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Grand Angle

Les basses œuvres de Serge Dassault pour fliquer ses maîtres-chanteurs au Maroc

En 2014, Le Monde publiait un article sur les manigances opérées par l’industriel, décédé hier, pour faire taire un habitant de Corbeil-Essonnes qui voulait dénoncer des pratiques présumées d’achats de votes.

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L'industriel français Serge Dassault est décédé hier à l’âge de 93 ans. Ici, lors de la parade du 14 juillet à Paris, en 2013. / Ph. Martin Bureau – AFP
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L’industriel Serge Dassault est décédé hier à l’âge de 93 ans, et avec lui s’en vont son lot de casseroles et certainement quelques secrets bien gardés. Dans un article intitulé «Quand Serge Dassault surveillait ses ‘loustics’ au Maroc», Le Monde revenait en 2014 sur les manigances de l’ex-sénateur (UMP, à l’époque) pour réduire au silence d’encombrants maîtres-chanteurs.

Le 14 février 2013, il est question d’un dîner au Rond-point, le siège du groupe Dassault. Autour de la table, Serge Dassault, Jean-Pierre Bechter, son successeur à la mairie de Corbeil-Essonnes (Essonne) et, à leurs côtés, Riad Ramzi, le numéro 2 de l’ambassade du Maroc à Paris. «Officiellement, il est question de la vente d’avions F16 et du Rafale», écrit le journal.

En réalité, l’un des «loustics» dont il est officieusement question, Fatah Hou, 39 ans aujourd’hui, a déposé plainte quelques mois plus tôt, le 3 janvier, pour «association de malfaiteurs» et «collecte de données à caractère personnel». Son avocate, Marie Dosé a dénoncé le projet qui visait à «faire interpeller [son client] par la police marocaine (…) et le faire incarcérer arbitrairement au Maroc» lors de l’un de ses nombreux voyages sur place. A l’origine de cette découverte, les écoutes téléphoniques entre les mains des juges qui enquêtent sur le système Dassault.

«J’ai ri, c’est comme cela»

C’est que Fatah Hou s’est heurté à beaucoup plus puissant que lui. Il a voulu dénoncer les pratiques présumées d’achats de votes à Corbeil, et en a payé le prix fort : cinq jours après ce déjeuner au Rond-point, il se faisait tirer dessus par Younes Bounouara, 41 ans à l’époque, l’un des proches de l’avionneur, en plein centre-ville de Corbeil. Dans sa plainte, l’avocate Marie Dosé relève que cette nouvelle a arraché à Serge Dassault un éclat de rire : «Il fit mine d’avoir envie d’envoyer des fleurs à la victime avant d’éclater de rire.» «J’ai ri, c’est comme cela», a confirmé le vieillard devant les policiers. Mais «à l’heure d’aujourd’hui, il ne nous fait plus chier», a-t-il ajouté.

Lors de ce dîner, Riad Ramzi, chargé d’affaires de l’ambassade, se serait montré très compréhensif, d’après Jean-Pierre Bechter. «Le mec, il se pourléchait les babines (…) : ‘Oui, oui, oui, on va s’en occuper, Monsieur Dassault, ne vous inquiétez pas, (…) ces gens-là vous font chanter.’ Le nouvel ambassadeur, vous serez content de l’entendre, c’est l’ancien ministre de l’Intérieur», poursuit M. Bechter dans un rire. «Je sens que quand ils vont arriver au Maroc, ils vont être surpris de l’accueil à la descente de l’avion.»

Une liste d’«emmerdeurs»

Les explications du directeur de la Jeunesse et des sports de Corbeil, Machiré Gassama, laissent les enquêteurs perplexes. C’était une tentative de «médiation» avec les parents des «loustics» parce que «les enfants déconnaient», rien d’autre, assure-t-il. Quant à leurs noms, adresses et numéros de téléphones réclamés à Machiré Gassama par Jean-Pierre Bechter, ce dernier invoque «une histoire de visa». Il confirme tout de même que «l’organigramme des réseaux de nuisance sur Corbeil» retrouvé dans son bureau, et sur lequel figure le nom de Fatah Hou, était la liste des «emmerdeurs qui nuisaient à Serge Dassault et à moi-même dans le cadre de nos activités à Corbeil-Essonnes», précise Le Monde.

Younes Bounouara, l’homme qui a tiré sur Fatah Hou le 19 février 2013, n’était pas convié au tour de table du Rond-point, mais Machiré Gassama l’avait prévenu que «Fatah [aurait] des problèmes avec la police marocaine», dit-il. «J’ai l’impression qu’ils allaient les faire arrêter pour racket au Maroc (…), [parce que] la police française ne faisait rien. (…) Si les gens rackettent des amis du roi du Maroc, ça paraît évident que si c’est des Marocains, il va les remettre à leur place.»

Le camp Dassault avait vivement réagi à ces accusations. Les avocats de l’industriel, Mes Pierre Haïk et Jean Veil, dénonçaient une «instrumentalisation judiciaire» et avaient actualisé la plainte déposée début novembre 2013 pour «chantage, menace» et «tentative d’extorsion de fonds». «C’est toujours la même histoire. A chaque fois que M. Dassault est gêné judiciairement, il dépose plainte pour menaces», ironisait Marie Dosé.

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