violences. Ils ont mis en danger les structures dans lesquelles nous plaçons les autres mineurs en dangers, domiciliés à Paris et protégés de leurs familles car victimes de violences. Ces mineurs marocains se sont retournés contre les institutions. La première démarche dans l’éducatif, comme dans le soin, pour n’importe quel mineur, comme pour le majeur, c’est l’adhésion. Ça ne marche que s’il y a une démarche volontaire de la part du concerné, qui est en danger.»

La rue ne doit plus rester une fatalité

Dans un autre registre, les journalistes de l’émission ont suivi Salim, 17 ans. Après six mois à l’hôpital à cause d’un accident et une jambe amputée, il est déterminé à se reconstruire, avec l’aide de Driss El Kerchi. Il apprend le français et espère pouvoir porter une prothèse bientôt, pour tirer un trait définitivement sur sa vie passée.

«J’ai fait trop de choses qui ne m’ont pas plu (…) Cette voie n’est pas la bonne, nous avons perdu notre jeunesse.»

Après un éloignement familial qui a duré trois ans, Salim souhaite ardemment revoir ses parents qui vivent à Tanger, mais il ne veut plus se réinstalle au Maroc. Il insiste sur la priorité à continuer ses études en France, à faire une formation, à travailler et aider ainsi ses parents.

L’équipe de l’émission s’est rendue dans la ville du détroit à la rencontre de sa famille, qui vit dans un modeste appartement avec ses quatre sœurs et un père couturier, payé à la tâche. Aujourd’hui, après ce parcours trop rude pour un mineur et grâce à sa volonté de vouloir s’en sortir, il est la fierté de sa famille qui croit en lui, en espérant qu’il pourra avoir un avenir meilleur.

Soyez le premier à donner votre avis...
Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com