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«Au Maroc», un livre de Wharton qui tresse des lauriers à Lyautey et au colonialisme français

Pendant son séjour au Maroc, la romancière américaine Edith Wharton a été accueillie par le Résident général de la France coloniale, Hubert Lyautey. Un homme qui l’inspire pour son récit «Au Maroc». Dans ce livre, Edith Wharton couvre de louanges le gouvernement français, tout en glorifiant l’impérialisme.

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Edith Wharton, romancière, poète et designer américaine avait visité le Maroc en 1917. / Ph. DR
Temps de lecture: 4'

Qui a dit que la culture des guides pour visiter un pays date seulement d’aujourd’hui ? En 1917, la romancière, poète et designer américaine Edith Wharton est arrivée au Maroc, fraîchement sous Protectorat français. A son retour aux Etats-Unis, elle écrit «Au Maroc» (Editions New York Scribner, 1920), considéré comme le premier guide touristique du royaume. Invitée par le Résident général Hubert Lyautey, l’aristocrate rendra un compte détaillé de son voyage en Afrique du Nord, livrant un récit qui favorise la colonisation française.

Connue à New York comme une femme distinguée, liée à des personnages célèbres de son époque, Edith Wharton était membre d’une famille bien placée ayant beaucoup voyagé en Europe. En 1917 et comme Edith Wharton s’est déjà fait un nom en tant qu’écrivaine et poète, elle visite le Maroc à l’invitation de son Résident général de l’époque, le maréchal Louis Hubert Lyautey.

Son voyage a été plus tard converti en un livre qu’elle a intitulé «Au Maroc» (In Morocco) et à travers lequel elle a décrit ce qu’elle a vu dans le Maroc français. Cependant, le récit d’Edith Wharton sur sa visite au royaume était une occasion exclusive pour elle de faire l’éloge de son hôte, l’administration française et le colonialisme en Afrique.

Faire des louages au gouvernement français

Les critiques littéraires suggèrent que «Au Maroc» d’Edith Wharton est plein d’éloges pour l’impérialisme et le Résident général Lyautey. Selon Neglected Books (livres négligés), une plate-forme qui passe en revue des livres censés être négligés, Lyautey a offert à l’écrivaine américaine «beaucoup de privilèges VIP, y compris sa propre voiture avec son propre chauffeur et un accès libre aux bâtiments militaires quand elle en avait besoin».

"In Morocco", le livre d'Edith Wharton. / Ph. DR"In Morocco", le livre d'Edith Wharton. / Ph. DR

Edith, d’un autre côté, mettait l’accent sur les tactiques et les politiques de celui à qui les Marocains doivent le transfert de la capitale de Fès à Rabat. «La perte du Maroc aurait inévitablement été suivie par celle de l’ensemble de l’Afrique du Nord française au profit de l’Allemagne, à un moment où ce qu’ils (ces pays de l’Afrique du Nord) pouvaient fournir - viande et blé - était exactement ce dont l’ennemi avait le plus besoin», écrit Edith Wharton défendant le choix de Lyautey de se maintenir au Maroc après la Première Guerre mondiale.

Pendant son séjour au Maroc, l’écrivaine américaine assistera à une série d’événements prestigieux et aura même l’occasion d’assister aux célébrations présidées par le sultan alaouite Moulay Youssef Ben Hassan, père de feu Mohammed V.

«Le sultan, s’arrêtant sous son dôme de velours, attendait de recevoir les hommages des tribus assemblées. Un officiel, en avant, a attiré la bride et a appelé un nom. Aussitôt la tempête fit irruption dans la plaine, une cavalcade sauvage de tribus, avec des fusils en bandoulière, des pistolets et des coutelas à la ceinture, et des torsades de poils de chameau liées à leurs turbans», écrit Edith Wharton pour décrire une cérémonie de l’allégeance au sultan alaouite.

Bien que son récit contenait des passages décrivant la vie au Maroc à cette époque, les villes, les souks et la façon dont les gens s’habillaient et se comportaient, «Au Maroc» était aussi l’occasion pour braquer les projecteurs sur Lyautey et souligner combien le royaume chérifien avait besoin d’être gouverné par une administration française.

«Dans chaque ville qu’elle visite, elle note les nombreux signes de négligence et de décadence d’une grande partie du patrimoine culturel marocain, malgré les tentatives de restauration par le gouvernement français», écrit Neglected Book, insistant sur le fait que selon l’Américaine, «le Maroc en 1919 était une civilisation en déclin depuis des siècles et seule l’intercession de la France pouvait empêcher ce déclin de devenir irréversible».

L’avocate de l'impérialisme

La même version a été partagée par la romancière et essayiste maroco-américaine Laila Lalami, qui a écrit un article sur son blog en référence à «In Morocco». «Elle ne tarit pas d’éloges sur son hôte, le Résident général Lyautey et son gouvernement», commente-t-elle.

«‘Les Français s’efforcent de garder les rails propres pour la circulation sur des véhicules, ils sont invités à intervenir pour sauver les antiquités, tout en montrant, en même temps, le respect des habitudes et des croyances indigènes’. Je lis cet ouvrage et c’est un exemple étonnant de ce qu’on appellera plus tard l’orientalisme - avec des pensées sur la ‘paresse orientale’, le ‘fatalisme’ des gens, les ‘vêtements de funérailles’ (...) ‘l’âme tortueuse’ de la terre, et ainsi de suite.»

Laila lalami.

La romancière marocaine va même plus loin, en affirmant que la manière de Wharton de défendre la colonisation française est encore visible aujourd’hui. «Ce qui me frappe dans ces contrastes, ce n’est pas qu’ils sont démodés, mais plutôt le contraire : les mêmes images, les mêmes récits peuvent être trouvés dans les écritures de voyage sur le Maroc aujourd’hui», lance-t-elle.

La romancière américaine Edith Wharton. / Ph. DRLa romancière américaine Edith Wharton. / Ph. DR

Dans une tentative plus évidente de défendre les Français, Edith Wharton rapportait : «Il y a trois ans, des chrétiens avaient été massacrés dans les rues de Salé (...) Maintenant, grâce à l’énergie et à l’imagination d’un des plus grands administrateurs coloniaux, le pays, au moins dans la zone française, est aussi sûr et ouvert que la rive opposée de l’Espagne.»

Dans une étude intitulée «Les fictions de l’anxiété coloniale : La semence de la foi et la bouteille de Perrier d’Edith Wharton» («Fictions of Colonial Anxiety: Edith Wharton’s ‘The Seed of the Faith’ and ‘A Bottle of Perrier’»), menée par Charlotte Rich, celle-ci accuse sa compatriote d’adopter un «discours colonial au niveau de la narration». Pour Rich, la romancière est tombée dans les généralisations sur les Arabes d’Afrique du Nord, prenant partie pour promouvoir l’impérialisme français.

Le voyage d’Edith Wharton au Maroc a inspiré l’une de ses nouvelles, intitulée «La graine de la foi». L’histoire parle d’un missionnaire baptiste américain, surnommé Willard Bent et qui, avec son mentor, a vécu au Maroc pendant de nombreuses années.

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