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L’autre récit de Mahjoub Salek #2 : Le fondateur du Polisario était le seul à pouvoir solliciter Kadhafi à minuit

Dans cet entretien en épisodes, Yabiladi part à la rencontre de Mahjoub Salek, l’un des fondateurs du Polisario, qui évoque la création du Front, sa fuite des camps de Tindouf, puis la génèse de «Khat Achahid» en 2004.

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Mahjoub Salek, membre-fondateur du Polisario puis fondateur de Khat Achahid / Ph. Mehdi Moussahim (Yabiladi)
Temps de lecture: 4'

Dans cette deuxième partie d’entretien avec Mahjoub Salek, ancien membre-fondateur du Polisario puis initiateur de «Khat Achahid», notre interlocuteur revient sur la manifestation de Tan Tan, réprimée en 1972. Il évoque également la visite libyenne de Ouali Sayed, leader du Front.

Lors de la première partie de cet entretien, Mahjoub Salek a souligné le caractère résistant du Front Polisario, qui, à sa création, ne portait pas de revendications séparatistes.

«Tout ce que nous souhaitions était un soutien de l’Etat marocain pour libérer les provinces du Sahara de l’occupation espagnole. Nos slogans étaient clairs là-dessus: ‘Par notre lutte et pas les armes, nous libérerons le Sahara. Dehors l’Espagne!’»

Cependant, la réaction du Maroc à la manifestation du Front, organisée à Tan Tan en mai 1972, a confirmé aux jeunes sahraouis qu’ils ne pouvaient compter sur le soutien de l’Etat dans leur lutte.

La répression du mouvement par le Maroc

Mahjoub Salek indique que des enfants et des jeunes ont été arrêtés, à la suite des évènements de 1972. Parmi eux, Ouali Sayed, fondateur du Polisario. Des avocats sahraouis sont entrés en ligne pour les soutenir jusqu’à leur remise en liberté.

En plus de la fusillade du 17 juin 1970 à Laâyoune, commanditée par l’occupation espagnole pour disperser le rassemblement de l’intifada de Zemla, ce sont donc les autorités marocaines qui ont en eu après les jeunes du Polisario. En effet, la manifestation du 5 mai 1972 a été décisive, rappelle notre interlocuteur :

«Les autorités marocaines ont ordonné notre arrestation. Après nous avoir torturés, le commandant El Akkouri nous a dit en indiquant le sud: ‘Si vous voulez libérer le Sahara, allez là-bas. Ici, c’est le Maroc, ne nous créez pas de désordre.»

A ce moment-là, les jeunes s’étant confrontés à une telle répression ont développé une attitude violente, en réaction à ce traitement. Mahjoub Salek s’en souvient :

«Face à la violence tyrannique, ils ont développé une violence révolutionnaire. Ils sont arrivés à la conclusion que le Maroc ne les aiderait pas à affronter l’occupation espagnole. C’est ainsi que Ouali Sayed a commencé à prendre avec l’Algérie et la Libye, en quête de soutien.»

L’assemblée constitutive du Polisario

Dans ce contexte tendu, le congrès constitutif du Polisario a été organisé à travers des rencontres et des rassemblements itinérants, nous explique Mahjoub Salek : «La première réunion dans ce cadre s’est tenue à Tan Tan, en présence de Feu Ouali Sayed. Elle a été marquée par un débat profond entre les étudiants et les jeunes sahraouis.» Et d’ajouter :

«Les uns ont considérés que ce n’était pas encore le moment de proclamer la révolution à Seguia el-Hamra. Ils ont soutenu que l’action nécessitait encore quelques années de préparation pour mobiliser la population dans une lutte armée. Les autres, qui étaient plus minoritaires et dont Sayed a fait partie, soutenaient que la révolution allait avoir lieu ‘maintenant ou jamais’.»

Ainsi, le chef de file du Polisario a donné un discours, suite auquel les partisans de la première option ont fini par se retirer :

«Ceux qui veulent la révolution maintenant sont les bienvenus. Quant à ceux qui veulent continuer leurs études pour décrocher des diplômes et revenir donner des leçons aux populations locales, ils peuvent y aller.»

Par conséquent, le second rassemblement du congrès, tenu à Assa Zag, a été moins important en nombre. Il a permis, cela dit, d’«échanger autour de la stratégie à adopter pour rassembler les armes nécessaire et attaquer les Espagnols», souligne Mahjoub Salek.

Quant à la troisième rencontre, tenue à Tindouf, elle s’est axée sur la mobilisation des bénévoles qui se sont proposés pour constituer une armée sur le terrain. La quatrième et à la dernière réunion dans ce cadre, elle, s’est tenue 31 avril 1972 à Zouirate, en Mauritanie.

C’est là-bas qu’ont été annoncés le nom du Front Polisario et son manifeste politique. Les grandes lignes de la lutte armée ont été données. Ont également été présentées l’aile militaire et l’aile politique du mouvement. Jusqu’ici, «les jeunes engagés auprès du Polisario n’avaient pas comme ambition de créer un Etat dans le Sahara», tient à souligner Mahjoub Salek :

«Notre objectif était de libérer Seguia el-Hamra et Ouad Eddahab de l’Espagne. La mobilisation, elle, a concerné les populations locales et celles des pays voisins.»

L’ancien membre-fondateur du Polisario a ainsi rejoint l’aile politique du mouvement, à l’issue du second congrès. «J’ai été en charge de la mobilisation auprès des étudiants sahraouis au Maroc, jusqu’au moment où j’ai pris les armes 1974», nous confie Mahjoub Salek. En décrivant le matériel utilisé à cet effet, le militant se rappelle que la révolution tenait plutôt à la détermination des bénévoles :

«Les premières armes dont nous nous servions dataient de la Première guerre mondiale. Ouali Sayed fournissait de l’armement comme il le pouvait et le demandait là où il se rendait. D’ailleurs, il avait fait une requête à l’Algérie mais cette dernière avait refusé. Elle avait proposé à Ouali d’exiger de l’Espagne le principe d’autodétermination pour avoir le soutien international d’Alger.»

Les soutiens de l’Algérie et de la Libye

Mahjoub Salek se rappelle que l’Algérie a permis au Polisario la libre circulation sur son territoire, à condition de ne pas mobiliser les sahraouis d’Algérie à rejoindre le mouvement. Après quoi, Ouali Sayed a décidé de se rendre en Libye, où l’un des conseillers du colonel Kadhafi l’a «accusé de communisme». Ce à quoi le leader du Polisario a rétorqué :

«Nous ne sommes pas des communistes, mais nous ne mettons pas le communisme et l’impérialisme au même degré d’hostilité.»

C’est alors que Ouali Sayed a été reçu par Mouammar Kadhafi. Ce dernier a été impressionné par les idéaux du jeune militant, son éloquence et son discours politique aussi imposant que convainquant, affirme Mahjoub Salek. «Ouali Sayed est devenu alors le seul homme à pouvoir solliciter Kadhafi par téléphone à tout moment, même à minuit», ajoute notre interlocuteur.

«Ainsi, le colonel libyen a été le premier à annoncer publiquement le décès de Ouali Sayed en martyr, lors d’un discours officiel le 9 juin 1976 à Tripoli…»

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