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Grand Angle

Maroc : Ces «gamins» devenus de faux guides touristiques

Apparus dans les années 1960-1970, les faux guides touristiques étaient initialement des enfants qui aidaient les touristes perdus à retrouver leur chemin, surtout celui menant aux souks. De véritables petits rabatteurs devenus grands.

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Il a fallu attendre 1997 pour que le secteur des guides touristiques commence à être réglementé. DR
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Coup de filet dans le milieu des faux guides touristiques. La semaine dernière à Marrakech, la police en a arrêté une trentaine dans le cadre d’une campagne lancée par les autorités marocaines contre la propagation de ce phénomène, particulièrement actif dans les villes impériales et touristiques, notamment Fès et Marrakech, rapporte l’agence Efe, qui cite le quotidien arabophobe Al Ahdat Al Magribiya.

Les faux guides, ce sont ces locaux qui promettent aux visiteurs étrangers de leur faire découvrir les merveilles cachées des cités impériales, mais qui en réalité les dirigent discrètement vers les souks et les bazars pour leur faire acheter des produits artisanaux, sur lesquels ils perçoivent de généreuses commissions. «Ils usurpent une profession qui est pourtant réglementée. Pour être guide, il faut être agrémenté par le ministère du Tourisme et diplômé de l’Institut supérieur international de tourisme de Tanger. Malheureusement, ce phénomène a pris une ampleur qui a complètement défiguré cette profession», déplore Jamal Saadi, ex-président de la Fédération nationale des guides touristiques, contacté par Yabiladi.

L’article 14 de la loi 05-12 relative à la profession de guide de tourisme énonce en effet que «l’exercice de l’activité de guide de tourisme par les sociétés est subordonné à l’obtention d’un agrément délivré par l’administration compétente sur la base d’un cahier des charges» définissant plusieurs éléments.

Des «gamins»

Ce sont pourtant les touristes eux-mêmes qui sont malgré eux à l’origine de l’apparition de ces faux guides dans les années 1960-1970, explique Jamal Saadi : «A l’époque, les touristes qui se perdaient dans les villes cherchaient des locaux pour les orienter. Ils s’adressaient souvent aux enfants, à qui ils donnaient toute sorte de petites récompenses venues d’Europe, et les gamins étaient ravis ! Après l’école, ils prenaient l’habitude de revenir aux mêmes endroits pour réclamer les bonbons, les stylos… Et les touristes, au lieu de donner le bonbon, ont commencé à donner de l’argent. Vous pensez bien que ces gamins, souvent issus de milieux défavorisés, étaient éblouis ! Ils indiquaient donc aux touristes comment rentrer dans le souk et, lorsqu’ils s’arrêtaient acheter des souvenirs, les vendeurs sentaient le bon filon. Ils ont compris qu’il fallait encourager ces enfants à leur ramener des clients en leur permettant de percevoir des commissions sur les achats des touristes. Les sommes pouvaient atteindre 200, 300, 400, 500 dirhams par jour ! Ces enfants ont alors quitté l’école, et c’est ainsi que sont nés les faux guides.»

Plus surprenant encore, ce phénomène a été encouragé par les collections de guides touristiques comme Le Guide du Routard, les Guides Bleus ou le Guide Michelin. «Ils conseillaient aux touristes de se balader dans les souks avec des gamins. J’emploie ce terme-là parce que c’est comme ça qu’on a appelé les faux guides au début : des gamins», précise Jamal Saadi.

Bagues en or aux doigts

Pendant longtemps, l’informalité a régné dans ce milieu. Il a fallu attendre 1997 pour que le secteur commence à être réglementé, en l’occurrence avec la loi 30-96 portant statut des accompagnateurs de tourisme, des guides de tourisme et des guides de montagne, puis 2015, avec la loi 05-12.

Auparavant, ces faux guides étaient simplement arrêtés pour mendicité, «mais vous pensez bien que lorsqu’ils se présentaient devant le juge, tout bien habillés, avec des bagues en or aux doigts, ils n’avaient pas l’air de mendiants !», s’agace Jamal Saadi. L’usurpation du titre de guide de tourisme a donc été insérée dans l’arsenal législatif à travers l’article 21 de la loi 05-12, qui renvoie à l’article 381 du code pénal. Ce dernier prévoit une peine d’emprisonnement de trois mois à deux ans et une amende de 200 à 5 000 dirhams, ou l’une de ces deux peines seulement.

Reste désormais l’application de la loi – une autre paire de manches. «Lorsque ces faux guides sont présentés devant le procureur, ils sont immédiatement relâchés. Ils ne sont pas poursuivis. C’est ça le véritable problème. Pourquoi ? Je n’en sais rien. C’est au procureur qu’il faut poser cette question, déplore Jamal Saadi. Et au mieux, même s’ils écopent d’une amende de quelques centaines de dirhams, qu’est-ce que cela représente pour eux ? Rien.»

Compétences acquises sur le terrain

Signe que l’arsenal législatif ne suffit pas, ce phénomène s’étalerait désormais aux chauffeurs de taxi, aux cochers de Marrakech ou encore aux vendeurs de jus d’orange de la place Jemaa el-Fna, dont certains jouent les rabatteurs. «Dès lors, comment enrayer ce fléau ?», s’interroge le responsable.

Si les portes de l’Institut supérieur international de tourisme de Tanger s’ouvrent difficilement aux faux guides, reste que les compétences acquises sur le terrain peuvent leur être favorables. L’article 31 de la loi 05-12 stipule en effet qu’«à titre transitoire et pendant une durée maximum de deux ans (…), il pourrait être procédé (…) à la délivrance d’agréments à des personnes ne remplissant pas les conditions de formation et de compétences professionnelles (…), mais disposant de compétences acquises sur le terrain». Voici peut-être là l’ébauche d’une solution.

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