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Grand Angle

Chronique du Dr Lahna : Les larmes de Saâdia

Beaucoup de personnes décrient les services rendus dans le secteur public marocain. Si on commençait à détecter les principales causes pour les traiter, la paix sociale s’en trouverait assurée, croyez-en mon expérience…

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Photo d'illustration. DR
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Quand j’ai été invité par quelques gynécologues pour réaliser des interventions et un enseignement de chirurgie pelvienne par les voies naturelles, je ne savais pas que j’allais être bloqué dans mon élan et être obligé d’effectuer le service minimum, comme tout le monde me dira-t-on, pour calmer ma colère.

Je connais le pouvoir de nuisance d’un certain nombre de soignants, médecins ou paramédicaux, mais je ne pouvais imaginer que l’indécence pouvait atteindre un bas niveau et gâcher la formation d’un certain nombre de personnes désireuses d’apprendre. Et surtout provoquer sans sourciller les larmes de femmes venues pour se faire opérer mais éconduites à cause d’un dysfonctionnement du système.

C’est que pour pouvoir opérer, il y a un tout qui doit fonctionner : un bloc opératoire, des instruments, des fils et des médicaments, des anesthésistes, des médecins et des infirmiers, des infirmiers du bloc et enfin les chirurgiens. Sans parler de l’administratif et les agents d’entretien. Une seule chose coince et la machine s’arrête de fonctionner.

Passe-passe indécent

Pour organiser le workshop de chirurgie pelvienne, il a fallu avoir les autorisations, donner des rendez-vous à des patientes, trouver des moyens financiers, inviter des jeunes gynécologues, en parler à tous les intervenants, avoir leur adhésion, etc.

Dès le premier jour, je me suis retrouvé avec les chirurgiens dès 8h30, l’organisatrice y était avant 8 heures, mais on n’a pas pu démarrer avant 9h45 à cause du retard d’un membre du personnel infirmier. A ce rythme et vu la longueur et la complexité des interventions, on n’a pu en réaliser que deux. A 15 heures, on nous fait comprendre qu’on ne pouvait pas commencer une nouvelle opération car l’équipe devait partir à 16 heures. J’ai accepté, bien que cela m’a paru abusif.

Le lendemain, j’ai pensé qu’on arriverait à réaliser les trois interventions voire même quatre si possible, et on a fait en sorte qu’à 13 heures deux interventions aient déjà pu être réalisées. C’était sans compter la roublardise de quelques-uns qui ont réussi à faire annuler le reste du programme.

Ce passe-passe indécent a fini par me faire sortir de ma réserve d’invité et d’enseignant. J’ai assisté avec désarroi à l’inefficacité du système de soins occasionné par un seul élément qui refuse de faire son travail. Cœur de pierre et déontologie au placard, on fait de moins en moins attention à nos semblables. Je me suis mis dans une colère saine, rappelant à tous la nécessité de penser à nos pauvres. Qui d’entre nous souhaiterait que Saâdia, qui attend depuis plusieurs jours son intervention et à jeun depuis le matin, s’entende dire qu’il n’est pas possible de l’opérer et qu’elle doit faire avec ses douleurs jusqu’à une date ultérieure, peut-être après le Ramadan voire les grandes vacances ? Ou expliquer à Fatima, qui a besoin d’une transfusion avant son opération, qu’on attend toujours le sang qui n’arrive pas à cause de la nonchalance ambiante, qu’il ne sera pas non plus possible de l’opérer et qu’elle doit saigner et attendre quelques jours encore en invoquant Dieu.

Que peuvent bien faire les murs et les instruments sans personnel consciencieux et efficace ? 

Justement, Dieu, que les musulmans dont j’ai été entouré vont se précipiter à prier les nuits et jeûner le jour comme Il leur demande, ne savent-ils pas qu’on ne peut adorer Dieu qu’en faisant convenablement son travail ? En consacrant la place qui leur a été octroyée pour aider leurs semblables et apporter du baume aux cœurs en souffrance. Il me semble qu’il faudrait une autre façon d’enseigner la foi et la spiritualité, parce que celles que je vois et je palpe me sont absolument étrangères.

En partant de l’hôpital, tout en refusant de rester déjeuner, je revois Saâdia que j’ai examinée le matin et qu’on n’a pas pu opérer, en train de quitter elle aussi cette structure publique, les larmes aux yeux. Je l’ai appelé pour lui expliquer que le report était en dehors de nos capacités et je lui ai promis de trouver les moyens et de revenir pour lui faire son intervention dans une clinique privée et ce dans les plus brefs délais.

Les personnes maléfiques qui sévissent dans cet hôpital auraient pu faire un effort pendant les deux jours de formation et je n’aurais certainement rien su, mais elles sont tellement habituées à faire un travail minimal sans être inquiétées, si sûres de leur impunité, qu’elles avancent vers la bêtise et je l’espère le questionnement et la tourmente.

Le lendemain de mon départ, on a inauguré un hôpital flambant neuf pour les habitants de Salé, mais que peuvent bien faire les murs et les instruments sans personnel consciencieux et efficace ? 

Beaucoup de personnes décrient les services rendus dans le secteur public marocain. Si on commençait à détecter les principales causes pour les traiter, la paix sociale s’en trouverait assurée, croyez-en mon expérience…

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