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Interview

«La pérennité des résultats du Plan Maroc Vert est menacée» [Interview]

Le SIAM se tient du 24 au 29 avril à Meknès. L’occasion pour le ministère de tutelle de se féliciter des résultats du Plan Maroc Vert. Pour Mostafa Errahj, enseignant-chercheur à l’Ecola nationale de l’agriculture, l’Etat doit soumettre sa politique agricole à des contraintes de durabilité.

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Mostafa Errahj, enseignant chercheur à l’ENA de Meknès / Ph. DR.
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Dix ans après son lancement, diriez-vous que le Plan Maroc Vert est un succès et qu’il a atteint les objectifs escomptés ?

Globalement, le Plan Maroc Vert est une bonne chose. Pendant une vingtaine d’années, le Maroc naviguait à vue. L’administration réglait seulement les affaires courantes. Quant à savoir s’il a rempli ses objectifs, il est difficile de le déterminer sans avoir de chiffres précis, détaillés, régionalisés. Les chiffres globaux que donne le ministère de l’Agriculture ne sont pas vraiment révélateurs. Si quelques grandes fermes voient leur production augmenter, elles peuvent modifier le total national sans qu’un véritable changement ne se soit opéré dans l’ensemble des exploitations, par exemple. Ceci dit, le Maroc est vraisemblablement sur la bonne voie pour atteindre ses objectifs de productivité et de volume, mais si l’Etat n’applique pas de contrainte de durabilité, le résultat sera dangereux pour le sol, l’eau et même les générations futures ! Il faut soumettre ce dispositif à des contraintes.

Pourquoi dites-vous que le PMV pourrait avoir des effets dangereux pour l’eau, alors que celle-ci a été placée au centre du projet ?

Cette année, à l’automne, nous avons encore eu très peur d’une nouvelle année sèche mais les pluies du printemps nous ont sauvés. Les efforts pour mettre en œuvre l’irrigation localisée afin d’être moins dépendant des pluies ont certainement été efficaces, mais ils n’ont pas apporté l’économie d’eau escomptée. Les agriculteurs soumis à l’appétit de ce qu’il faut appeler des installateurs ont mis en place massivement l’irrigation en goutte-à-goutte. Mais le goutte-à-goutte mal maîtrisé est pire, selon moi, que le gravitaire maîtrisé. La technique n’est en soit ni bonne ni mauvaise. Certes, le goutte-à-goutte, à surface égale, produit des économies d’eau. Mais rappelons que l’eau excédentaire, dans le système gravitaire [écoulement par canaux, ndlr] retourne à la nappe, elle n’est pas perdue. Le goutte-à-goutte permet également des économies de main-d’œuvre, car il y a moins de mauvaises herbes. Il y a par contre un risque de salinisation progressive des sols et il est bon d’effectuer parfois un lessivage par irrigation gravitaire. Aussi, le goutte-à-goutte ne permet pas nécessairement d’éviter l’évapotranspiration due aux barrages, car il nécessite des bassins de stockage importants qui, mis côte-à-côte, peuvent couvrir la même surface qu’un barrage. On a également observé que les agriculteurs avaient tendance à sur-irriguer certaines zones de leurs champs parce que l’eau était mal distribuée [les tuyaux ont tendance à se boucher, ndlr] et surtout à étendre leur zone de culture, car ils s’affranchissaient des limites de la pente.

Les subventions de l’Etat à ce type d’irrigation, dans le cadre du Plan Maroc Vert, ont accentué ce phénomène car les agriculteurs ont d’autant plus facilement cédé aux avances des installateurs qu’ils n’avaient presque rien à payer. Les subventions sont considérables. Ils n’étaient donc pas tellement exigeants sur le service rendu !

La pénurie d’eau est-elle le seul risque à menacer la pérennité des résultats du Plan Maroc Vert ?

Le constat que je fais, comme homme de terrain et chercheur, est que nous avons depuis deux ou trois ans un sérieux problème de marché, notamment pour les fruits. De nouvelles superficies sont plantées et leurs productions arrivent toujours plus nombreuses sur le marché. Bien sûr, un effort de valorisation a été fait, mais l’hypothèse de base du Plan Maroc Vert - l’exportation - ne s’est pas vérifiée. La qualité n’atteint pas les standards des marchés internationaux et nous nous retrouvons en situation de surproduction notamment pour les fruits.

Souvent, en dehors des cultures comme les agrumes et la tomate qui sont parfaitement maîtrisées, le calendrier des traitements chimiques n’est pas respecté et les traitements sont faits trop près de la cueillette, si bien que les résidus sont supérieurs aux normes de nos marchés d’exportation européen et américain. Ce phénomène est accentué par la vente sur pied. Ce procédé par lequel un agriculteur vend sa production quelques mois avant la récolte à un intermédiaire lui évite le tracas de la cueillette, de la logistique… Mais il perd la main sur son exploitation.

L’intermédiaire qui va gérer l’exploitation jusqu’à la récolte a pris un risque par cet achat anticipé qu’il cherche bien souvent à réduire, en ayant la main très lourde sur les traitements chimiques. Ce n’est là que l’une des explications. L’an dernier, les clémentines de Berkane pourrissaient sur les arbres parce que les Etats-Unis y avaient détecté la larve d’un parasite dangereux pour leurs propres vergers.

L’un des objectifs du PMV, pour son pilier II, était de réduire la pauvreté. Quels effets du PMV avez-vous pu constater sur les petites exploitations vivrières ?

Par le passé, l’Etat a beaucoup investi sur seulement 10% de la surface agricole du pays car c’était la seule partie irriguée [la grande hydraulique, ndlr]. Les territoires ruraux et montagneux ont été délaissés. Le PMV a identifié cette inégalité territoriale et a mis des moyens à travers le pillier II pour aider les tout petits agriculteurs, mais ceux-là n’ont pas la même capacité à aller chercher des subventions que dans les grandes exploitations. Il faut des ressources et un capital social que beaucoup n’ont pas. Surtout, on ne peut pas envisager une augmentation des rendements isolée du contexte social ; sans considérer l’ensemble du développement rural. En plaine, les grosses exploitations côtoient les toute petites parcelles. Petits et grands agriculteurs se retrouvent déjà en concurrence sur la ressource en eau, sur la main-d’œuvre et sur les marchés, alors qu’ils n’ont pas du tout les mêmes ressources et les mêmes structures de coût. Dans ce contexte, traiter les deux exploitants également est inéquitable ; cela revient à subventionner les inégalités.

En somme, vous soulignez plusieurs difficultés. Le ministère en a-t-il pris conscience ?

Le ministère de l’Agriculture prend conscience des risques que l’intensification fait peser sur le monde agricole. Il y a une nette inflexion de la politique agricole, depuis peu. Le ministère a par exemple créé une Direction spécifique pour le développement de l’espace rural et des zones de montagnes et a adopté une stratégie dédiée, en juillet 2015, pour ne plus envisager l’augmentation des rendements en dehors du contexte social.

Alors qu’au début du PMV on pouvait parler d’intensification à outrance, on voit également une prise de conscience progressive. Le PMV a commencé à subventionner le semi-direct [sans labourer, ndlr] mais aussi des expériences d’agro-écologie et le bio, alors que le cover-crop, le tracteur, est considéré depuis le protectorat comme l’élément magique de la modernité. La règlementation a notamment été améliorée pour permettre l’importation du matériel agricole - plus cher que le conventionnel - adapté au semi direct. Mais là aussi, il faut des subventions.

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